Renverser l’idée québécoise de laïcité pour réussir notre modernité

par Avr 10, 2013Articles de fond, Laïcité, Québec humaniste, Réflexions0 commentaires

CLAUDE BRAUN

CLAUDE BRAUN

Administrateur et éditeur en chef du "Québec humaniste"

Claude Braun a été professeur de neurosciences cognitives à l'UQAM de nombreuses années. Retraité depuis peu, Il a publié nombres de documents de recherches sur le sujet. Il a été également éditeur du "Québec laïque"  et est depuis quelques années l'éditeur en chef  de notre revue "Québec humaniste" Il a également publié "Québec Athée" en 2010. Téléchargeable gratuitement en utilisant ce lien avec  les compliments de l'auteur.

Pauline Marois, ne cache pas qu’elle “ne croit ni à Dieu ni au diable”. C’est une première pour un premier ministre québécois. Elle a aussi annoncé une consultation publique sur le projet gouvernemental d’une Charte de la laïcité du Québec. L’opinion qui suit n’engage pas l’Association humaniste du Québec.

Au Québec, les partis politiques, les commissions parlementaires, les médias, les organisations militantes et la population assimilent presqu’exclusivement la laïcité aux devoirs et libertés en matière de symboles vestimentaires et rituels. Fausse piste, fausse laïcité ! Il n’y a pas de droits et devoirs fondamentaux en matière de symboles. La laïcité est ailleurs. Elle est d’abord et avant tout dans l’abolition des milliards de dollars de privilèges annuels que l’État Québécois accorde de façon indue et injuste aux religions, aux églises et aux manifestations religieuses.

On sait que la majorité des québécois souhaitent que leur nation devienne plus laïque, que dans leur rapport à la religion, une majorité d’environ 75% se déclare catholique, que le deuxième groupe cosmogonique en importance au Québec est celui qui se déclare « sans religion » (devant les protestants, musulmans, juifs, etc.) et que les églises sont vides au Québec. On sait moins que le payeur de taxes québécois débourse à chaque année plusieurs milliards de dollars en subventions directes et indirectes aux organisations religieuses. On ne comprend pas que l’État québécois est très loin d’être « séparé » des églises.

L’État québécois est encore profondément engoncé dans un système légal et règlementaire favorisant les églises, et de façon très particulière et privilégiée, surtout l’Église Catholique. Cette dernière bénéficie d’importants avantages fiscaux. Le plus gros morceau est le taux d’imposition « avantageux » des propriétés de l’Église Catholique –qui reste le plus gros propriétaire foncier au Québec. La ville de Montréal a d’ailleurs produit un document, il y a nombre d’années, demandant au gouvernement du Québec d’abolir ce privilège, qui privait alors la ville d’importantes sources de revenus, -ce qui est encore le cas. Ce propriétaire, l’Église catholique, reste une puissance politique immense pour la simple et unique raison qu’il détient de vastes et précieux terrains et de magnifiques immeubles. C’est cette inertie politique et culturelle qui explique que les gouvernements Fédéral et Provincial saupoudrent périodiquement l’Église Catholique de subventions pour l’entretien de ses établissements. Les sommes ne sont pas banales, elles totalisent des dizaines de millions de dollars par année. L’Église se retourne aussitôt pour vendre au prix fort à l’entreprise privée ses propriétés bâties par les citoyens et fraichement rénovées par les gouvernements, allongeant ainsi sa sphère d’influence et perpétuant une fausse histoire et une fausse identité du Québec. Les prêtres Catholiques et plusieurs autres catégories d’affranchis catholiques sont toujours exonérés de payer un impôt personnel au Québec. Les lois provinciales accordent aussi de très importants avantages fiscaux aux organisations religieuses qui prétendent faire œuvre de charité, opportunité qui est systématiquement refusée aux organisations représentant tout autre secteur de la société (le Mouvement laïque québécois par exemple). D’innombrables organisations religieuses esquivent leurs responsabilités citoyennes fiscales en se faisant passer pour des organismes charitables alors que la réalité est toute autre. On évangélise et on collecte l’argent bien plus qu’on ne pratique la charité. Essayez de passer au presbytère de votre quartier et de vous faire aider financièrement. Si vous déclinez votre foi et déclarez votre amour de l’Église, et que vous vous collez sur les prêtres jusqu’à ce qu’ils soient convaincus que vous êtes catholique Bona fides, peut-être vous donnera-t-on quelque très maigre pitance, autrement, n’espérez rien du tout. L’État québécois salarie une armée de « conseillers spirituels » dans les écoles publiques, qui ne sont présentement rien d’autre que des diplômés des facultés de théologie et de Sciences religieuses, facultés elles-mêmes financées par le payeur de taxes québécois. L’État québécois salarie aussi des aumôniers dans divers services publiques telle la sureté du Québec, les prisons provinciales, etc. L’État québécois protège le quasi-monopole religieux de l’industrie des rituels de naissance, des rituels de mariage, des rituels de décès, et l’industrie du mouroir, marchés fort lucratifs pour les églises. En même temps, la loi rend littéralement impossible aux organisations laïques privées d’occuper ces niches économiques. Finalement, et c’est ce qui est le plus scandaleux : l’État québécois fait payer tous les citoyens pour l’enseignement religieux obligatoire et universel dans les écoles québécoises (programme d’éthique et culture religieuse).

