Daniel Baril

Daniel Baril

Daniel Baril a été journaliste à l’hebdomadaire Forum de l’Université de Montréal pendant près de 23 ans. Il est actuellement président du Mouvement laïque québécois (par intermittence pendant deux décennies) et a été également membre du conseil d’administration de l’Association humaniste du Québec. Il est le cofondateur du groupe Les Intellectuels pour la laïcité et co-rédacteur de la Déclaration pour un Québec
laïque et pluraliste. 

Le blogue de Daniel Baril dans VOIR

Madame Gagnon,

Dans votre billet d’aujourd’hui « Laïcité : une idée importée » (!!!), vous me faites porte-parole du Mouvement laïque depuis 40 ans. Pour votre information, le Mouvement laïque québécois (MLQ) a été fondé en 1981 et j’en ai été tour à tour président, vice-président et porte-parole entre 1982 et 2009. Faites le calcul. Et lorsque que le Mouvement laïc de la langue française (MLF) était actif, j’avais autours de 13-14 ans ans.

Au-delà ces chiffres, ma persistance à mener le combat pour la laïcité montrerait, à votre avis, que ceux qui militent pour cette cause ne se sont pas renouvelés. Appliqué à votre propre situation, ce raisonnement nous ferait dire ceci : La Presse est un journal incapable de se renouveler puisqu’il nous donne à lire du Lysiane Gagnon depuis 50 ans.

Venons-en au contenu de votre billet. À commencer par le titre « une idée importée ». Importé d’où? Des États-Unis? Du Mexique? Des Pays Bas? De Belgique? De Turquie? De France? D’Uruguay? Tous ces pays ont dans leurs lois une forme ou l’autre de laïcité de l’État. À qui appartient la laïcité? À qui appartiennent les principes et les droits humains?

À supposé que la laïcité soit une idéologie importée, quel serait le problème? L’Occident serait en mesure d’exporter l’égalité raciale en Afrique du Sud, d’imposer l’égalité entre hommes et femmes en Afghanistan, de forcer l’adoption de son concept de droits humains en Chine et d’obliger des élections libres au cœur de l’Afrique, mais le Québec ne serait pas légitimé d’aménager la laïcité de l’État parce que d’autres États l’ont fait avant lui. Faudra que vous nous expliquiez cela.

Selon votre savante analyse, le Québec a « découvert le concept de laïcité » avec la crise des accommodements raisonnables. Wow! Moi qui croyais que Fleury Mesplet avait diffusé les idées des Lumières au Canada à la fin du 18e siècle. Je pensais aussi que la séparation de l’État et des Églises figurait dans la Déclaration d’indépendance des Patriotes et que l’Institut canadien, avec les Papineau, Dessaulles, Doutre et Buies, défendait le même principe. Je ne sais pas où j’ai pris de telles idées. Et il est sans doute erroné de penser qu’Adélard Godbout et Télesphore-Damien Bouchard ont affirmé l’indépendance de l’État sur l’Église en accordant le droit de vote aux femmes en 1940. Je croyais aussi que la Révolution tranquille avait été portée par un courant de laïcisation et que la Charte des droits et libertés reconnaissait, depuis 1975, des principes laïques comme la liberté de conscience et l’égalité des religions. Il faudra décidément que je révise mon histoire du Québec.

Sans cette laïcité de la Révolution tranquille que vous réduisez à rien, vous seriez encore obligée de sortir dans la rue avec un chapeau ou un voile sur la tête et, comme femme, vous n’occuperiez pas le poste que vous occupez maintenant. C’est aussi cela les acquis de la laïcité.

Vous réduisez les revendications concernant la restriction du port de signes religieux de la part des fonctionnaires à une question de xénophobie, comme le font tous les démagogues de ce pays. Mais le bon peuple, chère Madame, est capable de plus de discernement. Avez-vous déjà vu des gens s’offusquer des tuniques indiennes ou africaines sur la rue? Ce sont pourtant des tenues beaucoup plus ostentatoires et exotiques qu’un simple foulard mais qui ne véhiculent pas le même message.

La laïcité, dites-vous encore, ne serait plus une valeur de gauche tant au Québec qu’en France. Votre « preuve » : Québec solidaire se dissocie du projet de charte du PQ. Vous ignorez sans doute que la position de QS sur la laïcité provoque de profonds déchirements depuis plusieurs années. Vous ignorez que des gauchistes affichés et plusieurs syndicats défendent la proscription des signes religieux par les employés de l’État. Vous ignorez peut-être qu’en France, la Libre pensée, éternelle alliée du Parti Socialiste, est une ardente défenderesse de la loi de 1905 et se fait le chien de garde de l’intrusion du religieux dans les affaires de l’État. Et que dire du Parti de la gauche, qui fait de la défense de la laïcité républicaine l’un de ses chevaux de bataille?

Vous soulignez l’instrumentalisation de la laïcité par la droite française mais sans nous dire que la plupart des forces de droite, en France comme ici, soutiennent plutôt des positions comme la vôtre, c’est-à-dire la laïcité « ouverte » aux accommodements religieux, à commencer par votre journal et tous les intégristes religieux.

Votre texte démontre un tel manque de rigueur et de discernement qu’on ne sait pas trop s’il faut en rire ou en pleurer. Ce qui me désole le plus comme journaliste, c’est de lire de telles « analyses » dans l’un des grands quotidiens du pays. Oui, je sais, on trouve beaucoup pire encore. Mais ce n’est pas pour améliorer ma perception de la profession.

Daniel Baril, journaliste et militant laïque

CC : Forum de La Presse, mais sans attente particulière…

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *