Deux neutralités : Une laïcité

par Mai 11, 2019actualités, Laïcité, Québec humaniste, Réflexions0 commentaires

Daniel Baril

Daniel Baril

Daniel Baril a été journaliste à l’hebdomadaire Forum de l’Université de Montréal pendant près de 23 ans. Il est actuellement président du Mouvement laïque québécois (par intermittence pendant deux décennies) et a été également membre du conseil d’administration de l’Association humaniste du Québec. Il est le cofondateur du groupe Les Intellectuels pour la laïcité et co-rédacteur de la Déclaration pour un Québec
laïque et pluraliste. 

Dans une libre opinion du Devoir du 11 janvier, Robert Howe affirmait qu’il est « bien réducteur de ne regarder que la laïcité » et proposait plutôt d’aborder « la réflexion au niveau du principe de la neutralité ». Il faut lui accorder entièrement raison lorsqu’il soutient que « les employés de l’État en position d’autorité doivent être neutres » et que « cela inclut les enseignants qui, eux, ont une autorité morale sur les élèves et sur leurs parents ».

Le développement que fait M. Howe de cette exigence de neutralité pour ces employés est correct. Aux exemples qu’il donne, il faut ajouter celui du programme Éthique et culture religieuse (ÉCR) qui exige des enseignants une attitude de neutralité envers les religions. Or, comment être religieusement neutre si on autorise en même temps le port de signes religieux ostentatoires par les enseignants ? Là où le texte de M. Howe pose problème, c’est lorsqu’il oppose laïcité et neutralité sans donner aucune définition de l’une ni de l’autre. Il ajoute ainsi à la confusion qui règne dans ce débat.

Une définition consensuelle de la laïcité est donnée par le rapport Bouchard (cessons de parler du rapport Bouchard-Taylor puisque Charles Taylor a renié sa signature) et comporte quatre principes: protection de l’égalité des personnes; protection de la liberté de conscience et de la liberté de religion; séparation des religions et de l’État; neutralité de l’État face aux religions. La neutralité est donc l’une des composantes de la laïcité et ne saurait y être opposée.

Ce même rapport définit la neutralité religieuse comme une « philosophie politique qui interdit à l’État de prendre parti en faveur d’une religion ou d’une vision du monde aux dépens d’une autre ». La dernière partie de la définition — « aux dépens d’une autre » — est essentielle et signifie qu’un État peut afficher un parti pris favorable aux religions à condition de n’en exclure ou de n’en privilégier aucune. La neutralité ainsi définie et prise isolément des autres composantes de la laïcité, est en fait une « neutralité complaisante » à l’égard des religions.

Il s’agit donc d’un oxymore puisque la

Crucifix

Le crucifix a été placé à l’Assemblée nationale par le premier ministre Maurice Duplessis en 1936 pour sceller l’union de l’Église et de l’État. Le ministre actuel de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, Simon Jolin-Barrette, a fait adopter une motion à l’unanimité pour déplacer l’objet qui est considéré comme « patrimonial » et religieux et le mettre en valeur ailleurs dans l’enceinte du Parlement. Même les libéraux ont voté en faveur de cette mesure.

complaisance est un acte qui vise à ne pas déplaire. Chercher à ne pas déplaire, ce n’est pas être neutre; c’est faire preuve d’un préjugé favorable. La neutralité complaisante est celle du sécularisme anglo-saxon qui prévaut notamment au Canada anglais, aux États-Unis et en Angleterre. Cette pseudo neutralité est celle d’un État qui n’a pas de religion officielle mais qui conserve des liens privilégiés avec les religions en leur accordant des passe-droits.

Aux États-Unis, la constitution interdit d’établir une religion d’État mais n’interdit pas d’établir des relations privilégiées avec les religions. Au parlement de l’Ontario, les députés récitent par alternance pas moins de huit prières de diverses confessions en prétendant ainsi être « neutres ». C’est au nom de ce principe que l’on voit le premier ministre canadien Justin Trudeau revêtir les apparats de toutes les religions même dans le cadre de ses fonctions de chef d’État. Au Québec, c’est encore au nom de la neutralité complaisante que la loi 62 (Loi sur la neutralité religieuse de l’État) de l’ex-gouvernement Couillard autorise le port de signes religieux ostentatoires par les employés de l’État. Appliquée au cours ÉCR, cette approche a donné lieu à un enseignement multiconfessionnel plutôt qu’à un enseignement non confessionnel et laïque.

Pour y voir clair, il faut donc introduire une distinction entre neutralité complaisante et neutralité laïque. À la différence de la première, la neutralité laïque commande plutôt de proscrire toute manifestation religieuse dans les institutions de l’État. C’est d’ailleurs cette approche qu’a retenue la Cour suprême du Canada dans son jugement sur la prière municipale à Saguenay, mais qu’aucun gouvernement n’a eu jusqu’ici le courage de faire respecter. Même si elle ne se réfère pas au principe de laïcité qui est inexistant dans les lois canadiennes et québécoises, la Cour n’en a pas moins rendu un jugement conforme au principe de laïcité en proscrivant la prière dans les institutions publiques.

La neutralité complaisante est celle de la « laïcité ouverte » qui est un autre oxymore puisque cette « laïcité » est ouverte à l’intrusion du religieux dans les institutions publiques alors que le rôle de la laïcité est d’assurer une séparation entre le religieux et la sphère étatique. La seule neutralité digne de ce nom est donc la neutralité considérée comme l’une des composantes de la laïcité : elle n’accorde aucune faveur à quelque religion en les considérant toutes sur le même pied que n’importe quel autre système idéologique. Et il n’y a qu’une seule laïcité, soit celle qui respecte ses quatre composantes.

Texte également publié dans Le Devoir du 15 janvier 2019. 

Trudeau

On sait que le premier ministre canadien aime bien faire des prières lors de ses fonctions officielles en portant les vêtements et signes religieux de diverses communautés. Ceci représente une neutralité complaisante selon Daniel Baril.

On exécutait les philosophes en Grèce antique pour impiété Le cas le plus célèbre d’exécution, après procès et par l’État, en Grèce antique, d’un philosophe pour impiété, est celui de Socrate. L’impiété, à cette époque était la remise en question du polythéisme de l’époque. Plusieurs autres philosophes de la Grèce antique ont aussi été exécutés de la même façon pour la même raison: Theophraste, Diagoras, et Andocides.

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