Aucune organisation laïque, représentant le deuxième groupe cosmogonique du Québec, le groupe des « sans religion », ne reçoit le moindre sou du gouvernement du Québec. Aucun n’est représenté dans le curriculum scolaire. Est-ce demain la veille qu’on subventionnera les Sceptiques du Québec, le Mouvement laïque québécois, l’Association humaniste du Québec, Info-Sectes, qu’on exonèrera leurs officiers d’impôt personnel, leurs propriétés de taxes foncières, qu’on paiera le salaire de leurs émissaires dans les institutions publiques ?

Qu’est-ce que la laïcité ? 1) Est-ce d’encourager et stimuler les xénophobes qui craignent la présence parmi nous d’immigrants croyant à autre chose qu’eux ? Est-ce pour cette raison là qu’on voudrait abolir les accommodements religieux ? 2) Est-ce de contenter les féministes que nous règlementerons la vestimentation ? De telle sorte que seuls les niqabs et burkhas seront visés ? 3) Aurons nous fait la révolution culturelle en décrochant le crucifix de la grande salle de notre assemblée nationale ?

Ces trois considérations, qui ont largement dominé les échanges devant la Commission Bouchard-Taylor, qui dominent le propos entretenu sur la laïcité par nos médias, qui dominent les considérations soulevées par les partis politiques du Québec, sont triviales et insignifiantes. La laïcité peut et doit être une dimension fondamentale et centrale de tout État moderne, pas une vulgaire réglementation concernant deux ou trois bouts de tissu, quelques bâtons en forme de croix, etc.

La laïcité est ailleurs. Elle est infiniment plus glorieuse que ce qui décante des rictus xénophobes. Elle est exprimée absolument clairement dans la loi de « Séparation des Églises et de l’État de 1905 » en France (elle a perdu de nombreuses plumes depuis lors en France) :

L’État se déclare incompétent en matière de religion et ne finance en aucune façon quelque fonction ou organisme religieux que ce soit.

Voilà la seule et la vraie laïcité. Si nous voulons créer un Québec réellement laïque, il faut oublier les trois considérations insignifiantes énumérées plus haut. Elles ne font que détourner le débat.

Plutôt, il faut abolir les subventions de 60% aux écoles privées, écoles qui deviennent, et deviendront, de plus en plus, des incubateurs de fanatiques religieux et de braqués ethnoculturels (ultrareligieux québécois inclusivement). Il faut abolir toute loi et tout règlement accordant quelque privilège financier aux églises. Il faut abolir toute institution gouvernementale religieuse. Il faut que l’État refuse en toute circonstance de financer majoritairement une organisation religieuse ou dont l’occupation principale est religieuse.

