Daniel Baril
Daniel Baril a été journaliste à l’hebdomadaire Forum de l’Université de Montréal pendant près de 23 ans. Il est actuellement président du Mouvement laïque québécois (par intermittence pendant deux décennies) et a été également membre du conseil d’administration de l’Association humaniste du Québec. Il est le cofondateur du groupe Les Intellectuels pour la laïcité et co-rédacteur de la Déclaration pour un Québec
laïque et pluraliste.
Le gouvernement devra clarifier ces enjeux avant de lancer sa consultation
Selon ce qu’annonçait la première ministre Pauline Marois le 1er février, le gouvernement québécois a donc l’intention de faire un pas vers une déclaration formelle du caractère laïque de l’État québécois. On ne peut que s’en réjouir et soutenir le gouvernement dans cette initiative qui a trop tardé à venir. On ne sait toutefois pas jusqu’où le gouvernement a l’intention d’aller. Plus que la Constitution canadienne, et son multiculturalisme auquel le Québec peut se soustraire par la clause dérogatoire, c’est l’opposition majoritaire à Québec qui risque d’être le principal obstacle dans l’affirmation de cette laïcité et surtout dans sa mise en oeuvre cohérente.
Le gouvernement du Parti québécois devra lui aussi faire preuve d’une plus grande cohérence. À commencer par le choix du vocabulaire. La première ministre a rappelé que le Parti québécois avait fait le choix de la « laïcité stricte ». De quoi s’agit-il ? D’une malheureuse formulation entraînée par l’oxymore que constitue la « laïcité ouverte », un terme créé par ceux qui disent être d’accord avec la laïcité, mais qui en refusent les conséquences.
La « laïcité ouverte » ouvre en effet la sphère publique à l’influence de la religion alors que le propre de la laïcité est d’assurer l’indépendance de l’État à l’égard du religieux. Refuser cette avenue oblige alors à préciser que la laïcité recherchée n’est pas celle-là. Mais pourquoi ajouter quelque autre adjectif que ce soit au concept de laïcité lorsqu’on retranche l’adjectif « ouverte » ? On ne le répétera jamais assez : la laïcité n’a pas besoin d’adjectif. Que ceux qui en travestissent le sens vivent avec leur chimère. Le gouvernement devrait donc éviter de perpétuer ce faux choix entre une chose et son contraire.
Mme Marois a également affirmé vouloir préserver les « valeurs québécoises » en donnant les exemples de la neutralité des services publics et de l’égalité hommes-femmes. En quoi ces valeurs, et toutes celles qu’on peut déduire de Charte des droits et libertés de la personne, sont-elles plus québécoises que canadiennes, ou américaines, ou françaises, ou arabes, ou chinoises ? Ne seraient-elles pas tout simplement les valeurs issues de l’humanisme laïque universel ? Avant de figurer dans la Charte québécoise, elles ont notamment été colligées dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Ces valeurs sont aussi celles du Siècle des lumières. Elles ne sont pas dites universelles parce qu’elles seraient partagées partout et toujours par tous les citoyens, mais parce qu’elles peuvent s’appliquer à tous et qu’elles transcendent les cultures, contrairement à une approche du droit fondée sur des préceptes religieux. Pourquoi cette réserve à parler d’humanisme laïque ?
Vous avez dit « patrimoine » ?
L’expression « valeurs québécoises » éveille par ailleurs le syndrome des « valeurs historiques du patrimoine québécois » au nom desquelles les trois partis présents à l’Assemblée nationale en 2008 ont voté à l’unanimité le maintien du crucifix dans cette enceinte. Pendant les neuf ans où il a été au pouvoir, l’ex-premier ministre Jean Charest s’est montré incapable de formuler une seule phrase complète sur un enjeu sociétal et nous a laissé en héritage cette déclaration d’une incommensurable aberration.
Le Parti québécois a lui aussi un sérieux effort de cohérence à faire sur cette question. Lors de la campagne électorale de l’été dernier, Pauline Marois déclarait qu’une charte de la laïcité allait interdire le port de signes religieux par les employés de l’État et ajoutait dans la foulée que le crucifix de l’Assemblée nationale allait demeurer en place. La démarche a ainsi perdu toute crédibilité aux yeux des militants laïques des deux camps en plus d’être perçue comme un geste hostile envers les minorités religieuses. La laïcité ne vise pas à brimer la religion des autres, mais à assurer l’indépendance de l’État face aux religions, y compris la religion de la majorité.
Si la laïcité conduit à proscrire les signes religieux de la part des employés de l’État, à plus forte raison commande-t-elle à l’État de ne pas afficher de symboles religieux. Faut-il rappeler que ce crucifix a été introduit à l’Assemblée nationale par Maurice Duplessis en 1936 pour sceller l’alliance entre son gouvernement et l’Église catholique ? Cet objet de culte symbolise donc la négation même du principe de laïcité. Par souci de cohérence, le premier geste d’un Québec qui affirme sa laïcité serait de le retirer.
Rapport Bouchard-Taylor
La position du Parti québécois est la copie inverse de la position tout aussi incohérente du rapport Bouchard-Taylor qui demandait de retirer ce symbole chrétien tout en permettant aux fonctionnaires d’autres religions d’arborer leurs symboles religieux. Cette position a provoqué une crispation identitaire qui a conduit à la motion que l’on connaît. Retirer ce crucifix n’a pas pour effet de nier que le catholicisme fait partie du patrimoine historique de la société québécoise, mais a pour but de signifier que les décisions prises par l’État le sont en fonction de valeurs humanistes et non en fonction des croyances d’une religion.
D’innombrables lois allant à l’encontre des croyances et des préceptes catholiques, donc en contradiction avec ce que représente le crucifix, ont été adoptées par le gouvernement du Québec tout en gagnant l’assentiment de la très vaste majorité de la population. À commencer par le droit de vote pour les femmes, auquel l’Église catholique s’est opposée avec acharnement pendant des décennies, ou encore la création d’un ministère de l’éducation et la déconfessionnalisation du système scolaire. Sans oublier la libéralisation de l’avortement, l’abolition de la loi sur le dimanche, l’instauration du mariage civil, du mariage de conjoints de même sexe et éventuellement d’une loi sur l’euthanasie réclamée par plusieurs. Même la Charte des droits et libertés, qui reconnaît la liberté de conscience, l’égalité des religions et l’égalité des sexes, est fondée sur des principes humanistes qu’aucune religion ne reconnaît ou ne met en pratique.
Espérons que la consultation annoncée permettra au gouvernement du Québec de jouer son rôle de clarificateur des enjeux et qu’il sera en mesure de réparer les dégâts. Mais il doit au préalable faire son propre travail de clarification afin de proposer aux Québécois une avenue claire et cohérente.
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