Association humaniste internationale *: Un congrès enthousiasmant

Par Pierre St-Amant, délégué AHQ au congrès.

L’Association humaniste internationale (Humanists International) est une organisation non-gouvernementale regroupant des associations d’humanistes, d’athées, d’agnostiques et de libres penseurs du monde entier. Elle fait la promotion de principes humanistes et se porte à la défense d’humanistes victimes de persécution et de violence partout dans le monde. Elle fait aussi la promotion de politiques basées sur la raison et la science. Elle tient des assemblées générales annuelles et organise normalement un congrès mondial à tous les trois ans (l’assemblée générale a alors lieu en même temps que le congrès), mais la pandémie a empêché la tenue de cet événement pendant quelques années.

L’Association humaniste du Québec (AHQ) est membre de l’AHI et c’est à titre de représentant de l’AHQ que j’ai participé au congrès de Copenhague, du 4 au 6 août 2023. Plus de 400 humanistes venant de 43 pays ont participé à ce congrès. Ils représentaient tous les groupes démographiques et offraient une belle diversité de points de vue. J’ai notamment trouvé la présence d’un grand nombre de jeunes très stimulante. J’ai aussi enthousiasmant de pouvoir interagir avec tous ces gens.

J’ai participé à plusieurs congrès au cours de ma carrière d’économiste. J’en ai même organisé quelques-uns. Je dois dire que le Congrès de l’AHI était l’un des plus intéressants et des mieux organisés que j’aie connu. La qualité des interventions était bonne et celle du support logistique était remarquable. J’ai été frappé par la gentillesse des participants. De plus, des activités culturelles très intéressantes, par exemple une belle chorale humaniste, qui nous a offert Imagine de John Lennon en début de congrès, et la présence d’une artiste peintre chargée de produire des œuvres pendant le congrès, y compris un homme sur lequel elle a peint divers symboles humanistes, complétaient bien le programme.

CONSTRUIRE DE MEILLEURES DÉMOCRATIES

Le thème principal du congrès cette année était : Construire de meilleures démocraties grâce aux valeurs humanistes. Déjà, à son assemblée générale de 2018, l’AHI dénonçait la montée en puissance de politiciens démagogues s’attachant à réduire les droits et libertés démocratiques. Ce thème est revenu en force en 2023. La politologue Sofia Näsström (Université de Uppsala) a souligné les actions de groupes extrémistes misant sur la peur et les valeurs religieuses traditionnelles pour restreindre la liberté d’expression et prendre le contrôle du pouvoir judiciaire. Nicole Carr, présidente de l’Association humaniste des États-Unis, a donné l’exemple des groupes nationalistes chrétiens, souvent des évangélistes, s’attaquant aux fondements laïques des États-Unis.  Selon madame Carr, les nationalistes chrétiens auraient envahi les législatures des États, les conseils municipaux et les conseils scolaires. Ils contrôleraient aussi la cour suprême. De là ils supprimeraient des droits comme le droit à l’avortement, interdiraient des livres et chercheraient à réécrire l’histoire. Ils seraient par ailleurs responsables de l’attaque du 6 janvier 2020 contre le Capitole et mineraient le système démocratique. Ces groupes étasuniens seraient aussi actifs dans d’autres pays; par exemple en Ouganda où ils s’affaireraient à éliminer les droits des homosexuels. Tout cela malgré la baisse de leur poids démographiques et la montée de celui des non-religieux aux États-Unis.

Des participants ont rappelé que des processus semblables sont en cours dans plusieurs autres pays; par exemple la Hongrie, l’Inde, la Pologne, les Philippines, l’Italie, le Brésil et le Guatemala. Ces forces seraient même à l’œuvre dans des pays pourtant considérés comme des modèles démocratiques comme la Suède et la Norvège. Les humanistes seraient en danger un peu partout (Bengladesh, Pakistan, etc.). Afin de contrer ces tendances, le philosophe Lars Svendsen (Université de Bergen) en a appelé à l’espoir (il aborde ce sujet dans un livre à venir). Pour lui l’humain serait le seul animal capable d’espérer et c’est ce qui lui donnerait la force d’agir pour changer les choses. L’alternative serait la peur, que les démagogues utilisent pour nous manipuler. L’espoir devrait cependant être contraint par la rationalité. Il ne devrait pas être basé sur des vœux pieux mais plutôt viser des avancées faisables. Plusieurs participants ont affirmé que les humanistes devaient mieux communiquer leurs valeurs positives et ne pas se contenter d’affirmer ce en quoi ils ne croient pas. L’assemblée générale a approuvé une résolution demandant aux humanistes de défendre et d’améliorer la démocratie.

D’autres sujets ont été abordés. Par exemple, une session s’est penchée sur les points de tension entre liberté de religion et émancipation. Nazila Ghanea (rapporteur spécial des Nations unies en matière de liberté de religion et de croyance) a voulu expliquer que la reconnaissance de la liberté de conscience devrait en théorie permettre d’atténuer ces tensions, chacun reconnaissant le droit de l’autre d’agir selon sa conscience. D’autres participants ont cependant rappelé que, en pratique, les croyants cherchaient souvent à imposer leurs valeurs par des moyens non démocratiques. La lutte de la droite chrétienne contre le droit à l’avortement a été cité en exemple par plusieurs.

L’UKRAINE – LA POSITION DES HUMANISTES

La situation en Ukraine a aussi été l’objet de nombreuses discussions. L’agression russe a été présentée comme une attaque contre la démocratie, Poutine craignant qu’une Ukraine marchant vers la démocratie puisse encourager d’autres pays à prendre le même chemin. Oleksandra Romantsova, directrice du Centre pour les libertés civiles (prix Nobel de la paix en 2022), a par ailleurs affirmé que son organisme pouvait documenter 47417 crimes de guerre commis depuis le début des hostilités en Ukraine. C’est à l’unanimité que l’assemblée générale a réaffirmé la position de l’AHI demandant le retrait des forces russes d’Ukraine. Cependant, par suite d’un débat plutôt tendu, une faible majorité a voté contre une résolution réclamant de faire parvenir à l’Ukraine toute l’aide, y compris de l’aide militaire, nécessaire pour repousser la Russie. Les opposants étaient réticents à appuyer l’envoi d’aide militaire qu’ils voyaient comme contraire aux valeurs humanistes. Ceux qui appuyaient la résolution ont plutôt arguer que l’aide militaire était nécessaire pour éviter que les Ukrainiens soient massacrés.

ACTIONS HUMANISTES CONJOINTES ?

Une des sessions du congrès portait sur les moyens de mieux coordonner les actions des associations humanistes des diverses régions du monde. Les délégués nord-américains (États-Unis et Canada) ont alors pu discuter de stratégie. Les défis auxquels sont confrontés les deux pays seraient cependant assez différents, ce qui rendrait la coordination des actions assez difficiles. Dans une réunion subséquente, les humanistes Canadiens ont cependant poussé un peu plus loin la discussion. Ils ont convenu de la nécessité d’améliorer la communication entre les divers groupes. Quelques sujets d’intérêt commun et pouvant donner lieu à des actions coordonnées ont par ailleurs été avancés (j’ai moi-même proposé qu’il serait peut-être possible de coordonner nos actions pour modifier des symboles, par exemple l’hymne national, faisant référence à dieu ou à la religion).

Une autre session s’est inquiété du fait que la digitalisation de l’économie pourrait servir à manipuler, asservir, l’humain au profit de quelques grandes corporations. La digitalisation pourrait générer de nouvelles religions. Elle pourrait aussi conduire à de profondes modifications des humains (transhumanisme). La question des droits de l’intelligence artificielle pourrait bientôt se poser. Les participants ont prôné que les valeurs humanistes soient imposées à l’intelligence artificielle. D’autres ont demandé qu’il soit interdit de concevoir des machines conscientes. Mais tous n’ont pu que noter qu’il sera difficile d’imposer de telles contraintes à tous les pays.

PROCHAIN CONGRÈS

La ville de Washington accueillera le prochain congrès de l’AHI en 2026. Je recommande que l’Association humaniste du Québec soit bien représentée à ce congrès. Nous devrions aussi songer à participer à l’Assemblée générale qui aura lieu à Singapour en 2024. À mon avis, notre participation aux activités de l’AHI peut conduire à des idées et à des actions coordonnées susceptibles de faire progresser la cause humaniste au Québec.

* Humanist International a son siège social à Londre, GB. L’AHQ en est membre votant depuis 2006.