Il faut abolir l’accréditation automatique des charités religieuses pour fins d’impôts, les subventions pour l’entretien immobilier des églises, le financement gouvernemental des facultés de théologie, la reconnaissance de quelque compétence particulière que ce soit de quelque église que ce soit, particulièrement en ce qui a trait aux activités économiquement rentables pour elles. Il faut aussi retourner aux communautés locales les édifices et églises non rentables afin que ces communautés civiles (municipalités) en disposent à leur guise. Ne répétons pas l’erreur de la France qui a nationalisé les églises et dont l’État se retrouve avec le lourd fardeau de les entretenir et de maintenir leur fonction religieuse –cela sur poumon artificiel financé par le payeur de taxes. Quand on pense que ce sont ces communautés locales qui ont bâti et qui ont payé ces immeubles et défriché ces terres, il est scandaleux de voir une organisation religieuse partir avec la cagnotte afin de s’autoperpétuer dans un vacuum intellectuel et moral tout en envoyant une part substantielle des bénéfices au Vatican.

Le plus important pour nous, les « sans religion », deuxième groupe cosmogonique en importance au Québec après les catholiques, est que soit aboli le honteux, aberrant, injuste et rétrograde programme d’Éthique et Culture Religieuse (ÉCR). Ce programme scolaire obligatoire et universel de bourrage de crâne religieux est invasif du début du primaire jusqu’à la fin du secondaire au Québec. Il ne sert que les intérêts des églises et des professionnels de la religion. Il emplit le cerveau de nos enfants de notions archaïques, aberrantes, dangereuses, oui… sexistes, paternalistes, xénophobes, intolérantes, anti-scientifiques, anti-démocratiques. Ce programme est une offense aux « sans religion » du Québec qui ne peuvent soustraire leurs enfants à cette propagande aussi « folklorique » soit-elle ou prétende-telle être. Institué il y a à peine quelques années, à lui seul, le programme ÉCR montre que le Québec est extrêmement arriéré en matière de laïcité, qu’il est susceptible de reculer plus loin encore que le siècle des Lumières, en brayant l’imbécile slogan de « laïcité ouverte » qui est en fait un « théocratisme frileux ».

Le peuple québécois s’accorde-t-il sur le point de vue exprimé ici ? On peut penser qu’il en est à des années-lumière. Pas parce qu’il ne pourrait pas s’y accorder, mais parce que ceux qui savent mieux n’ont pas eu jusqu’à maintenant le courage intellectuel et la détermination politique de le disséminer. Les États-Unis d’Amérique ont élu un gouvernement qui a aboli l’esclavage, malgré l’opprobre de la majorité des citoyens. Sur ce point, le peuple était en retard sur son élite politique. L’histoire a donné raison au président Abraham Lincoln qui a persévéré avec détermination à sortir son pays de la honte en libérant de façon définitive les esclaves. Le législateur québécois va-t-il encore s’adonner à une farce hypocrite et superficielle sur la question de la laïcité ou profitera-t-il de l’occasion unique que lui offre le peuple québécois de prendre le leadership et de voir loin, de changer l’histoire de notre peuple ?

Notre peuple peut réellement accéder à une laïcité moderne. Le moment est venu. Une telle opportunité pour ne représenter que dans un autre demi-siècle, voir même un siècle.

