Controverses de notre temps; Faut-il interdire le port du voile intégral au nom de la laïcité ?
Débat organisé au Centre humaniste le 10 juin 2013
Michel Virard situe le cadre du débat
Il s’agit du premier débat que nous tenons dans la série Controverses de notre temps. L’intérêt de la chose pour les humanistes est l’argumentation. Ce n’est pas nécessairement la conclusion. La façon d’argumenter, la façon de nous convaincre nous-mêmes d’une opinion est pour nous très importante. C’est ce qu’on appelle la pensée critique. Mais pour savoir si ça fonctionne, il faut que je mesure.
Je vais mesurer en posant la question, d’abord, combien d’entre nous sont prêts à changer d’opinion ce soir suivant l’argumentation présentée ?
Résultat : 24
Combien estiment qu’il y a très peu de chance qu’ils changent d’opinion ce soir, quelle que soit l’argumentation ?
Résultat : 13
Merci. Voyons maintenant comment se répartissent les opinions.
Combien d’entre vous sont indécis quant à l’enjeu de ce soir, soit faut-il interdire le voile intégral sur la place publique au nom de la laïcité ? Par voile intégral on entend celui qui cache le visage, niquab, burka et certains types de tchador qui sont complets. Nous parlons de la place publique, soit la rue, le trottoir. Nous ne parlons pas des institutions civiles. On se pose la question : la laïcité nous conduit-elle à interdire le voile intégral sur la place publique. C’est une question restreinte. Ça ne couvre pas tous les cas de figure. À noter que la loi française sur la burka n’a pas été faite au nom de la laïcité. Elle a été promulguée au nom de l’ordre public.
Combien d’indécis ?
Résultat : 2
Quels sont ceux qui estiment qu’il faut interdire le voile sur la place publique au nom de la laïcité
Résultat : 14
Quels sont ceux qui estiment qu’il ne faut pas interdire le voile intégral sur la place publique au nom de la laïcité ?
Résultat : 20
C’est le point de départ. Je présente les orateurs.
Michel Lincourt est partisan que la laïcité permet d’interdire le voile intégral sur la place publique. Il défendra cette thèse.
Michel Lincourt est architecte et urbaniste. Il a fait ses études au Collège André-Grasset (Baccalauréat ès arts), à l’université de Montréal (Baccalauréat en architecture), à Harvard University (Master of Architecture in Urban Design) et au Georgia Institute of Technology (Doctorat de philosophie). Sur une période de plus de quarante ans, il a pratiqué l’architecture, l’urbanisme, la consultation internationale, notamment au sein de l’UNESCO, et l’enseignement universitaire.
Daniel Baril défendra l’antithèse « Non, la laïcité en elle-même ne permet pas d’interdire le voile intégral ». Daniel est un journaliste, anthropologue, un écrivain et un activiste québécois. Il est un des administrateurs de l’Association humaniste du Québec et ancien président du Mouvement laïque québécois. Il a écrit plusieurs livres, notamment La grande illusion; comment la sélection naturelle a créé l’idée de Dieu[et un collectif Heureux sans Dieu, ainsi que Les mensonges de l’école catholique qui a largement contribué à la prise de conscience en faveur de la séparation de l’Église et de l’État au Québec.
Michel Lincourt
En toute liberté, les citoyens d’une société démocratique et civilisée comme la nôtre se donnent des lois ou des règlements pour assurer la paix, l’harmonie sociale, la prospérité et la justice. La double question à laquelle nous nous efforcerons de répondre ce soir est celle-ci : devons-nous passer une loi pour obliger tout le monde à circuler à visage découvert dans l’espace public québécois et devons-nous le faire au nom de la laïcité ? Bien sûr, on aura compris que la prescription de circuler à visage découvert entraîne l’interdiction de porter un masque dans l’espace public, ce qui signifie l’interdiction de porter le voile intégral islamique.
Première question : dans une société 
Deuxième question : le voile intégral est-il un symbole religieux, c’est-à-dire un symbole musulman ? À cette question je réponds oui et non, non et oui. Exemple : sur son site, la grande mosquée de Strasbourg, dans le cadre du débat en France sur le voile intégral, a écrit que le coran ne dit mot sur le voile intégral. Aucune mention dans le coran. La majorité des exégètes musulmans disent que le port du voile intégral n’est pas recommandé, ni interdit, bien sûr. Troisièmement, qu’une minorité d’entre eux affirment le contraire, en apportant des arguments qui relèvent principalement de la tradition. Enfin, la grande mosquée recommande aux femmes qui travaillent en public de ne pas porter le voile intégral. Elle espère aussi que l’État français ne statuera pas sur le port du voile intégral en public, mais on sait qu’il a légiféré pour l’interdire.

