Mémoire de l’Association humaniste du Québec concernant le Projet de Loi 62 (sur la neutralité religieuse de l’État) de l’Assemblée Nationale du Québec
CLAUDE BRAUN
Administrateur et éditeur en chef du "Québec humaniste"
Claude Braun a été professeur de neurosciences cognitives à l'UQAM de nombreuses années. Retraité depuis peu, Il a publié nombres de documents de recherches sur le sujet. Il a été également éditeur du "Québec laïque" et est depuis quelques années l'éditeur en chef de notre revue "Québec humaniste" Il a également publié "Québec Athée" en 2010. Téléchargeable gratuitement en utilisant ce lien avec les compliments de l'auteur.
Michel Virard
Président de l'AHQ
Michel Virard est un des fondateurs de l’AHQ en 2005 avec Bernard Cloutier et Normand Baillargeon. Ingénieur et entrepreneur, il a également été administrateur des Sceptiques du Québec. il est depuis les tout débuts l’une des âmes dirigeantes de l’AHQ.
ise en contexte. Rappelons qu’à partir de 2002 une action concrète et concertée du gouvernement fédéral canadien favorisait et canalisait des immigrants francophones vers le Québec, collaborant avec le Québec pour maintenir une démographie francophone minimale et allégeant le fardeau du gouvernement du Québec quant à la francisation de ses immigrants. Dès lors, le Québec a reçu une très forte proportion d’immigrants de pays arabes francophones et de culture musulmane. La Commission Bouchard-Taylor a été mise sur pied en 2007 par le gouvernement provincial de Jean Charest afin de désamorcer de graves tensions sociales au Québec résultant de cette nouvelle immigration, particulièrement en ce qui a trait à l’aspect religieux. Le rapport Bouchard- Taylor proposait une forme de laïcité « ouverte » qui ressemblait davantage à un mantra multiculturaliste qu’une véritable laïcité. L’immigration musulmane francophone vers le Québec n’a jamais cessé de croitre jusqu’à ce jour. Entre temps, les tensions sociales entre les Québécois et les immigrants musulmans n’ont cessé de s’aggraver. Peu après l’arrivée du parti québécois au pouvoir en 2012, le ministre Bernard Drainville a déposé un projet de charte de la laïcité. Celui-ci s’attaquait essentiellement et presque exclusivement au voile islamique qu’il cherchait à réprimer. Le gouvernement Marois étant minoritaire, il a rapidement été remplacé par le gouvernement libéral de Philippe Couillard qui a rapidement montré à quel point il était allergique à la laïcité puisque son Projet de Loi-59 se dénommait « Loi concernant la prévention et la lutte contre les discours haineux et les
discours incitant à la violence et apportant diverses modifications législatives pour renforcer la protection des personnes » -ce qui revenait à instaurer une loi provinciale anti-blasphème. Ce projet de loi souleva un tollé tel que le gouvernement libéral le mit rapidement au rancart. En octobre 2016 ce même gouvernement mit sur pied une Commission publique de l’Assemblée Nationale sur le Projet de Loi 62 qui vise à imposer le visage découvert lors des transactions entre citoyens et officiers d’État, à faciliter et encadrer les accommodements religieux, et à contraindre quelque peu les garderies subventionnées à ne pas devenir des foyers de « radicalisation ». Le Mouvement laïque québécois fut exclu de la consultation, un véritable scandale, tandis que L’Association humaniste du Québec, sans doute perçue comme plus « raisonnable », moins « intransigeante », fut invitée par la Commission à lui déposer un mémoire par écrit et à le présenter en personne à l’Assemblée nationale le 27 octobre 2016. Le président de l’AHQ, Michel Virard, et Claude Braun, membre du CA et rédacteur de Québec humaniste, ont présenté le mémoire humaniste en personne à la Commission. Cette présentation peut être visionnée au site https://www.facebook.com/assohum.org/videos/10154641984079836/. Nous reproduisons ici ce mémoire tel que déposé.
Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État et visant notamment à encadrer les demandes d’accommodements
religieux dans certains organismes 25-10-2016
Qu’est l’Association humaniste du Québec ?
L’Association humaniste du Québec (AHQ) a été fondée en juin 2005 afin de donner une voix aux athées et aux agnostiques et
organiser à leur intention diverses activités sociales, culturelles et philosophiques axées sur le développement de la pensée critique,
la raison libre de tout dogme, et la promotion de l’humanisme séculier. L’AHQ est membre de l’International Humanist and Ethical
Union (IHEU, Londres) ainsi que de l’Association Internationale de Libre Pensée (AILP, Paris).
Qui est représenté par l’Association humaniste du Québec ?
