Claude Kamal Codsi est le président du rassemblement pour la laïcité, regroupement dont L’AHQ est membre. Ce texte, que nous reproduisons ici a été publié dans La Presse du 2 novembre. Vous pouvez consulté l’original ici sur le site de La Presse plus
« La laïcité ? Mais ce n’est pas réglé ? » La question revient souvent quand on évoque le procès intenté contre la Loi sur la laïcité de l’État (communément appelée loi 21), qui est pourtant le produit d’un long débat entamé depuis de nombreuses années. Pourquoi cette loi est-elle attaquée ? La question est d’autant plus légitime que les exigences de la Loi sont modérées, l’interdiction du port de signes religieux ne s’appliquant qu’à certaines catégories d’employés de l’État en position d’autorité, comme les policiers et les enseignants.
Pourtant, peu de temps après son adoption le 16 juin 2019, elle est contestée par une coalition de groupes et d’individus, dont le Conseil national des musulmans canadiens, l’English Montreal School Board et la Fédération autonome de l’enseignement (FAE). En tout, 18 parties contestataires seront entendues lors du procès qui débute en Cour supérieure le 2 novembre. Du côté des défenseurs de la loi on compte, aux côtés du Procureur général du Québec, trois associations : le Mouvement laïque québécois (MLQ), Pour les droits des femmes du Québec (PDF Québec) et les Libres penseurs athées (LPA).
À travers les préoccupations de santé publique liées à la COVID-19, la crise économique, le débat sur la liberté d’enseignement et l’élection présidentielle américaine, un important débat juridique s’apprête à s’engager à Montréal. Quelle qu’en soit l’issue, il aura des répercussions importantes sur l’avenir politique, le paysage juridique et l’évolution de nos institutions.
LES QUESTIONS SOUMISES AU DÉBAT JURIDIQUE
Quel est l’objectif de la laïcité ? Il s’agit de séparer l’État des religions et d’assurer la neutralité religieuse de l’État, dans les faits et les apparences. Le tout, afin de garantir la liberté de conscience et de religion, ainsi que l’égalité de traitement de tous les citoyens et citoyennes dans leurs interactions avec l’État. En particulier, la laïcité protège la liberté religieuse tout en s’assurant que les règles religieuses ne puissent interférer avec les règles établies démocratiquement. Tel que l’expose Me Julie Latour, l’article 4 de la Loi donne de nouveaux droits en prévoyant que toute personne a fondamentalement droit à des institutions et des services publics laïques.
Par ailleurs, selon les opposants à la loi 21, cette dernière serait discriminatoire envers certaines minorités religieuses. Cet argument néglige le fait que c’est plutôt la liberté de conscience des élèves et des parents qui est bafouée lorsqu’un enseignant ou une enseignante porte un signe religieux et affiche ainsi sa préférence pour une religion. Il ou elle transmet ainsi un message religieux qui n’est pas neutre et qui est susceptible de mettre de la pression sur des jeunes à un âge où ils sont particulièrement vulnérables et influençables. Comme l’exposeront en Cour des musulmanes laïques, cet affichage religieux peut être particulièrement préjudiciable pour leurs enfants à qui l’on transmettrait à l’école, à travers le modèle véhiculé par une enseignante portant le voile, le message qu’une « bonne musulmane » est une musulmane voilée. Cet argument vaut tout autant pour les pratiques religieuses de toutes les religions. L’enseignant a un devoir de réserve en matière religieuse, comme c’est déjà le cas pour l’affichage de ses convictions politiques.
Bien que la Loi ne mentionne aucune religion en particulier, c’est surtout du voile qu’il sera question lors du procès car, comme le faisait remarquer le professeur Guy Rocher en commission parlementaire en 2019, c’est aujourd’hui la religion musulmane qui est la plus visible. À une époque pas si lointaine, c’était alors le catholicisme qui était le plus visible. Nous ne savons pas quelle sera la réalité dans 10, 20 ou 50 ans, ni quelle religion sera à l’avant-scène. La loi met en place les conditions d’un mieux vivre-ensemble pour le présent, mais aussi pour le futur du Québec qui sera, très certainement, de plus en plus riche de diversité.
UN ENJEU IMPORTANT
Le débat est donc réouvert sur la neutralité religieuse, les limites de l’affichage religieux, les conflits de droits, notamment entre liberté religieuse et égalité des sexes, mais aussi, entre autres, sur le recours à la clause dérogatoire. Le débat sera âpre mais passionnant. Le gouvernement du Québec subira des attaques virulentes et injustes (qui ont déjà commencé) prétendant que la conception québécoise de la laïcité serait intolérante, discriminatoire (certains l’ont même odieusement qualifiée de raciste), et ce, en dépit du fait que de très nombreux québécois de toutes origines et de toutes religions la revendiquent fièrement.
En inscrivant, dans la Charte des droits et libertés de la personne, que les libertés et droits fondamentaux doivent s’exercer dans le respect de la laïcité de l’État, le gouvernement du Québec a posé un jalon important pour renforcer la démocratie et inscrire la laïcité comme un droit fondamental. La laïcité de l’État devient un des socles de la démocratie dans une société de plus en plus diversifiée, multiethnique et multiconfessionnelle.
Tout au long de ce procès en Cour supérieure, qui se poursuivra vraisemblablement en Cour d’appel, puis en Cour suprême, le Rassemblement pour la laïcité (RPL) informera le public des enjeux en cours et soutiendra activement ses associations membres, afin de préserver cette loi qui représente une avancée significative vers la laïcisation des institutions québécoises.
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