Ceci étant dit, une chose est sure : le voile intégral est un vêtement porté au nom d’Allah. Il est porté principalement dans les pays gérés par la charia, mais surtout dans des pays musulmans ultraconservateurs, aussi un peu partout dans le monde, par une minorité musulmane plus ou moins importante et agissante.
Il y a en gros deux sortes de voile intégral islamique. La burka, le vêtement bleu qui recouvre la totalité de la femme qui le porte et comporte une grille. Elle est principalement portée en Afghanistan et au Pakistan. Le niquab est principalement porté dans les pays du Golfe.
On peut donc répondre oui à cette question. Le voile intégral appartient à l’islam, plus précisément à sa faction la plus traditionnaliste et la plus rigide. D’emblée, précisons que ceux qui défendent le port du voile intégral le font en invoquant l’argument de la liberté religieuse.
Le voile intégral est-il une mode ? Non, 
Le port du voile intégral est-il une tradition ? Sans contredit, oui. Mais toutes les traditions ne sont pas respectables et dignes d’être maintenues. Exemple : le droit de cuissage était une tradition et je doute que vous seriez en faveur de la maintenir aujourd’hui. Exemple : dans l’Angleterre élisabéthaine, au théâtre, on interdisait aux femmes de monter sur les planches. Exemple : le coran dit, à la sourate 33, verset 52 : « Si tu es marié, il ne t’est plus permis désormais de prendre d’autres femmes, ni de changer d’épouses, même si leur beauté te plaît… à l’exception des esclaves que tu possèdes et Allah observe toutes choses. » En somme, le coran autorise la polygamie, l’esclavage et prendre des femmes contre leur volonté. Il autorise le viol des esclaves. S’agit-il de pratiques traditionnelles ? Sans contredit. Mais elles ne sont pas pour autant admissibles et chez nous, aujourd’hui, ces traditions religieuses sont carrément interdites par la loi.

Autre question : Le port du voile intégral est-il une pratique souhaitable ? Je réponds non, encore. À part l’argument religieux ou pseudo-religieux, je n’ai trouvé aucune raison positive justifiant le port du voile intégral.
Le port du voile est-il une pratique sexiste ? Je réponds oui. À sa face même, puisque cette prescription de s’applique qu’aux femmes. À part quelques infimes exceptions, la quasi-totalité des femmes qui portent le voile intégral le font sous la contrainte. Et cette contrainte provient d’hommes détenant sur elles un indéniable pouvoir politique, social, culturel, religieux ou familial. C’est donc une pratique sexiste à mon avis répugnante. De plus, c’est une pratique condamnée par les conventions internationales. La Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, la CEDEF de l’ONU a été entérinée par le Canada, y compris le Québec. Elle date des années 1980. L’article 5a de cette convention indique que les états signataires prennent l’engagement d’éliminer toute pratique coutumière discriminatoire. Encore plus pour une coutume qui menace l’intégrité et la santé physique et mentale de la femme.
Autre question, précisons ce point : le port 
Le voile intégral hypothèque la santé de celles qui le portent. Plusieurs preuves : l’oxygénation est diminuée, la résistance physique à l’effort est moindre, etc. Le voile intégral bloque la production de vitamine D découlant de l’exposition au soleil.
Le voile intégral porte-t-il atteinte à la dignité des femmes ? Oui. Cela me semble évident. Pensons à la Déclaration universelle qui dit que tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Quand on prend une section de la population et on la recouvre d’un voile intégral, on va carrément à l’encontre de la Déclaration universelle des droits de l’homme, tout comme de la CEDEF. De toute évidence, forcer une femme à porter un voile intégral est un déni de ses droits fondamentaux. La femme voilée intégralement voit sa féminité réprimée jusqu’à la honte. Au mieux, le voile intégral est un linceul, au pire, un instrument de torture.
Peut-on interdire le voile intégral sur la place publique au nom de la laïcité
Abordons maintenant la deuxième question : peut-on interdire le voile intégral sur la place publique au nom de la laïcité ?
Parlons d’abord de l’espace civique, soit les lieux de l’État, puis de l’espace public. Les deux sont liés, les frontières ne sont pas tout à fait étanches.
Dans l’espace civique, soit les lieux de l’État, doit-on interdire aux agents de l’État le port du voile intégral ? Oui. Évidemment. On y interdit les signes religieux. Mais il y a toutes sortes d’autres raisons : la sécurité, l’identification, la communication, l’harmonie des relations entre collègues, le respect des usagers, la dignité de la personne, l’égalité hommes-femmes. Etc. On peut le faire au nom de la laïcité, puisque la laïcité interdit le port de signes religieux ostensibles par les agents de l’État. Dans notre milieu, cette prescription fait consensus.
Dans l’espace public, cependant, doit-on prescrire l’obligation de circuler à visage découvert, ce qui signifie interdire le port d’un masque, y compris le voile intégral ? Encore oui, pour au moins cinq raisons.
Le voile intégral doit être interdit parce qu’il nie l’identité de la personne qui le porte. La femme voilée intégralement ne peut interagir adéquatement avec les autres citoyens. Exemple : elle ne peut pas sourire aux autres.
Le voile intégral doit être interdit pour 
Le voile intégral doit être interdit parce qu’il réduit la femme au niveau d’une proie sexuelle. Précisons : une proie sexuelle qui appartient aux hommes qui la possèdent… comme les hommes dans la tradition coranique possédaient leurs esclaves féminins qu’ils pouvaient prendre à leur guise. En dérobant cette proie aux yeux des autres hommes, les propriétaires de la femme décrètent que cet objet leur appartient en exclusivité.
Cette pratique est répugnante pour les femmes d’abord, mais aussi pour les autres hommes qui se voient affubler de l’odieux qualificatif de prédateur sexuel. Ici, nous avons affaire au faux argument de la modestie pour justifier le port du voile en général et celui du voile intégral en particulier. Une femme qui montre ses cheveux, ses bras, ses chevilles, son visage est ipso facto qualifiée d’immodeste ou provocante. Aucune évidence scientifique ou sociologique n’appuie cette assertion. À travers les âges et dans toutes les civilisations, la quasi-totalité des femmes se comportent en public normalement, avec civilité, politesse et retenue, et interagissent normalement avec les hommes… sans porter de masque. À noter que dans cette logique, c’est toujours la femme qui est coupable, c’est elle qui provoque l’homme qui ne peut se contenir.

