La déconstruction du mythe de l’islamophobie
Daniel Baril
Daniel Baril a été journaliste à l’hebdomadaire Forum de l’Université de Montréal pendant près de 23 ans. Il est actuellement président du Mouvement laïque québécois (par intermittence pendant deux décennies) et a été également membre du conseil d’administration de l’Association humaniste du Québec. Il est le cofondateur du groupe Les Intellectuels pour la laïcité et co-rédacteur de la Déclaration pour un Québec
laïque et pluraliste.
J’ai toujours été bien conscient des lacunes du concept d’islamophobie et de son usage pour interdire la critique de l’islam, mais la lecture de ces textes m’a fait réaliser à quel point le concept constitue, pour les antiracistes qui s’en réclament, rien de moins qu’une forme de racisme. Dans sa préface, Waleed Alhusseini, Palestinien républicain et laïque, torturé pour ses critiques de l’islamisme,
considère les antiracistes de l’islamophobie comme des « antiracistes autoproclamés ».
« Certains partisans du différencialisme, qui font partie du paysage médiatique, nous considèrent, nous les Arabes, comme des citoyens à part, obligés de subir l’oppression de prédicteurs islamistes, écrit-il. […] Je parle d’ ’’antiracisme autoproclamé’’, car ce sont eux les racistes. Ce sont ces hommes et femmes, pleins de bonne conscience, qui veulent voir les musulmans évoluer dans un monde à part, avec des lois d’exception. […] L’islamophobie » est à l’international l’arme du totalitarisme »
Bâillonner la liberté d’expression
Il est impossible de résumer les propos de chacun des auteurs qui recourent tantôt à la philosophie, tantôt au journalisme d’enquête, aux sciences sociales, à la statistique et à la linguistique pour déconstruire le concept d’islamophobie et je m’en voudrais de ne pas rendre justice à chacun. Voici donc une citation tirée de chacun des textes et qui, je l’espère, amènera le public à lire cet ouvrage absolument nécessaire.
Alban Ketelbuters. « Le concept d’islamophobie abolit toute frontière distinguant la foi religieuse de l’appartenance ethnique, le fait d’être musulman et celui d’être d’origine arabe. Or, on ne naît pas musulman, on le devient. C’est la raison pour laquelle ce combat contre l’islamophobie n’a aucune portée légitime au sein du mouvement antiraciste. »
Isabelle Kersimon. « En usant de ces confusions entre racisme et liberté d’expression et en essentialisant les populations dites musulmanes, le but des zélateurs du concept d’islamophobie n’est pas uniquement de lever contre une majorité non-musulmane les minorités concernées. Leur objectif est aussi d’interdire tout ralliement à l’ordre de la République, à ses valeurs d’émancipation universelle et à son socle laïque tout en produisant la société multiculturaliste dont ils rêvent. »
Annie-Ève Collin. « Le racisme inversé
consiste à identifier fortement les communautés culturelles (non blanches, non occidentales) à leurs traditions […] comme si ces cultures ne pouvaient pas connaître le changement, la remise en question, la dissidence interne. Ceux qui font preuve de cette forme de racisme critiquent sans problème des aspects des cultures occidentales au nom du progrès et des droits de la personne, mais, sous prétexte
d’anticolonialisme, refusent qu’on fasse de même avec des aspects de la culture musulmane. »
Claude Simard. «Le corpus tiré de la banque Eureka montre que la diffusion des mots islamophobie et islamophobe provient de trois sources relayées largement par les médias : 1) d’abord les musulmans eux-mêmes, en particulier par la voix de leurs leaders tant religieux que politiques, et par celle de nombreuses associations qui les représentent comme […] l’Association musulmane du Canada, le Collectif québécois contre l’islamophobie, etc.; 2) ensuite, des intellectuels d’obédience musulmane comme Tariq Ramadan ou favorable au multiculturalisme comme le philosophe québécois Michel Seymour; 3) enfin, des membres de la classe politique dite ‘’inclusive’’ comme Françoise David et Justin Trudeau. »
Hassan Jamali. « Les adeptes de la victimisation et de l’islamophobie ont multiplié les interventions en Occident (y compris au Québec) et même au sein de l’ONU pour que des lois et des résolutions interdisant le blasphème et le discours haineux envers les religions soient approuvées. Les institutions publiques au Québec sont tombées dans le piège. L’islamophobie est utilisée dans les documents officiels
publiés par le Ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion pour justifier le taux de chômage élevé chez les Maghrébins. »
Jérôme Blanchet-Gravel. « Les utilisateurs du concept d’islamophobie perpétuent le fantasme d’une discrimination systémique des minorités culturelles d’occident qui trouve son ancrage dans les séquelles de l’antisémitisme nazi. […] Le concept d’islamophobie est un outil de falsification de l’histoire destiné à nier l’émergence d’un tout autre fascisme : l’islamisme. […] La réalité d’un islamofascisme
est si criante actuellement que nous pouvons nous demander comment cette sociologie productive d’ignorance parvient à faire autant d’adeptes. »
Éric Debroise. « Bien que trois fois moins nombreux que les musulmans, les Juifs au Canada ont 13 fois plus de risque d’être victimes d’un crime haineux qu’un musulman. Quant aux catholiques, ils courent presque autant de risque d’être victimes d’un crime haineux que les musulmans malgré qu’ils représentent une population 13 fois plus grande. »
Renart Léveillé. « L’utilisation du concept d’islamophobie devrait être considérée comme une imposture intellectuelle. En s’imposant à toutes les sauces sur toutes les tribunes, l’amalgame que ce concept produit décourage la pensée rationnelle et nuancée pour encourager la pensée binaire, morale, qui sépare le débat entre bonnes et mauvaises pensées. »
Caroline Fourest et Fiammetta Venner. « Des hommes politiques et des intellectuels ont enfin choisi d’éviter le mot confus d’islamophobie pour dénoncer plutôt des ‘’propos anti-musulmans’’ ou ‘’actes anti-musulmans’’, ou ‘’le racisme anti-musulman’’. Ces expressions désignent clairement le racisme et non le blasphème. Ils visent l’égalité au lieu de fortifier la censure ou l’intimidation. »
Appel à la gauche
Ce volume aurait dû être dédié à Françoise David. Je ne suis pas sûr qu’elle aurait osé présenter sa malheureuse motion sur l’islamophobie à l’Assemblée nationale si elle avait pris connaissance des analyses présentées dans ce volume. Mais peut-être que je me trompe.
Dans Le Devoir du 25 octobre, Rachad Antonius tenait des propos similaires à ceux des auteurs du collectif et concluait ainsi : « En refusant d’intégrer, dans leurs analyses, les conséquences de l’idéologie salafiste et en prétendant que le concept d’islamisme ne veut rien dire, les courants progressistes laissent toute la place aux courants de droite qui, eux, utilisent à leur profit les peurs de l’islamisme. […] Ainsi, le glissement marqué vers des positions de droite d’une partie de la population ne résulte pas d’une islamophobie qui serait
intrinsèque au Québec et qui remonterait à l’orientalisme. Elle résulte en partie du fait que les courants progressistes n’apportent pas de réponses satisfaisantes et réalistes aux défis posés par la montée des courants religieux conservateurs, fortement imprégnés de la pensée islamiste. »
Puisse la gauche communautarienne qui se drape des habits de l’inclusion entendre le message.
* Ce texte a été publié sur le blogue de Daniel Baril au magazine Voir le 25 Octobre 2016 et est reproduit intégralement ici avec
la permission de l’auteur
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