L’AHQ rejoint un réseau de quelque 800 personnes réparties dans toutes les régions du Québec. Les citoyens sans appartenance
religieuse (incluant athées, agnostiques, humanistes et sans religion) constituent le deuxième groupe en importance au Québec
au classement des convictions religieuses. Selon les données du recensement canadien de 2011, ce groupe représente 12% de la
population québécoise, un taux qui a doublé en 10 ans. Plusieurs pays, l’Angleterre par exemple, comportent une majorité de tels
citoyens.
L’avis de l’Association humaniste du Québec sur le Projet de loi 62.
Le titre du Projet de loi 62 ainsi que plusieurs renvois au principe de base sous-jacent au projet de loi affirment une valeur
fondamentale de la vie en société, qui est la « neutralité religieuse de l’État ». L’AHQ est tout à fait favorable à ce principe dans la
mesure où neutralité signifierait que:
-L’État se déclare incompétent en matière de religion
-L’État ne favorise ni ne déprécie, ne finance ni ne taxe, n’accommode ni ne surveille, n’éduque ni ne déradicalise, quelque particulier
ou organisation de par le seul positionnement cosmogonique de ce dernier (religion révélée, déisme, athéisme, agnosticisme)
Bref, l’AHQ n’est intéressée en aucune façon à une nuance qui pourrait être faite entre neutralité religieuse de l’État et laïcité. Pour
nous, les deux sont, et doivent être, exactement la même chose. Le lecteur est donc invité à prendre connaissance du mémoire que
l’AHQ a déposé en 2013 à l’Assemblée Nationale du Québec sur le Projet de loi 60 (en annexe du présent mémoire). Cette annexe
rend explicites et exhaustives les propositions de l’AHQ sur la neutralité religieuse de l’État ou sur la laïcité, deux propositions que
nous considérons comme devant être identiques.
L’AHQ juge plutôt que la neutralité religieuse visée par le Projet de loi 62 est en continuité avec la tradition à moyen terme de
l’État québécois en ceci que L’État entend accommoder, soutenir, enrichir, faciliter l’activité religieuse, jusqu’à la limite où
les problèmes sociaux graves et alarmants commencent à poindre : violences physiques, sexisme outrageant, rituels rendant
le citoyen dysfonctionnel dans son rapport aux dispensateurs de services étatiques ou rendant l’employé d’État dysfonctionnel
dans la prestation des services d’État. Ainsi, dans le Projet de loi 62, ce n’est pas la neutralité religieuse de l’État qui est visée,
mais seulement quelques balises spécifiant quelques limites d’expression religieuse qui ont soulevé l’actualité québécoise dans
le passé récent. Bref, le Projet de loi 62 vise à faire respecter non pas la neutralité religieuse de l’État, mais à faire respecter la
religion par l’État, en balisant les religions pour qu’elles permettent à l’État de la respecter.
Le principe de neutralité religieuse est affirmé dans le Projet de loi 62, en quelque sorte, comme une évidence. Pourtant, le préambule
de la Constitution canadienne affirme l’existence de Dieu et affirme que les Canadiens reconnaissent la reine d’Angleterre, d’office
-chef de l’Église Anglicane, comme étant son souverain. La loi fédérale C296 criminalise le blasphème. On voit bien ici que la
neutralité religieuse ne va pas de soi dans l’espace juridique Canadien. Les chartes des droits et libertés, tant canadienne que
québécoise, affirment que nulle discrimination ne peut être faite envers les citoyens individuels sur la base de leurs croyances ou
incroyances religieuses. Mais ces dispositions sont loin de suffire à encadrer et à bien définir la notion de neutralité religieuse de
l’État, et a fortiori la notion de laïcité. Par exemple, les salariés d’État offrant des services d’animation spirituelle ou d’enseignement
religieux ou des services de pastorale sont exclus de toute application de la Loi 62. Aucune contrepartie n’est offerte aux citoyens sans
religion. On ne trouve pas d’animateur athée, agnostique, antidogmatique ou rationaliste, salarié par l’État, pour rendre des services
cosmogoniques, spirituels, philosophiques, aux citoyens québécois très nombreux qui n’adhèrent pas à quelque religion que ce soit.
Il est évident que l’État québécois favorise les religions, n’est pas neutre en matière de religion. Il impose l’enseignement de la
culture religieuse sans contrepartie non religieuse. Il finance les écoles privées religieuses. Il finance l’enseignement de la théologie.
Il finance des services purement religieux, tels des aumôniers. Il offre d’importantes échappatoires aux établissements religieux en
impôts fonciers. Il supporte de nombreuses échappatoires fiscales aux personnes religieuses sur la seule base du fait qu’elles sont
religieuses. Il accorde très facilement aux Églises et aux organisations religieuses le statut de charité pour fin d’impôts… (voir
l’annexe pour une longue liste d’exemples).