On se trouve ici face au faux argument de l’ostracisme : il ne faut pas interdire le hijab, ce serait ostraciser les musulmans. En conséquence, au nom de l’intégration des immigrants, il faut accueillir leurs demandes d’accommodements pour motif religieux comme le port du hijab. On balaie du revers de la main la suggestion que ces mêmes femmes s’intégreraient plus facilement si elles laissaient leur hijab à la maison lorsqu’elles vont travailler. L’argument vaut aussi pour la burka et le niquab. On ajoute que si on interdisait le port du voile intégral dans l’espace public, on condamnerait les femmes à rester cloitrées chez elles. Mais pourquoi ? Si elles sont libres de se voiler ou pas elles sont libres de sortir ou pas ? Peut-être ne sont-elles pas libres, justement, preuve que le port du voile leur est imposé. Quoi qu’il en soit, j’estime qu’au bout d’un certain temps, le geôlier se fatiguera de faire les courses domestiques et autorisera sa femme à circuler à visage découvert. J’insiste sur ce point : l’argument de l’ostracisme appréhendé devient absurde lorsqu’il est question du voile intégral. Comment serait-il possible à une femme masquée de s’intégrer à la collectivité formée d’hommes et de femmes circulant à visage découvert, si elle dissimule elle-même la principale expression de la civilité, soit un visage affable illuminé d’un sourire ?
L’interdiction du port du voile intégral 
Dans l’espace public, faut-il interdire le voile intégral au nom de la laïcité ? Voilà le cœur du problème. Je réponds oui. Pourquoi ?
Trois principes fondent la laïcité. Le voile intégral les bat en brèche. Il me semble contradictoire d’affirmer la laïcité, d’une part, et de l’autre, admettre une pratique qui la sabote. Quels sont ces principes ?
Le premier : la liberté de conscience. De toute évidence, l’immense majorité des femmes voilées intégralement y sont contraintes. Elles ne jouissent d’aucune liberté. Même au Québec, les femmes qui portent le niquab traînent dans leur sillage des hommes qui les surveillent. Si l’une d’elles s’avisait de retirer son voile en public, elle se ferait aussitôt réprimander, même violenter. Ne jouissant d’aucune liberté, elles ne jouissent pas de la plus fondamentale d’entre elles, la liberté de conscience, l’un des fondements de la laïcité.
Deuxième principe qui fonde la laïcité : l’égalité des citoyens. Tous les citoyens, hommes et femmes, sont égaux en droits. La laïcité stipule qu’aucun privilège n’est accordé à qui que ce soit pour des motifs religieux ou communautaristes. Comme le port du voile intégral est une obligation faite aux femmes seulement, cette pratique va à l’encontre de l’égalité citoyenne. Il me semble donc raisonnable d’interdire cette pratique inégalitaire au nom de la laïcité. Dit autrement, l’interdiction du port du voile intégral s’appuie sur la laïcité parce que celle-ci favorise le respect mutuel et l’égalité entre toutes les citoyennes et tous les citoyens. Le port du voile intégral, au contraire, s’oppose à ces valeurs.
Le troisième principe qui fonde la laïcité : l’universalité de la sphère publique. Tous les citoyens ont droit au bien commun, aux choses de l’État. Comme elles se voient interdire toute possibilité d’interaction dans la vie de la société, les femmes voilées intégralement ne peuvent partager ce bien commun. Elles sont contraintes de vivre dans un ghetto religieux ou communautariste. Cette imposition, cette pratique contredit ce troisième principe de la laïcité.
Bref, qu’il découle ou non d’une pratique
Exemple : une femme voilée intégralement ne peut pas pratiquer la médecine ou le droit parce qu’elle ne peut pas établir un lien de confiance avec ses patients et ses clients, surtout s’ils sont des hommes. Une femme voilée intégralement ne peut pas devenir une ballerine, une chanteuse d’opéra, une actrice, une joueuse de hockey, une flutiste, une plongeuse olympique, etc. Elle ne peut pas se faire élire. En somme, elle est condamnée à l’oisiveté sociale, politique, artistique et scientifique. Condamnée à la réclusion.
On ne peut avoir un État neutre en matière de croyances religieuses sans avoir une société respectueuse des principes qui fondent cette neutralité de l’État. Les choses sont liées, entre la société et l’État. L’État est un instrument au service de la société. Il y a une relation directe entre les deux. On ne peut pas en même temps prôner la justice et autoriser le crime. On ne peut pas en même temps justifier la laïcité par l’égalité des sexes et prétendre que la laïcité se désintéresse du pire affront que l’on puisse faire à ce principe d’égalité : le symbole ambulant de l’aliénation des femmes. La laïcité sert à faire avancer la civilisation, sert à instituer une société plus juste plus conviviale. À cet égard, le port du voile intégral constitue une sévère régression.

Comme le démontre le récent jugement de la cour d’appel du Québec à propos de la prière au conseil municipal de Saguenay, en l’absence d’un cadre législatif que procurerait la laïcité, une prescription touchant une pratique religieuse, même dégradante, risque fort d’être défaite. D’où la nécessité stratégique à mon sens, de lier la prescription de circuler à visage découvert au projet de la laïcité. Autre élément stratégique. En passant sous silence cet enjeu, on prendrait le risque de laisser entendre que nous serions en faveur du voile intégral: « Qui ne dit mot consent». De toute évidence, à mon point de vue, c’est le contraire qui est vrai. Aussi, l’interdiction du voile intégral est un enjeu qui fait l’unanimité au Québec. C’est une question qui pourrait rassembler tous les partis politiques.
Il faut interdire le voile intégral dans les espaces publique et civique pour toutes les raisons que j’ai invoquées et au nom de la laïcité. C’est une pratique odieuse qui heurte le savoir-vivre québécois.
Daniel Baril
Je peux acheter ça à 95 %. Au mois de 
Dans le contexte de cette consultation, les deux associations ont fait circuler des positions qui disent qu’est-ce qu’une charte de la laïcité devrait inclure comme éléments de base minimal. Dans le document du Mouvement laïque, on ne donne pas de définition de la laïcité, mais ont dit qu’elle « se fonde sur la dignité humaine, la liberté de conscience, l’égalité des femmes et des hommes et la cohésion sociale ». Je crois qu’ici, nous avons déjà un problème de formulation. La laïcité ne se « fonde » pas sur ces valeurs. Elle est une condition qui rend possible l’exercice de ces valeurs. Le septième point dit : « Dans l’espace public du Québec et dans les lieux de l’État, prescrire l’obligation de circuler à visage découvert. En plus de l’argument de la laïcité, d’autres raisons appuient cette prescription : dignité humaine, égalité des sexes, sécurité et cohésion sociale. En somme, le port du masque heurte le savoir-vivre québécois ». Le savoir-vivre tout court ? On n’embarque pas dans la charte des valeurs québécoises.


Il y a, à mon sens un déficit d’arguments. Je n’ai pas de long argumentaire contre ce qui a été dit. Je ne trouve pas d’arguments soutenant l’idée qu’au nom de la laïcité on puisse interdire le voile intégral. On parle de masques. Michel n’a pas appliqué la réflexion aux manifestants masqués. Est-ce que la dignité est mise en cause dans leur cas aussi ? Dans le texte qui a circulé on fait allusion à la loi française en disant qu’elle est fondée sur la laïcité. On a reconnu que ce n’est pas tout à fait le cas. Ce qui est exact. Ce n’est pas le cas.

La loi a été jugée constitutionnelle par le Conseil constitutionnel de France, estimée conforme à la Déclaration des droits de l’homme et du Citoyen et à la constitution de France. La loi ne comporte pas de préambules, d’attendus que. Sur quoi s’est-elle fondée ? Dans le jugement du Conseil constitutionnel on voit quels ont été les arguments avancés par le législateur. « De telles pratiques peuvent constituer un danger pour la sécurité publique. Ces pratiques méconnaissent les exigences minimales de la vie en société. Il est également estimé que les femmes dissimulant leur visage, volontairement ou non, se trouvent placées en situation d’exclusion et d’infériorité, situation incompatible avec les principes constitutionnels de liberté et d’égalité. » Le Conseil reconnaît que la limite imposée n’est pas exagérée par rapport aux droits reconnus dans la Déclaration des droits de l’homme et la constitution française.
Donc, sécurité publique, accès à l’égalité, éviter l’exclusion, mais la laïcité n’est pas invoquée ici pour soutenir la loi en question.

À mon sens, la laïcité ne s’applique pas à la rue et je crois que l’on ne trouvera aucun pays dans le monde qui va étendre le principe de la laïcité jusqu’à réglementer la tenue vestimentaire en public. À mon sens, c’est une inflation de la notion de la laïcité qui présente un danger de dérive. La question de la sécurité appartient aux services de police. Actuellement, il ne semble y avoir aucun problème de sécurité au Québec lié à la dissimulation du visage… sauf les manifestations. Accepte-t-on que les manifestants dissimulent leur visage ? À mon sens, on doit manifester à visage découvert. On ne manifeste pas de façon anonyme. On ne signe pas une pétition d’un barbot. On met son nom et son adresse.

On a fait le tour des arguments antivoile. J’ai ici un article du Devoir du professeur de philosophie René Bolduc, sous le titre Le Devoir de philo – Lévinas et l’humanité du visage. Il cite Émmanuel Levinas, philosophe français, spécialiste de l’éthique, de religion juive, décédé en 1995. Levinas n’a pas écrit sur le voile, mais sur le visage. Pour lui, le visage est la représentation de soi par soi. Donc, voiler le visage enlève l’identité. On chosifie la personne, on la réduit à l’état d’objet. On bloque toute relation vraie avec cette personne. En l’absence de visage, la conscience ne se sent pas interpelée, ni mise en question dans le rapport avec la personne voilée. Le malaise qu’on ressent devant un visage défiguré montre que le visage est essentiel à l’identité humaine. Une personne sans visage est déshumanisée. On voile le visage d’un condamné à mort. On lui met une cagoule, on lui bande les yeux parce qu’on ne peut pas soutenir le regard de celui qu’on va exécuter. Le voile intégral empêche, brime la liberté de mouvement : vélo, natation, conduite d’une voiture. On peut allonger la liste. Il empêche toute communication vraie entre les personnes, celle-ci passant par la perception de signes très subtils dans le visage : commissure des lèvres, plis du front, forme de la bouche, expression des yeux. Rien de cela ne transparaît quand on a le visage voilé. S’il faut l’interdire, peut-être devrait-on le faire au nom de l’humanisme, de l’égalité des hommes et des femmes. Mais je ne vois pas pourquoi on le ferait au nom de la laïcité de l’État qui est, essentiellement, l’indépendance de l’État par rapport au domaine religieux.
L’État n’est pas neutre face à certaines 
D’autre part, il y a déjà un consensus établi quant au voile intégral pour les photos de passeport, les cérémonies d’assermentation, les institutions d’éducation. Des cas se sont présentés. Doit-on aller plus loin et l’interdire partout ? J’estime qu’on peut soulever un faux problème, surtout en lien avec la laïcité. Le Conseil du statut de la femme dans son avis sur la laïcité ne soulève même pas la question. Je crois qu’on va un peu trop loin. On pose un faux problème et à mon sens, ça ne se justifie pas au nom de la laïcité qui est l’indépendance de l’État par rapport aux religions. Si l’État veut aller plus loin pour réglementer les religions, on abolit les religions, pas seulement le voile. Merci.
MIchel Lincourt
Loin de moi l’idée de préconiser l’interdiction des religions. Au contraire, la laïcité c’est permettre à toutes les religions de s’exprimer, permettre aussi à ceux qui ne croient à aucune religion de s’exprimer de la même façon. Ce que je propose d’interdire est une pratique répugnante qui se base sur la liberté religieuse dans le discours de ceux qui en font la promotion. Si la religion catholique rallumait, par exemple les bûchers d’Inquisition on l’interdirait, pas parce que c’est catholique, par parce que l’on veut interdire le catholicisme, parce que c’est une pratique dégueulasse. Le port du voile intégral est une pratique répugnante en soi qui se fonde sur la religion et la laïcité est non seulement un attribut de l’État, non seulement un principe de gouvernance – définition qu’utilise Daniel – mais c’est aussi une valeur sociétale. C’est au nom de la laïcité comme valeur sociétale que l’on intervient sur la place publique lorsqu’il y a des pratiques répugnantes, dégradantes, au nom de la religion.

