Mettons fin à la discrimination vestimentaire favorisant les religions chez les députés !
Michel Belley
Membre de l'Association humaniste du Québec
Michel Belley a déjà siégé au CA de l’AHQ. Il est actuellement le président des sceptiques du Québec.
D’une part, à l’Assemblée nationale, la CAQ, le PLQ et le PQ ont critiqué les députés de Québec Solidaire pour leur tenue vestimentaire représentative du monde étudiant, alors que les autres députés peuvent porter des vêtements et symboles représentatifs de leur religion. Ceci met en évidence qu’au nom d’un certain décorum on favorise l’affichage des affiliations religieuses aux dépens des autres, non religieuses, ce qui est tout à fait discriminatoire. Un député peut donc porter un symbole religieux antiféministe, mais ne peut pas porter un symbole féministe, athée ou humaniste. Tout ceci fait suite aux critiques concernant l’habillement de deux députés de Québec Solidaire, Sol Zanetti et Catherine Dorion, qui se sont présentés à l’Assemblée nationale en jeans, espadrilles, t-shirt (sous un veston) et bottes Dr Martens. « Inacceptable ! a déclaré le whip du gouvernement, Éric Lefebvre » (Huffpost, 5 déc. 2018).
Il n’y a pas de règles officielles sur la tenue vestimentaire des députés à l’Assemblée nationale, mais seulement un décorum qui recommande la tenue de ville. Et c’est la raison pour laquelle le président de l’Assemblée nationale, M. François Paradis, est intervenu en chambre pour tenter de clarifier la situation, en attendant une réforme possible de ce décorum.
Ainsi, selon ce que rapporte le journal Le Soleil du 5 février, M. Paradis aurait déclaré : « Je conçois très bien que pour certaines personnes, leur habillement constitue une manière de se définir et que c’est une partie intrinsèque de leur identité et de leur personnalité. » Toujours selon lui, « les vêtements ne doivent pas servir de moyen d’expression en arborant par exemple des slogans ou des messages publicitaires. »
Je suis d’accord avec M. Paradis lorsqu’il affirme que les vêtements reflètent notre personnalité, et qu’ils servent souvent de message publicitaire, de façon similaire aux symboles religieux. Quel est le message envoyé par les députés de QS ? Ils sont solidaires avec leurs électeurs, qui sont en majorité des étudiants dans certains comtés. Ainsi, « Mme Dorion a fait valoir… qu’une tenue décontractée lui permettait notamment de rejoindre les jeunes et de les intéresser à la politique » (Huffpost, 5 déc. 2018). N’est-ce pas louable comme attitude ? Mais ce message ne passe pas !
Par contre, pour représenter les personnes religieuses, alors là, on peut porter des vêtements servant de moyen d’expression et arborant des messages publicitaires implicites. Pour l’instant, ce décorum favorise donc les religions, et défavorise les autres groupes sociaux. De plus, les députés ne peuvent pas porter de symboles partisans ni idéologiques. Ils ne peuvent donc pas afficher symboliquement leurs orientations environnementaliste, humaniste, féministe, ni leur athéisme. Quant aux jeans et aux espadrilles, s’ils étaient liés à une religion, ils deviendraient, comme par enchantement, acceptables…
Le port de vêtements et symboles religieux est un moyen d’expression qui permet d’afficher une opinion qui pourrait être formulée comme suit : « Je crois en tel dieu ou en tel prophète, et j’adhère aux lois révélées, qui sont de loin supérieures aux lois humaines. » Et, il ne faut pas se le cacher, bien des électeurs vont voter pour la religion affichée par un candidat (ou pour le parti qui a accueilli ce candidat dans ses rangs) plutôt que pour ses idées exprimées verbalement. La publicité liée à une religion, ou à un groupe social, devient donc très importante. Même avec le projet de loi 21, on ferme encore les yeux sur l’effet propagandiste des vêtements et symboles religieux portés par les députés. Ce projet de loi veut encadrer la magistrature, mais il fait une exception avec les députés et ministres qui, pourtant, sont ceux qui votent les lois… Ceux qui discutent de la politique vestimentaire à l’Assemblée nationale sont donc devant un dilemme, parce que, présentement, la liberté d’expression des députés non religieux est entravée. Leur première alternative serait d’assouplir le décorum actuel pour favoriser cette liberté d’expression en acceptant l’affichage des symboles idéologiques et partisans ainsi que les vêtements et symboles propres aux groupes sociaux non religieux. L’autre alternative est d’adopter un code vestimentaire qui élimine le prosélytisme idéologique ou religieux, ce qui inclut le crucifix et certains symboles partisans utilisés par le passé, comme les carrés rouges lors du printemps érable. La France a par ailleurs légiféré en ce sens : « Le 24 janvier dernier, le Bureau de l’Assemblée nationale a décidé de modifier son Instruction générale afin que la tenue vestimentaire des députés ne soit plus le prétexte à la manifestation de l’expression d’une quelconque opinion » (lessurligneurs.eu).
Personnellement, j’ai un fort penchant pour cette seconde option, parce que certains groupes sociaux ou certaines idéologies n’ont pas de vêtement ou de symbole reconnu permettant de les représenter, et que les symboles ou vêtements de certains groupes religieux sont beaucoup plus voyants que d’autres. De plus, cet affichage idéologique ou religieux pourrait favoriser l’animosité entre députés de croyances différentes. N’oublions pas que, de tout temps, les religions ont favorisé le ségrégationnisme et la croyance que seuls leurs gourous sont élus de Dieu. Finalement, la discrimination entre un vêtement ou un symbole religieux et un autre qui provient d’une idéologie ou d’une culture non religieuse doit cesser. Le passe-droit accordé à l’affichage publicitaire des croyances en des êtres surnaturels hypothétiques doit disparaitre de la fonction publique. Malheureusement, le projet de loi 21 passe à côté de cet enjeu en n’incluant pas ceux qui votent nos lois, les députés, dans son application.
- Michel Belley est un élu au Conseil d’administration de l’Association humaniste du Québec
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