L’AHQ est favorable à une recherche de plus de véritable neutralité religieuse de L’État même si, dans la jurisprudence canadienne
et québécoise et dans les mœurs institutionnelles et politiques québécoises, il existe énormément d’entorses à ce principe, dont les
principales (avantages fonciers et fiscaux des églises et religieux, éducation religieuse obligatoire, financement public d’écoles
religieuses) ne sont pas abordées par le Projet de loi 62. Nous constatons que les dispositions du Projet de loi 62 ne favorisent que
dans quelques aspects particuliers et secondaires une timide neutralité religieuse de l’État québécois.
Les dispositions prescriptives spécifiques du Projet de loi 62.
L’AHQ appuierait globalement l’esprit de la plupart des dispositions du Projet de loi 62, dans la mesure où elles feraient évoluer le
Québec davantage vers une société laïque, mais tel n’est pas le cas dans la formulation actuelle du Projet de loi 62.
L’AHQ est d’accord qu’il est salutaire de restreindre l’utilisation de signes ostentatoires inacceptables, par les représentants de l’État
et bénéficiaires des services de l’État au moment de l’interaction normalement prévue dans le registre des services d’État auxquels
la population a droit. L’AHQ reconnaît, à l’instar du Projet de loi 62, que les signes inacceptables sont ceux qui rendent l’interaction
entre officier de l’État et citoyen dysfonctionnelle. Nous pensons qu’il est contre-productif de spécifier que ces signes sont religieux
ou pas, la définition d’une religion ou d’une croyance religieuse ou d’un signe religieux étant sujette à litige à un point tel que l’État
risquerait de s’embourber dans des débats stériles et malintentionnés, contestations, poursuites, accusations, manœuvres dilatoires.
Toutefois, à cause de la nature absolutiste et péremptoire des signes religieux, de leur aptitude à inspirer un sentiment de menace
chez le citoyen, l’AHQ demande que tout signe ostentatoirement religieux, ou exprimant un positionnement identitaire apte à
inspirer un sentiment de menace, soit explicitement et nominativement interdit aux officiers de l’État dans le cadre de leur travail.
L’AHQ adhère à un concept de devoir de réserve des officiers de l’État.
L’AHQ est d’accord qu’il est salutaire de préciser que les accommodements en milieu de travail pour raisons religieuses ne peuvent
être faits au détriment des autres employés, car ceci a pour effet de faire de l’accommodement religieux une affaire strictement
personnelle qui n’a pas besoin d’être présentée à l’État sous forme religieuse, transformant les salariés d’État, les gestionnaires, les
hauts cadres, en théologiens qui devront comprendre la culture religieuse des demandeurs d’accommodements, juger de l’authenticité
et de la sincérité de leurs croyances religieuses. Ceci est une parfaite impossibilité. La croyance religieuse est insondable, intraitable,
non rationnelle. L’imposition de l’équité en matière d’accommodements doit revenir à dire, et cela explicitement, que sur le lieu de travail, tout congé payé, tout changement d’horaire, tout accès à un local ou à une autre ressource, doit être accordé de façon
équitable à l’égard de tout autre employé qu’il soit religieux ou pas, ceci sans considération de sa croyance ou de sa ferveur
religieuse, agnostique, athée, ou autre.
La seule signification rationnelle de l’accommodement est d’accepter que les collectivités fassent un effort spécial pour venir en aide aux personnes handicapées. La croyance religieuse est tout à fait une affaire de choix personnel. Personne ne devrait être obligé d’accommoder les croyances ou rituels religieux des autres à ses frais, sur les lieux de travail, sans contrepartie. L’AHQ est d’accord que l’admissibilité de services de garde d’enfants aux subventions de l’État québécois comporte
l’interdiction d’un enseignement d’une croyance, d’un dogme ou d’une pratique religieuse. Toutefois, nous nous objectons à ce que la liste des exceptions prévues par le Projet de loi 62 rende cette disposition de loi pratiquement inefficiente, ouvrant par ailleurs de nombreuses possibilités et motifs à plainte et de tentatives de contournement.