Autre commentaire. Daniel a amorcé ses remarques par une amicale critique des documents diffusés par le MLQ et la CLQ. Ces documents étaient stratégiques. Ils ont été présentés au ministre. Ils n’avaient pas pour fonction de constituer le fin du fin de la doctrine en matière de laïcité. Donc, dire que l’on a mal défini la laïcité dans ces documents, je pense que c’est un commentaire un peu court.
La loi française et belge. Je n’ai pas participé au débat français, mais je sais qu’en France, la laïcité est inscrite dans les lois depuis plus d’un siècle, ce qui conditionne toute la façon de penser ces questions. Donc, cette bataille-là est gagnée depuis longtemps. Avec des nuances, tous les porte-parole de toutes les formations politiques et sociales en France sont en faveur de la laïcité comme étant une des valeurs les plus fondamentales de la République française. Ils n’ont donc pas besoin d’invoquer la laïcité pour interdire le voile intégral sur la place publique. C’est déjà acquis. Chez nous, ce n’est pas acquis.
On a vu dans le jugement au Saguenay, la seule remarque intelligente des juges dans leur jugement, c’est de souligner que c’est en l’absence d’un cadre juridique quant à la laïcité que l’on peut prendre la décision d’accepter une pratique religieuse dans la sphère du conseil municipal soit dans les lieux de l’État où sont exercées les fonctions de l’État. Voilà ce que cela veut dire, actuellement.

Il y a d’autres arguments que l’on peut apporter. On utilise souvent la notion de valeur. Dans un bouquin que je lisais récemment, portant le titre In Search of Elegance, j’ai creusé cette notion de valeur pour une autre raison, une théorie de l’architecture : sur quoi se base-t-on pour dire qu’une œuvre architecturale est belle, bonne, pour juger de sa valeur ? Ce jugement se base sur un consensus social qui s’appuie sur l’ensemble des valeurs. C’est quoi une valeur ? Il y a plusieurs définitions. Une valeur est à la société ce que la vertu est à l’individu. C’est une motivation collective. Les institutions sont les instruments permettant l’épanouissement de nos valeurs. Une société heureuse est une société dont les valeurs sont reconnues. Les deux premières valeurs qui ont structuré la société sont la propriété et l’individualité. Leur émergence remonte à la nuit des temps. Les outils, les armes étaient précieux, utiles, ils ont acquis une valeur. On a donc établi la notion de propriété et décrété que le vol était un crime. Pour que cela se fasse, il fallait l’émergence d’une autre valeur : l’individualité. La reconnaissance que je suis différent de l’autre. Pour que cette reconnaissance existe, pour que la société soit structurée, je dois pouvoir reconnaître l’autre. Or, si l’autre est masqué, je supposerai immédiatement qu’il l’est pour venir me voler. La nécessité de circuler à visage découvert est fondamentale dans toute société. Les sociétés qui abusent du masque sont des sociétés qui implosent comme Venise au XVIIIe siècle. Cette exigence est fondamentale et elle s’appuie sur la laïcité en tant que valeur sociétale collective.
Daniel Baril

