Critique des affirmations récentes du cardinal Marc Ouellet
Michel Virard
Président de l'AHQ
Michel Virard est un des fondateurs de l’AHQ en 2005 avec Bernard Cloutier et Normand Baillargeon. Ingénieur et entrepreneur, il a également été administrateur des Sceptiques du Québec. il est depuis les tout débuts l’une des âmes dirigeantes de l’AHQ.
Marc Ouellet, qui n’est pas «seigneur» et encore moins le mien, me pardonnera certainement de laisser le «Monseigneur» au vestiaire. En relançant sur la place publique le refus total de l’avortement par l’Église catholique, même en cas de viol, il n’a fait que reprendre en public ce qu’il avait annoncé plus privément au cours de l’allocution du Primat de l’Église canadienne aux médecins catholiques, publiée le 5 mai 2010 sur le site « enlignetoi.com », portail catholique et œcuménique d’information.
La confusion érigée en principe
« Le respect de la vie à toutes les phases de son développement apparaît comme le principe et le fondement de l’ordre moral de la société » Marc Ouellet
A plusieurs endroits de son allocution, Marc Ouellet passe de la défense de la vie à la défense de la personne et vice-versa, les considérant apparemment comme une seule et même chose. Le respect de la vie du bacille de la peste n’inspirant pas une grande compassion chez la plupart des humains, je présume donc que Marc Ouellet veut dire respect de la vie humaine et non de toutes les formes du vivant.
Cependant, la personne et la vie humaine restent deux concepts suffisamment différents pour qu’on s’inquiète de cette imprécision aux conséquences potentiellement dramatiques. Tout d’abord, la notion de « dignité humaine » se conçoit en référence à la personne, pas nécessairement en référence à la vie humaine. Le débranchement de Terri Schiavo, en 2005, de son système artificiel de maintien en vie a illustré clairement cette différence. Un corps vivant mais où il n’y a manifestement plus « personne » ne peut prétendre à la dignité d’une personne, seulement à celle d’une enveloppe humaine vide, ce qui n’est pas du même ordre. Marc Ouellet entretient donc volontairement une confusion regrettable entre vie humaine et personne, ce qui obscurcit le débat.
Le faux choix binaire (paralogisme du faux dilemme).
Pour la dignité de la personne humaine, M. Ouellet ne distingue que deux possibilités de début d’existence, à la naissance ou à la conception. En reprenant la position vaticane de 1987, « la dignité de la personne humaine est la même à toutes les phases de son développement », il affirme donc haut et fort qu’un blastocyste (embryon à son tout début) fait de quelques cellules indifférenciées, sans capacité aucune de fonctionnement cérébral, devrait disposer de droits similaires à ceux d’un être humain vivant, conscient, pensant, souffrant et porteur d’un vécu. Pourtant, les législations occidentales sur l’avortement limitent généralement l’avortement sur simple demande aux seules 10 ou 12 premières semaines, alors que l’embryon n’a pas de capacité neuronale fonctionnelle. Or cet aspect des étapes intermédiaires du passage progressif de l’œuf fécondé au bébé viable est complètement évacué du discours de M. Ouellet qui, en forçant un choix binaire complètement artificiel, s’assure de faire oublier que, même au très libéral Québec, une interruption volontaire de grossesse (par opposition à une interruption médicale) n’est, en fait, pas disponible au troisième trimestre de grossesse.
Ouellet affirme sans sourciller que « La réalité de l’être humain, tout au long de son existence, avant et après la naissance, ne permet d’affirmer ni un changement de nature ni une gradation de la valeur morale, car il possède une pleine qualification anthropologique et éthique. ». Plus loin il affirme « Il est reconnu scientifiquement que l’être humain dispose dès sa conception d’un capital génétique unique et complet qui va se développer dans une ligne de continuité et de croissance. La personne adulte qui a parcouru toutes les phases du développement humain est la même personne qui a commencé par être un organisme microscopique dans le sein maternel. »
Ouellet entend jouer sur deux tableaux : celui de la permanence de la personne et sur celui de la continuité du capital génétique unique et complet, pour démontrer la valeur morale de l’embryon à t=0. Cependant ce raisonnement se heurte à des obstacles insurmontables.
D’abord, si la continuité du capital génétique est bien réelle, ce capital n’est pas forcément unique (cas des jumeaux identiques) et il n’est donc pas toujours possible de faire coïncider chaque personne avec un capital génétique unique. De plus cette continuité du capital génétique n’est pas garantie au tout début du développement (deux premières semaines). Deux blastocystes hétérozygotes, normalement destinés à produire des jumeaux fraternels (non identiques), peuvent fusionner et produire un seul embryon, tout à fait viable, qui sera de nature chimérique et pourra avoir un capital génétique issu de plus que de deux parents ! Si la « personne » du blastocyste original est une réalité (M. Ouellet prend bien soin de ne pas parler « d’âme », ce qui est nouveau) on se demande bien ce qu’il advient de celle-ci au moment d’une division de blastocystes (cas des jumeaux identiques) ou au moment d’une fusion de deux blastocystes (cas de l’individu chimérique). Ces particularités de l’embryogenèse humaine excluent l’hypothèse d’une « personnalité » unique et inséparable de l’embryon dès la conception. La réalité, fort simple, c’est qu’il n’existe pas de support physique à une prétendue « personnalité » de l’embryon. Les cellules indifférenciées du blastocyste n’ont pas plus de « personnalité » ou de « spiritualité » si on veut utiliser ce terme, que celles que l’individu perdra régulièrement au cours de sa vie et qui, elles aussi, auront exactement le même capital génétique. Cette absence de support physique pour une « personne » se continue aussi à la période suivante du développement et c’est seulement après l’apparition de réseaux neuronaux fonctionnels qu’on pourrait parler d’une éventuelle personnalité pour un fœtus. C’est aussi pour cette raison que l’avortement sur demande les premiers trois mois d’une grossesse a fini par être considéré comme allant de soi dans la plupart des nations occidentales émancipées de leur église nationale. Un fœtus de moins de trois mois ne peut tout simplement pas être considéré comme une personne. Je concède que cela laisse les questions d’avortements tardifs en suspens et l’Église catholique aurait pu contribuer au débat sur les choix difficiles à faire dans ces cas réellement délicats si elle ne s’était pas d’abord totalement discréditée par une position intenable sur l’avortement en début de grossesse. La décision du Vatican de prohiber toute forme d’avortement volontaire ne peut pourtant pas s’appuyer sur aucun verset explicite dans tous les évangiles et cela malgré les prétentions des auteurs du site http://www.xn-- vangile-9xa.com/versets-bibliques/avortement.html qui s’imaginent justifier cette prohibition avec des versets qui n’ont manifestement rien à voir avec l’avortement.
La réfutation plus complète de l’allocution de Marc Ouellet est disponible sur le site de l’Association humaniste du Québec à :
http://assohum.org/2010/05/commentaires-sur-lallocution-de-marc-ouellet-primat-du-canada/
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