La deuxième note explicative aborde la question de l’apparence religieuse des personnes donnant ou recevant des prestations de l’État en se limitant à un seul aspect, la visibilité du visage. Ceci permet au Projet de loi 62 de paraître respecter les rituels, costumes, et pratiques religieuses tout en exigeant un comportement nécessaire pour des raisons purement techniques d’identification. Pourtant beaucoup d’autres signes ou objets ou comportements religieux, ne cachant pas le visage, peuvent rendre le travail ou la transaction « État-citoyen » techniquement impossible ou déficiente (ex. : L’exigence de ségrégation entre les sexes, le refus de vaccination ou de transfusion sanguine des enfants, etc.). La loi devrait spécifier que les signes, vêtements, objets ou comportements religieux ou non religieux, au moment de la transaction entre l’officier d’État et le citoyen, seront tolérés dans la mesure où ils ne compromettent pas techniquement ou socialement l’interaction consistant en un service gouvernemental auquel les citoyens ont droit ou un comportement défini par la loi comme une obligation citoyenne. La religion n’a rien à y voir.
Le cinquième paragraphe des notes explicatives spécifie avec force qu’il sera interdit de faire d’une garderie d’État ou subventionnée par l’État un lieu d’identification, propagande ou enseignement religieux. L’AHQ est d’accord avec cette disposition (mais pas la liste des exceptions qui la rendent caduque, mort-née) et note toutefois que cette disposition entre en contradiction flagrante avec le cours Éthique et culture religieuse (ÉCR) du programme scolaire québécois. À première vue, on pourrait croire que l’interdit religieux radical imposé aux garderies vise à protéger une clientèle particulièrement et exclusivement jeune. Mais tel n’est pas du tout le cas. Les enfants de tout âge peuvent être bénéficiaires de services en garderie, d’État ou subventionnée. Pourquoi alors interdire à tel jeune d’être exposé à la religion à la garderie mais pas à l’école ? N’est-il pas contradictoire qu’un jeune soit interdit de religion en garderie tandis que ce même jeune est assujetti obligatoirement à un programme intensif d’enseignement religieux à partir de la première année d’école jusqu’à la fin du secondaire ?
L’AHQ préconise l’abolition pure et simple du volet religieux du programme ÉCR, particulièrement et d’urgence au cycle primaire. L’AHQ appuie à cet effet une pétition parrainée par le député Lisée présentement soumise à l’Assemblée Nationale du Québec.
En ce qui concerne le Projet de loi 62, pour éviter l’apparence et la réalité de cette contradiction, l’AHQ demande au législateur de clarifier en quoi l’interdit religieux en garderie se justifie tandis que ce même interdit religieux ne se justifie pas à l’école pour le même enfant ou pour l’enfant de même âge.
La position de l’AHQ sur les accommodements religieux est qu’ils devraient être totalement interdits.
Le fait que le Projet de loi 62 balise les accommodements religieux, en tant que tels, porte atteinte directement au principe de neutralité religieuse. L’AHQ pense que les accommodements peuvent être faits sur une base autre que religieuse, dimension au sujet de laquelle l’État devrait se déclarer totalement incompétent.
La section III(11) du Projet de loi 62 intitulée « Accommodements religieux » aborde un problème spécifique qui a heurté sévèrement la sensibilité d’un grand nombre de Québécois, nommément l’impression que les croyants peuvent, en invoquant leurs croyances, obtenir des avantages indus, uniques et inéquitables de la part de l’État. L’AHQ appuie fortement la disposition 5 Section III(11) du Projet de loi 62 « doivent être plus spécifiquement considérées : […] l’équité au regard des conditions de travail des autres membres du personnel … ». L’AHQ estime que cette disposition crée une situation où l’aspect religieux devient de facto caduc. Il n’y a pas d’accommodement religieux du personnel d’État si le personnel non religieux a la garantie d’accommodement équivalent. Pourquoi alors transformer l’État en arbitre de ce qui est religieux versus ce qui ne l’est pas, ce qui est authentiquement religieux versus ce qui ne l’est pas, ce qui est une religion légitime versus ce qui ne l’est pas ? Ces questions sont sans fond, ne relèvent pas de la raison, et sont en principe et dans les faits ingérables.
Recommandation
L’AHQ recommande que le Projet de loi 62 soit repensé de fond en comble afin qu’il puisse réaliser ce qu’il prétend réaliser, c’est-à-dire une véritable neutralité religieuse de l’État. Pour ce faire, l’AHQ met à la disposition de la Commission, en annexe, le mémoire de l’AHQ en date de 2013 déposé à l’Assemblée Nationale du Québec sur le Projet de loi 60. On y trouve un projet complet de laïcité de l’État québécois, c’est-à-dire de neutralité religieuse de l’État. L’idée centrale de la laïcité que nous réclamons est le respect par l’État de la liberté de conscience, en effet, mais ce respect de la liberté de conscience doit être balisé par la reconnaissance de la primauté de la démocratie et de la société de droit, particulièrement de la législation québécoise en matière de santé publique, de respect de l’environnement, de paix sociale, d’équité, de droits, de libertés et d’obligations citoyennes.
0 commentaires