Quant aux documents en question, c’est le point de départ du débat de ce soir. Quand je les ai reçus, j’ai compris qu’il y a avait là des positions arrêtées, puisque le MLQ nous dit : « Voici ce que devrait inclure une charte de la laïcité », tandis que ces documents sont remis à des ministres, des députés et leurs conseillers. Lors de l’Assemblée générale du MLQ, la question a été posée. Selon le rapport des élus, ils n’étaient pas prêts à prendre position. Il n’y a pas eu vraiment de débat et la position a été arrêtée sans qu’il y ait eu de débat. À mon sens, elle va au-delà de la laïcité. J’estime donc qu’il y a un débat à faire et qu’il n’a pas été fait.
Le cours ECR et l’érouv ? Le cours d’Éthique et culture religieuse fait partie du curriculum de l’école publique. C’est l’État qui forme les jeunes à adopter une pensée religieuse. Il fait la promotion de la pensée religieuse, sans aucun esprit critique envers la religion, de la première année jusqu’en secondaire V. Ça va à l’encontre d’une école laïque. Même si le cours se dit non confessionnel. Comme la prière non confessionnelle à Saguenay. Qui reste une prière. Le cours n’est pas confessionnel. Il parle de toutes les religions. Mais ça reste un cours de religion. De glorification de la pensée religieuse, en plus. Ça n’a pas sa place. C’est un geste de l’État qui est concerné.
L’érouv. Quand on est intervenus contre l’érouv à Outremont, on disait que cela ne concerne pas la municipalité. Dans leur conception, il fallait que la municipalité statue. Ça remonte à Salomon, à la fois chef religieux et chef d’État, sans distinction entre le civil et le religieux. Pour les Hassidim, il fallait que le pouvoir civil reconnaisse l’érouv. La ville devait adopter un règlement autorisant l’érouv. C’était contre cela qu’on en avait. Si en face du centre, on voulait avoir une affiche au-dessus de la rue « Centre humaniste du Québec », on ne pourrait pas. Seuls les fils électriques sont autorisés. Il faudrait une dérogation. La mise en place d’un érouv exigeait donc une dérogation à un règlement municipal pour motif religieux. Nous serions donc intervenus, sous ma direction, pour réglementer des pratiques privées… Ce n’est pas le cas.
Michel Lincourt
Ce n’est pas ça que j’ai dit. J’ai dit que le MLQ était intervenu dans des pratiques qui s’appliquaient entre autres non seulement dans des écoles publiques, mais aussi dans des écoles privées, ainsi que dans l’espace public… L’érouv c’est un fil tendu au-dessus de la rue, dans l’espace public.
Daniel Baril
Mais notre intervention ne portait pas sur l’obligation religieuse imposée aux Hassidim, elle portait sur le fait que la municipalité n’avait pas à s’en mêler. Ce qui était aussi la position de la municipalité d’Outremont.
Michel Lincourt
Se mêler de quoi, tendre un câble au-dessus de l’espace public. Ça touche l’espace public.
Daniel Baril
L’équivalent de ça : s’il y avait un règlement interdisant la burka et les musulmans demanderaient une dérogation pour la porter. On serait contre. Mais il n’y a pas de règlement qui l’interdit. L’équivalent de l’érouv serait s’il y avait un règlement. Si jamais le gouvernement présentait un projet de loi pour interdire la burka, ce n’est pas moi qui vais m’y opposer. Mais je souhaite qu’ils ne le fassent pas au nom de la laïcité. Sinon, il y aurait problème. Une dangereuse pente. Qu’ils le fassent au nom de la dignité, de l’humanisme, de la sécurité, pas de la laïcité, parce que je ne vois pas en quoi la laïcité pourrait réglementer le port d’une tenue vestimentaire sur la rue, même indigne. Pourrait-on interdire, au nom de la laïcité, le fait qu’un manifestant se dénude ? Certains estiment à nudité en public indigne. C’est une façon de protester… ou de s’amuser
Michel Lincourt
Je n’ai pas vu d’homme obligeant une femme à se dénuder publiquement. J’en ai vu qui les contraignaient à se couvrir.
Daniel Baril

Questions et commentaires
Bonjour, j’ai un commentaire et une 
Vous parlez du symptôme. C’est une maladie. Il faut aller plus loin. La question que je vous pose : qu’est-ce qui explique que malgré tout ce qu’on dit, on trouve des femmes Occidentales, élevées à l’occidentale et qui se retrouvent voilées ?
Michel Lincourt
D’abord, ce soir, nous n’avons pas parlé du hijab, mais du voile intégral. Il y a une différence énorme. Bien sûr, une femme sincère, libre, qui décide de porter la burka ou le niquab sur la place publique, on ne peut pas dire grand-chose. Le problème : 99 % des femmes voilées intégralement le font sous la contrainte. C’est une pratique imposée par les hommes de leur entourage. Même ici, quand vous voyez des femmes qui prétendent porter le voile par choix, comme au Cégep Saint-Laurent, il y a toujours un, deux, trois, hommes qui la surveillent.
Aucune femme voilée par contrainte ne l’avouera. De retour chez elle, elle se ferait, disons, réprimander. Et c’est le problème : c’est une pratique répugnante imposée aux femmes uniquement. Si les hommes portaient le niquab aussi, on dirait c’est leur croyance et Dieu leur impose. Mais c’est étonnant que Dieu impose fort sélectivement et exclusivement cette obligation aux femmes. Dieu est un gars extraordinaire. Il n’impose jamais rien aux hommes. Ça me dépasse qu’on puisse défendre cette position.
Daniel Baril
Les dessins de Dieu sont insondables.
Michel Lincourt

Il y a, dans une éventuelle prescription de circuler à visage découvert des exceptions évidente. On porte un foulard à moins 20o C. Si vous êtes gardien de hockey, si vous vous baladez en moto, si vous sortez avec vos enfants lors de la Halloween. Aucun problème.
Il y aura toujours des gens malveillants qui 
La mise en place d’une réglementation comme celle-là vise à empêcher une progression d’abus…. avancés par des provocations successives, des demandes de plus en plus pressantes, qui portent à banaliser des pratiques odieuses qui s’inscrivent dans les mœurs et deviennent éventuellement des obligations inverses dans certains quartiers. Voilà pourquoi en Occident, on s’inquiète, on remet en question le multiculturalisme. On essaie d’ériger des barrières pour éviter ce type d’abus qui ne sont pas le résultat de décisions librement prises par les personnes concernées, mais imposées par les structures de pouvoir communautaires. C’est là où est le problème. Il n’est pas facile à résoudre.
Questions et commentaires

Quant à la laïcité valeur sociétale, nous la défendons. Ainsi que la laïcité source de cohésion sociale. C’est pourquoi nous préconisons l’interdiction du voile. Si on veut instaurer la laïcité dans l’État québécois, il faut que la cohésion sociale y soit respectée. C’est pourquoi nous l’avons mise de l’avant. Les membres trancheront.

