Daniel Baril

Daniel Baril

Daniel Baril a été journaliste à l’hebdomadaire Forum de l’Université de Montréal pendant près de 23 ans. Il est actuellement président du Mouvement laïque québécois (par intermittence pendant deux décennies) et a été également membre du conseil d’administration de l’Association humaniste du Québec. Il est le cofondateur du groupe Les Intellectuels pour la laïcité et co-rédacteur de la Déclaration pour un Québec
laïque et pluraliste. 

L’Actualité se réveille et a demandé un article à Daniel Baril.

Travailler pour l’État est un choix qui comporte des exigences et celle de la neutralité vestimentaire n’est pas plus discriminatoire que celle de la neutralité politique.

Information à sens unique, parti pris, désinformation, propagande mensongère, couverture indigeste et biaisée, démagogie, voilà quelques un des qualificatifs qui circulent dans les milieux de la militance laïque pour qualifier la couverture médiatique, qui dure maintenant depuis trois semaines, du projet de législation sur la laïcité.

Les tenants de la laïcité ne seraient que des xénophobes racistes et les autres de pauvres victimes. Comme preuve à l’appui, des témoignages larmoyants, doublés de propos haineux, de gens incapables d’assumer leurs choix.

À la Première chaîne de Radio-Canada, le temps consacré à démolir ce projet et à faire parler ses opposants se compte par dizaines d’heures alors que le temps accordé aux défenseurs de la laïcité se compte en dizaines de minutes. On a même réussi à dénicher le seul professeur juif portant une kippa dans un cégep pour en faire le représentant de la communauté juive.

Dans La Presse, c’est la belle unanimité chez tous les chroniqueurs et l’espace accordé aux deux camps est du même ordre et va dans le même sens que ce que l’on a pu entendre à la radio. Dans les médias anglophones, c’est encore pire; on ne s’est même pas donné la peine de présenter l’allocution en anglais du ministre Drainville et l’on s’est contenté de livrer des réactions hostiles dans les bulletins d’information.

Sans parler des opinions de nobodies glanées sur la rue ou sur Twitter qu’on nous livre en guise d’ «information» et de «reportage»

Majorités silencieuses (parce que tenues au silence)

Où sont donc les 67 à 78% de Québécois qui appuient l’idée de restreindre l’affichage de signes religieux ostentatoires dans les services publics et les lieux d’enseignement? Tous des tarés de droite? Où sont ces membres des minorités culturelles et des minorités ethniques qui nous implorent de ne pas être naïfs devant la montée de l’intégrisme religieux dans leurs rangs? Tous des xénophobes et des islamophobes?

Les porteurs de vêtements religieux distinctifs ne représentent qu’une faible proportion des communautés religieuses, mais leur opinion semble être la seule qui vaille par les temps qui courent.

Et que dire du sort réservé au ministre Drainville? Je ne suis pas péquiste mais je prendrai sa défense. Pour la première fois, un ministre a le courage de défendre le principe de la laïcité avec conviction, de façon claire, cohérente et bien argumentée (exception faite du crucifix sur lequel je reviendrai plus loin). Est-ce parce que l’on n’est pas habitué à un tel discours que plusieurs frappent maintenant sur le messager à bras raccourcis? Il faut saluer le courage politique du premier gouvernement en Amérique du Nord qui ose aller aussi loin sur cette question épineuse mais cruciale pour la modernité et la démocratie.

À lire les analystes et les blogueurs, j’ai l’impression qu’on n’a pas écouté la même conférence de presse le 10 septembre — ou que certains l’ont écoutée avec des bouchons dans les oreilles. Je n’y ai décelé aucune trace de nationalisme identitaire et il faut avoir l’esprit tordu pour réduire le discours de Drainville à cette vision partisane et instrumentalisée de la laïcité.

Et pourquoi cette obsession des médias à nous livrer les commentaires du reste du Canada, comme si le jugement des autres, tenant lieu ici de jugement de Dieu, devait nous servir de guide? Qu’aurait-on dit de nous si, au Québec, un maire s’était permis de démoniser des projets politiques d’une autre province comme le fait le maire de Calgary? Et personne pour l’envoyer promener! A-t-on vu chez nous un maire dénoncer le projet de tribunal de la charia en Ontario?

Pourquoi aucun autres journaliste ou blogueur n’a-t-il relevé la malhonnêteté intellectuelle du texte «Nos valeurs excluent l’exclusion», qui a pourtant été commenté partout et qui cite de façon tronquée la Déclaration universelle des droits de l’homme? Le port de signes ou de vêtements religieux ne fait pas partie de la liberté de religion telle que définie dans la Déclaration universelle qui limite cette liberté au droit d’avoir une religion, de la transmettre et d’en pratiquer les rites (article 18).

Les journalistes et les médias ont gobé sans aucun discernement le discours des intégristes à l’œuvre au sein des minorités religieuses et repris par les Taylor et Trudeau qui tentent de faire passer l’affichage politique de leur appartenance religieuse au travail sur le même plan que la pratique religieuse, une dangereuse dérive

Pourquoi interdire?

Contrairement à l’argument démagogique avancé par les confessionnalistes, l’interdiction des signes religieux ostentatoires n’est pas fondée sur le fait que ces signes entacheraient le professionnalisme du fonctionnaire ou la qualité du service. Ce qui justifie cet interdit, c’est le droit de l’usager de ne pas être servi par un agent qui lui livre un discours religieux alors que le service de l’État est censé être neutre. Le contraire serait comparable à un établissement non-fumeur où les employés auraient le droit de fumer sur les lieux de travail.