Proposons-nous ici de mettre les croyants au purgatoire ? Absolument pas. Nous proposons de les placer très exactement là où nous sommes, nous, les « sans religion ». Nous proposons que chaque citoyen puisse se payer lui-même toutes les libertés que la religion puisse concocter : une école, un orphelinat, une église, une faculté de théologie, un foyer religieux pour personnes mourantes, une industrie pour rituels de naissance, mariage, décès, qu’il puisse affirmer tout ce qu’il voudra, sur toutes les tribunes, qu’il puisse convoquer un aumônier au chevet de son lit de mort ou n’importe où ailleurs… à ses frais et sans avantage commercial encadré par la loi, sans accréditation ou validation provenant de l’État. Et finalement, nous proposons que les gens devraient pouvoir se vêtir comme ils l’entendent, partout, sauf si assujettis à un code vestimentaire spécifique dans une enceinte spécifique (code vestimentaire d’une école, costume de travail, etc.).

Nous, les sans religion, pourrons faire de même, à l’inverse : payer à la pièce pour des services spirituels, affectifs et sociaux qui ne soient ni religieux, ni reconnus comme prioritaires par l’État. Ainsi, lorsque nous défaillirons émotionnellement, spirituellement ou socialement, et ne serons pas satisfaits des services de l’État à ce chapitre, plutôt que de nous faire payer des réconforteurs spirituels, affectifs ou sociaux de luxe, par les religionistes, nous paierons un psychologue ou autre intervenant pour qu’il soigne notre âme.

Entre temps, nous souhaitons que l’État québécois se concentre sur la conceptualisation et l’implantation d’une modernité qui se prenne au sérieux: une économie plus saine, une éducation plus forte, une meilleure santé publique, l’avancement des sciences, une justice mieux distribuée, une liberté plus englobante, une culture plus vibrante.

Un dernier mot sur la nécessité de bien préparer le passage à un Québec laïque. Premièrement, l’État québécois est seul à disposer des moyens requis pour comptabiliser correctement et à fond les coûts actuels de la non-laïcité au Québec pour le payeur de taxes et impôts [1]. Il sera habile de la part du gouvernement du Parti Québécois de prendre tout son temps pour faire la démonstration de la très importante ristourne qui attend le citoyen. Il serait même particulièrement habile de la part du gouvernement d’annoncer des baisses d’impôt qui découleraient de l’implantation, graduelle, il va sans dire, de la laïcité. Deuxièmement, il ne faut pas sous-estimer l’inertie symbolique des populations. Le catholicisme fait partie intégrante de l’identité des québécois. Il est extrêmement important pour le législateur d’affirmer clairement le principe de la laïcité, sans faire croire qu’une vague de répression brutale déferlera sur les gens qui sont présentement confortablement installés dans les privilèges étatico-religieux. Pas question de congédier du jour au lendemain les aumôniers d’État, les conseillers spirituels dans nos Écoles, les professeurs de théologie, et ainsi de suite. L’application de la nouvelle laïcité devra se faire dans la douceur, dans le respect des individus sans compromis toutefois sur le principe.

Vive la liberté ! Vive la justice ! Vive la république !

 

  1. Dans les années 90 j’ai passé des mois à éplucher des archives gouvernementales pour calculer le coût, pour le payeur de taxe québécois, des privilèges accordés par le seul gouvernement du Québec (excluant donc le gouvernement fédéral) à l’Église catholique (excluant donc les autres églises). Je me souviens d’avoir publié un bref compte rendu de cette analyse dans le Bulletin du Mouvement laïque québécois. J’étais arrivé au montant de 6.7 milliards de dollars par année.

« Je ne crois ni en Dieu, ni au Diable. Je suis athée. » Pauline Marois

Pauline Marois, premier ministre du Québec, passe à l’histoire comme étant, sauf erreur, la
première chef d’État féminin qui se déclare ouvertement et publiquement athée. Elle a fait
cette révélation à la journaliste Naomi Mercier qui en a fait état dans un reportage publié dans l’Actualité 20 septembre 2012. Le paranoiaque anti-français et religieux Richard Henry Bain a tenté d’assassiner par balles Pauline Marois, le 4 septembre 2012. Se défendant seul en cour, Bain a affirmé que «Jésus Christ est son avocat».

 

 

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