Daniel Baril
On a toujours dit que la laïcité n’est pas antireligieuse. Il s’agit de séparer l’État des religions. Avancer un argument laïc contre le voile nous amène à être antireligieux. Il peut y avoir de bonnes raisons d’être antireligieux. Les religions doivent être critiquées. Mais je ne suis pas prêt à aller jusqu’à l’interdiction. On peut le dénoncer. Mais l’interdire au nom de la laïcité ? L’égalité homme-femme, oui.
Michel Lincourt
J’ajouterai que techniquement, si on 
Et si on l’accepte sur la place publique, pourquoi ne pas l’accepter quand il y a interface entre les lieux de public et les lieux de l’État. La personne qui porte un voile intégral dans un hôpital devient usagère des services de l’État… et sa carte d’identité n’a plus de valeur. Même chose à la SAQ. Où se situe la gestion de l’interface entre l’espace public et l’espace civique ? Peut-il y avoir des avocates voilées intégralement ? Il y a là des difficultés pratiques et si on ne s’intéresse pas à ce problème maintenant, de façon sensée, intelligente et sensible, on risque de se trouver devant des difficultés plus tard
Daniel Baril
On n’en est pas là. Chaque fois que ça s’est présenté, la question s’est réglée contre le voile. Les commis de la SAQ sont autorisés à demander une pièce d’identité. Pour le vote, même chose. La Cour suprême a renvoyé la question de la comparution d’un témoin voilée aux tribunaux inférieurs en leur indiquant de juger au cas par cas. On ne peut pas non plus enseigner à une étudiante masquée.
Exemple de dérapage, L’Association des libertés civiles, basée à Ottawa et Toronto a proposé formellement que le port du voile intégral soit un droit inscrit dans la constitution canadienne. C’est un dérapage sérieux. Il ne faut pas prendre ce phénomène à la légère. Il faut être extrêmement vigilant. On est passé proche d’avoir la charia en Ontario.
Questions et commentaires

Michel Lincourt
Dans le débat sur la laïcité, il y a trois types d’espace : l’espace privé, l’espace public et l’espace civique. L’espace civique, ce sont les lieux de l’État. Assemblée nationale, écoles, hôpitaux, les endroits où officient les agents de l’État. L’espace public, de façon générique, c’est la rue, les trottoirs, les parcs, les centres commerciaux. L’espace privé, c’est l’intérieur de chacune des maisons. Or il y a des zones intermédiaires qui sont plus ou moins civiques, plus ou moins publiques. Exemple : l’intérieur d’un autobus. Le véhicule appartient à l’État, est géré par un agent de l’État. Est-il comparable à un palais de justice ? Une chambre d’hôpital est un lieu éminemment privé qui se trouve dans un lieu civique de l’État. Comment départager ça ? Selon moi, la façon la plus intelligente et la plus facile de régler la multitude de ces problèmes est d’établir des balises qui seraient les plus générales possibles. La démarcation entre espace privé, public et civique exige réflexion, car il y a toujours des zones grises. Le public a accès à un commerce… sauf le back store qui est privé.

Questions et commentaires

Quant au libellé du présent débat, je n’ai pas été consultée. J’aurais préféré : « Le MLQ, l’AHQ et la CLQ devraient-ils prendre position en faveur de l’interdiction du voile intégral dans l’espace public » et je réponds oui. Comme dit Michel Lincourt, je le fais au nom du troisième principe clé de la laïcité. Je me réfère à Henri Pena-Ruiz. Il définit la laïcité comme un idéal d’universalité du bien commun, soit les lois votées démocratiquement et les droits universels. L’interdiction du voile intégral pour les femmes fait partie des droits universels.
Mais mon principal argument en faveur de l’interdiction du voile intégral, c’est pour des raisons stratégiques. Le voile intégral sera graduellement banalisé dans l’espace public et les gens diront : « En comparaison, le hijab, y’a rien là ». Ce « rien là » va finir par s’imposer dans les écoles, les garderies, car il y a des stratégies, des militants, ce débat s’inscrit dans une géopolitique. Moi, je dis non aux stratégies des islamistes.
Deuxièmement, la CLQ a pris une position contre le voile intégral dans l’espace public. Pas nécessairement au nom de la laïcité, mais aussi pour changer l’image des gens qui défendent la laïcité. On nous reproche parfois de défendre l’athéisme, de nous attaquer uniquement aux symboles chrétiens. Il est temps pour nous de changer l’image de nos organismes et de montrer que toutes les religions sont dans le même bateau et qu’elles ont droit d’exister, à condition qu’elles ne dérogent pas aux droits de la personne qui, pour moi, sont fondamentaux.
Troisièmement, c’est une bonne occasion qu’on raterait. Les sondages démontrent que 90 % des Québécois sont contre le voile intégral. Il est temps qu’un groupe laïque commence à lutter contre le syndrome de la citadelle assiégée. Nous nous occupons uniquement des lieux de l’État, tandis que nos adversaires s’infiltrent partout. Je crois que c’est un manque d’esprit de stratégie.
Dernière considération : j’ai hâte que la solidarité avec les droits des femmes soit prioritaire parmi les défenseurs de la laïcité. Ultime argument pour les hésitants : je vous encourage à porter une burka en juillet… et on en reparle.
Conclusions
Daniel Baril
La question des laïcs qui s’en prennent aux signes chrétiens. La laïcité est une question d’État, justement. Quels sont les signes religieux qui se trouvent dans l’espace public étatique ? Des signes chrétiens. Les prières, les crucifix, l’enseignement religieux jusqu’à un passé tout récent. C’est contre cette intrusion du religieux dans l’État que le Mouvement laïque s’est battu. Ce n’est pas parce qu’il s’en prend particulièrement aux symboles chrétiens en laissant de côté les autres religions. Si c’était un kirpan qui se trouvait au-dessus du siège du président de l’assemblée nationale, si c’était une prière musulmane qui était récitée à Saguenay… les revendications auraient été les mêmes.

