PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE HEC MONTRÉAL

Jean-François Lisée, dans le Devoir https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/744696/chronique-petite-semaine-tranquille répond ici à ses détracteurs (principalement les chroniqueurs de La Presse)  suivant la controverse qui a suivi sa critique de l’utilisation par l’HEC d’une photo d’une femme voilée dans une publicité de recrutement. Je suis sans doute loin d’être impartial, mais cela ne surprendra personne car l’AHQ a toujours milité activement en faveur de la laïcité et la réplique de monsieur Lisée a l’avantage de mettre les points sur les i. Le voile islamiste s’est invité dans le débat sur la loi 21 et il est important de se rappeler qu’il est loin d’être un symbole aussi insignifiant et inoffensif que le prétendent certains. MP

Petite semaine tranquille

Votre semaine a été tranquille ? Moi aussi, presque. J’étais à la plage et j’ai mis de côté le roman que je lisais pour fureter un instant sur Twitter. J’y ai vu que HEC Montréal avait choisi de montrer une jeune femme voilée pour promouvoir une maîtrise conjointe avec l’Algérie.

Dans l’univers publicitaire canadien, la femme voilée est désormais la norme lorsqu’on veut affirmer diversité et ouverture. Le gouvernement canadien le fait systématiquement. C’est au point où, à part le rare turban sikh, le voile musulman est la seule conviction affichée dans ces pubs.

Il m’arrive de dénoncer cette prime à l’islam sur Twitter lorsque je la vois passer. Mais je n’avais encore jamais vu une institution québécoise francophone tomber dans ce panneau. Que des Algériennes voilées fassent une maîtrise à HEC, bravo. Qu’on en voie dans une photo de classe, super. Mais qu’une institution laïque, scientifique, vouée à l’égalité des sexes, choisisse sciemment une femme voilée pour se représenter, non.

La jeune femme n’est pas en cause. HEC l’est. Il est répréhensible qu’une institution laïque passe outre au fait qu’elle ne doit normaliser dans ses pubs aucune conviction politique ou religieuse.

Le facteur aggravant est que la pub est destinée à l’Algérie, où l’imposition du voile par les intégristes a laissé des traces. Parlez-en à Leila Lesbet, enseignante et féministe québécoise qui a quitté son pays natal en 2002, lorsque les intégristes l’ont menacée de mort. Elle dénonce « l’ignorance abyssale » de HEC quant à l’histoire algérienne récente. « Des milliers de femmes, de jeunes filles et d’adolescentes ont été violées, tuées, égorgées, éventrées, mutilées de la façon la plus barbare qui soit et c’est ce symbole, dont nous gardons les stigmates à jamais et qui font partie de nos plus douloureux cauchemars, qui a été choisi par HEC Montréal. »

Cette « décennie noire » s’est terminée en 2002, et le voile n’est pas légalement obligatoire en Algérie. Mais il y a trois ans, dix jeunes Algériennes se sont suicidées, ne laissant qu’un message : au lieu d’une corde pour se pendre, elles avaient utilisé leurs hidjabs. Cela a lancé un mouvement, « les prisonnières du hidjab », des femmes qui affirment que la pression pour son port est omniprésente, emprisonnante.

La situation est évidemment complètement différente à Montréal, où le voile, selon une intervenante interrogée dans ces pages, peut être « un symbole féministe ». Je n’en doute pas. Des femmes peuvent porter le voile pour se distinguer, pour fuir l’hypersexualisation, pour faire un pied de nez à l’Occident, à François Legault, à leur famille non pratiquante, parce qu’elles trouvent ça beau, pratique, ou simplement parce qu’elles sont dévotes. Tous les cas de figure existent. Y compris celui du père montréalais d’origine algérienne reconnu coupable l’an dernier d’avoir voulu tuer ses quatre filles parce qu’elles souhaitaient « s’habiller comme des Québécoises ». Ce despote domestique était d’avis que le voile signifiait, comme le disent les imams, modestie et soumission. Bref, le voile choisi — féministe ou religieux — et le voile contraint — y compris violemment — cohabitent à Montréal. Et si on ne dit rien alors qu’on assiste à la normalisation du voile dans des publicités gouvernementales (et privées), ne donnons-nous pas aux intégristes des outils supplémentaires ?

Alors, bon, comme je vous le disais, j’étais en vacances et j’ai écrit un tweet. Un excellent quotidien montréalais a décidé d’en faire une nouvelle. Cela m’a un peu étonné, mais pourquoi pas ?

Quoi d’autre ? Ah oui, j’ai été insulté par quatre plumes du quotidien La Presse. D’abord, Yves Boisvert a affirmé dans un gazouillis que ma position « subodore l’opportunisme politique ». Ce champion de la présomption d’innocence pense que je ne crois pas vraiment ce que je dis. Comme j’aime débattre mais pas insulter, j’ai répondu que je lui reconnaissais « le droit de choisir d’être mesquin ». Sa collègue Rima Elkouri a eu la bonne idée de consacrer une chronique à la jeune femme sur la photo de HEC ; elle est super sympathique. Rima m’a aussi mis en contradiction avec une citation de mon livre Nous de 2007 où je me disais non préoccupé par la présence du voile ; c’est de bonne guerre. Maniant l’ironie, Rima m’a écrit : « Votre féminisme m’émeut. » J’ai répondu que son « absence de compassion pour les femmes victimes du voile contraint en Algérie et à Montréal me désole ». Elle a attiré mon attention sur le livre qu’elle a écrit pour dénoncer le voile contraint en Iran ; je l’en ai félicitée. Mais elle m’a accusé « d’instrumentaliser » les femmes voilées ; je n’ai pas compris en quoi je les instrumentalisais davantage qu’elle, puisqu’on écrit tous les deux sur le sujet. Puis, le chroniqueur Marc Cassivi m’a aussi accusé « d’opportunisme » ; il ne m’a pas nommé, mais a parlé de « s’enliser ». C’est comme un jeu de mots, voyez-vous. Le quatrième est un collaborateur régulier du grand journal de la rue Saint-Jacques : Jocelyn Maclure. Homme brillant, il dirige une chaire de philosophie à McGill. Lui m’a traité d’islamophobe ; je lui ai demandé s’il comprenait que c’était un synonyme de raciste et qu’il qualifiait ainsi quelqu’un qui a simplement un point de vue sur la laïcité différent du sien. Il n’a pas relevé.

J’ai finalement demandé à Rima ce qu’elle pensait de deux publicités canadiennes récentes, dont l’une de la Commission des droits de la personne, qui montrent de façon positive des fillettes voilées. J’attends sa réponse. Je comprends que ça demande réflexion.

Tiens, j’ai une idée. Le 7 septembre se tiendra à Montréal le lancement du livre Lever le voile de Yasmine Mohammed, la Canadienne forcée de porter le voile intégral par son mari et qui dirige maintenant un réseau de femmes libérées du voile contraint, y compris chez nous, Forgotten Feminists. Ce lancement serait une chouette occasion pour qu’Yves, Jocelyn et Rima viennent célébrer avec moi le courage de ces femmes et qu’on en profite pour définir une position commune sur l’occasion de montrer des petites filles voilées dans des pubs gouvernementales. Je suis certain qu’on peut s’entendre.

Marc : tu peux venir aussi.

jflisee@ledevoir.com/blogue : jflisee.org

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