Pour qu’il y ait neutralité, il faut qu’il y ait apparence de neutralité. Le vêtement religieux est un langage non verbal qui exprime la foi, les croyances et le code de valeurs de la personne qui le porte et c’est pour cette raison qu’elle tient à le porter. Faire prédominer cet affichage signifie que l’on place ses croyances au-dessus des valeurs véhiculées par l’État employeur. Accepterait-on qu’un fonctionnaire nous serve avec un teeshirt portant l’inscription «Je suis athée; libérez-vous de la religion»?

Comme tout autre emploi, travailler pour l’État est un choix qui comporte des exigences et celle de la neutralité vestimentaire n’est pas plus discriminatoire que celle de la neutralité politique. Qu’on cesse de nous jouer la cassette de la victimisation. Qu’on cesse de chercher à nous culpabiliser avec des témoignages larmoyants de gens prêts à quitter leur emploi; nous avons tous fait de tels choix dans la vie et en avons assumé les conséquences.

Il serait plus logique de proscrire tout signe visible, mais la notion de signes ostentatoires a été testée avec succès en France. Ce qui n’empêche pas les opposants d’ergoter à qui mieux mieux sur la «police des signes religieux», sur la règle pour mesurer la grandeur de la croix ou du croissant porté au cou, sur la barbe qui serait acceptée alors que le hidjab serait interdit. Comme si tout cela était de même nature, une attitude typique des relativistes postmodernistes. Si le hidjab pose un problème particulier, c’est qu’il véhicule un message et des valeurs particulières qu’on tente de camoufler derrière un faux fuyant voulant que les femmes qui le portent le font par libre choix. Mais que fait-on de toutes ces  femmes violées et assassinées par les islamistes algériens dans les années 90 et prises comme cibles parce qu’elles ne portaient pas ce symbole du « libre choix »? Et de ces Iraniennes qui, comme l’écrivaine Chadortt Djavann, ont eu à choisir entre le voile ou la mort pendant la révolution islamiste? Ce que nous rappellent aujourd’hui deux ressortissantes de pays arabes, Leila Lesbet et Yolande Geadah. Et le massacre au vitriol continue dans plusieurs pays musulmans sans parler, ici même, des crimes d’honneur comme celui des filles Shafia et le cas de Aqsa Parvez en Ontario. Devant cette réalité, comment peut-on nous parler de choix libre?

Pour Thomas Mulcair, ce linceul ensanglanté n’est qu’un simple foulard, voire un accessoire de coquetterie, et restreindre l’affichage de son appartenance religieuse au travail est une atteinte intolérable aux droits des minorités. Qu’il relise les écrits de Marx sur la religion et il comprendra que des minorités peuvent subir, au sein même de leur communauté, un contexte d’oppression découlant de l’idéologie ou des traditions qui y règnent. Dans un tel contexte, le rôle d’un État démocratique est de contrer ces oppressions.

Même recommandation de lecture à Françoise David qui, au lieu de s’en prendre aux facteurs d’oppression des femmes à l’intérieur des religions, a pris l’habitude de s’en prendre aux mesures visant à contrer cette oppression.

Des épines gangreneuses

Le projet de Bernard Drainville est loin d’être parfait et certains éléments entachent profondément sa crédibilité. Autant le ministre a tenu un discours bien articulé sur la défense de la laïcité et de la neutralité de l’État, autant il s’est contredit lorsqu’il a abordé la question du crucifix à l’Assemblée nationale. S’il est exact de soutenir que la neutralité de l’État passe par la neutralité de ses employés, cette neutralité s’exprime tout autant par l’aménagement des lieux. Lorsque Duplessis a introduit ce crucifix dans l’enceinte de la nation pour marquer l’alliance entre l’État et l’Église, il a rompu avec la tradition de neutralité de cet espace civique.

Cet objet de culte religieux est soudainement devenu un symbole du patrimoine culturel et historique du Québec. Comment peut-on demander aux employées de retirer leurs signes ostentatoires tout en maintenant celui-là? Pourquoi les autres signes religieux ne seraient-ils pas eux aussi considérés comme des objets culturels? Une loi sur la laïcité n’a pas pour objet d’établir qu’elle est la religion patrimoniale de la majorité mais de garantir l’indépendance de l’État face à toutes les religions, y compris celle de la majorité.

Ce discours à double face est intenable tant sur le plan philosophique, politique et historique. Cette épine au pied est en train de gangrener le membre et donne raison aux opposants qui qualifient le projet de catho-laïcité. Le message envoyé est que la laïcité c’est pour les autres et que l’intention n’est pas de laïciser l’État mais de bloquer l’intrusion d’autres religions.

Le droit de retrait de certaines institutions est une autre contradiction fondamentale qui risque de déconstruire ce que l’on cherche à construire. Bernard Drainville présente ce droit de retrait comme une phase de transition. Si telle est l’intention, c’est ainsi qu’il faudrait l’écrire. Pour l’instant, le document parle d’un retrait renouvelable et aucunement de phase de transition.

 

1 Commentaire

  1. Anne-Marie Hickey

    Je suis tout à fait d’accord avec vos idées.
    Ce que je veux: c’est garder nos acquis. Que M. Drainville enlève les signes ostentatoires pour les personnes qui travaillent pour l’État et je suis tout à fait d’accord avec les orientations de cette Charte.
    Aussi,on n’a pas à permettre à des conseils municipaux, des conseils d’administration d’adopter des résolutions pour porter des signes religieux, tout le monde peut le faire dans la vie privée. Pourquoi apporter des délais?

    J’ai découvert, vraiment des chefs, à la tête des gouvernements, plusieurs à visage découvert qui ne veulent pas de discussions sur les valeurs. Ils veulent faire de la petite politique. Même les fédéralistes. Pas fort, n’est-ce pas?? Pour ces gens, le peuple n’a pas besoin de valeurs, pas besoin d’histoire. Rester dans l’ignorance pour mieux manipuler, voilà.

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