Je prends l’exemple de la France. Pays de la laïcité. Pourquoi cette patrie de la laïcité ne l’a pas invoquée pour imposer la règle du visage découvert ? Parce que ce n’est pas un argumentaire laïque qui peut soutenir cette position. En France, la Libre Pensée – il ne peut pas y avoir plus laïque de gauche et socialiste – était contre la loi, même si elle ne relevait pas de la laïcité. Ils disaient que le problème de la sécurité était un faux problème – il y a 3 000 femmes voilées en France – ils ne voyaient dans cette loi que l’expression de la xénophobie. Pour eux, l’État n’a pas à légiférer sur la tenue vestimentaire.
Je ne suis pas sûr qu’une vague de femmes voilées s’en vient nous attaquer. Le débat est à poursuivre. Je continue ma réflexion. Me solidariser avec une position féministe ? Oui. Mais l’argumentaire fondé sur la laïcité, je n’y suis pas encore gagné.
Michel Lincourt
Comme mot de la fin, pour moi, le but premier de l’exercice ce soir, c’est qu’on réfléchisse ensemble sur ce problème. Je crois que ça, on l’a fait. Je maintiens les positions que j’ai mises de l’avant ce soir. Je reviens sur la question française. Peut-être que l’on n’a pas invoqué la laïcité dans l’argumentaire relié à ce projet de loi parce que la laïcité existe déjà en France. À Saguenay, le juge, en justifiant la prière du conseil municipal a expliqué qu’il le faisait faute de balises. En l’absence d’une charte de la laïcité, on peut décider n’importe quoi, n’importe comment.
Daniel Baril
On dit n’importe quoi…
Michel Lincourt
Je suis d’accord avec toi là-dessus. L’enjeu de la laïcité concerne toute la société. Il y a des porte-parole, des mouvements qui en ont fait leur pain et leur beurre, dont le MLQ, mais il y a dans le vaste monde un grand nombre de gens qui n’ont pas la base de connaissances dont nous disposons, Daniel et moi, pour y avoir réfléchi longuement et ces gens sont un peu estomaqués par l’accumulation des subtilités dans les positions que l’on prend. Pour tout le monde, ces questions sont simples. Par contraste, la maire Tremblay de Saguenay prend une position simple : « On nous attaque ? On se tient debout. On se défend. On est des Québécois. On en est fiers. On est fiers d’être catholiques. Si vous n’aimez pas ça, allez vivre ailleurs.» C’est ce qu’il dit. Nous avons des positions extrêmement nuancées, des précautions face aux dérapages éventuels.
La conséquence ? Notre discours est plutôt faible. Les humanistes sont ceux qui ont été lésés par ce jugement et ce sont les humanistes qui n’ont pas de poids dans le débat. Les religions ont une voix. Les humanistes, y compris les athées, les agnostiques et ceux qui sont humanistes tout en conservant une certaine adhésion au théisme ou au déisme sont les grand lésés, parce qu’on a décrété par jugement que cela n’inquiétait personne que l’on récite une prière multiconfessionnelle. Ceux qui pensent que Dieu n’existe pas sont laissés de côté. Il serait temps que les humanistes – je ne fais pas exclusivement référence à l’Association humaniste bien que cela les inclut – ces gens qui forment un groupe important dans la société québécoise, il serait temps qu’ils s’organisent. Leur problème, un problème existentiel ? Ils n’ont pas une doctrine à défendre. Plutôt une absence de doctrine. Si on se met à penser en termes de philosophie des Lumières, de doctrine humaniste, nous favorisons le bonheur sur Terre et non au-delà, la solidarité, la justice, le partage des biens etc. on commence à avoir une cause et la laïcité en fait partie.
Résultats du vote
Faut-il interdire le voile sur la place publique au nom de la laïcité
Indécis
Résultat : 4
Il faut interdire le voile intégral sur la place publique et le faire au nom de la laïcité
Résultat : 11
Non, il ne faut pas interdire le voile intégral sur la place publique au nom de la laïcité, bien qu’on puisse l’interdire pour d’autres raisons
Résultat : 17




Dans un club de danseuse, la serveuse, elle, n’a pas à se déshabiller pour mieux représenter la « raison d’être » nudiste du club de danseuse.
Il est déplorable qu’un club de danseuse respecte PLUS la volonté de ses employées-femmes que l’État qui veut imposer aux femmes voilées de se déshabiller pour la « raison d’être » laïque de l’État.
C’est simple, voilà. À qui veut comprendre.
Pour compléter le parallèle, il serait raisonnable de demander à une employée de l’État qui a un mandat de montrer aux citoyens comment porter leur cheveux lors d’un incendie (si un tel poste existait), d’enlever le voile, puisque ça affecte ses tâches. Il est même raisonnable de le faire pour une employée du secteur privé ayant un tel rôle.