Sept bonnes raisons pour s’opposer au cours Éthique et culture religieuse

par Mar 15, 2012Articles de fond, ECR, Laïcité, Québec humaniste, Réflexions0 commentaires

Daniel Baril

Daniel Baril

Daniel Baril a été journaliste à l’hebdomadaire Forum de l’Université de Montréal pendant près de 23 ans. Il est actuellement président du Mouvement laïque québécois (par intermittence pendant deux décennies) et a été également membre du conseil d’administration de l’Association humaniste du Québec. Il est le cofondateur du groupe Les Intellectuels pour la laïcité et co-rédacteur de la Déclaration pour un Québec
laïque et pluraliste. 

Selon la Cour suprême, le cours Éthique et culture religieuse (ECR) ne brime pas la liberté de religion et l’État n’est donc pas tenu de mettre en place une procédure d’exemption de ce cours. Mais le débat n’est pas clos pour autant. Même si les requérants catholiques ont perdu leur cause, plusieurs bonnes raisons nous amènent à contester le bien-fondé de ce cours.

  1. Un tel cours n’a été demandé par personne du côté des communautés religieuses, tant chez les musulmans, les juifs, les bouddhistes, les sikhs ou les autochtones. La question à poser est donc de savoir pourquoi ECR a été mis en place. La réponse est simple: ce cours est un compromis destiné à maintenir l’enseignement religieux à l’école. Comme cet enseignement ne pouvait plus être restreint au catholicisme et au protestantisme, on lui a ajouté l’ensemble des croyances des autres religions. ECR est donc un reliquat de l’école confessionnelle dans une école supposée laïque.
  2. La soi-disant approche culturelle des religions est un leurre, voire de la malhonnêteté intellectuelle. Il est étonnant de constater à quel point les défenseurs de ce cours ont une analyse livresque. Le fait qu’il soit écrit dans le programme que l’approche est culturelle semble constituer, à leurs yeux, une description de ce que l’élève perçoit. Mais l’approche pédagogique est invisible pour l’élève qui ne fera aucune différence entre se faire dire, comme dans l’ancien cours de religion, que « Jésus est ressuscité à Pâques » et, dans le cours ECR, que «les chrétiens croient en la résurrection de Jésus à Pâques».

Comment peut-on parler «de façon culturelle », à des enfants de 6 à 12 ans, de croyances comme celles des Rois mages, du Déluge, de Nanabojo, de Glouskap, de la « révélation » à Mahomet, de l’Annonciation, de la naissance de Bouddha, du roi David et du « géant Goliath »? Tous ces récits, qui sont de pures créations mythiques mais qu’on voudrait nous faire passer pour des faits historiques, sont au programme.

Comment peut-on, comme le prévoit le programme, faire témoigner « culturellement » l’enfant sur ses pratiques religieuses telle la première communion, la messe, la confirmation, la prière du vendredi, le shabbat, la contemplation, autant d’éléments confessionnels sur lesquels porte ce qui est considéré comme de la « culture religieuse »?

Certains des défenseurs de l’ancien enseignement religieux nous disaient que cet enseignement n’était plus confessionnel mais « anthropologique ». Si c’était le cas et si le nouvel enseignement religieux est « culturel », quelle est la différence entre les deux? La différence, c’est qu’il est devenu multiconfessionnel.

  1. Le cours ECR ne vise pas à former l’esprit critique face aux allégations des religions. Bien que les concepteurs aient écrit dans le programme que celui-ci doit « amener les élèves à apprendre à penser par eux-mêmes » et favoriser «le développement d’un sens critique», on ne trouve aucune suggestion d’activité qui vise cet objectif. Les concepteurs ont d’ailleurs ajouté que « pour ne pas influencer les élèves dans l’élaboration de leur point de vue, [l’enseignant] s’abstient de donner le sien »! Comment va-t-il s’y prendre pour développer le sens critique s’il ne doit pas influencer l’élève? De telles incohérences dans les fondements pédagogiques sont révélatrices du degré de confusion dans lequel baignaient les concepteurs. Quoi qu’il en soit, comment peut-on développer le jugement critique face à des croyances qui relèvent de la foi et qui ne sont pas fondées sur la raison?

Si c’est l’esprit critique qu’il faut former, on y arrivera par un cours de philosophie adapté aux enfants et non en leur alignant la somme des mythologies de l’humanité. La glorification de la pensée religieuse ne pourra que conduire l’enfant à penser que la religion est une nécessité de la vie et qu’il vaut mieux aller s’en chercher une si on n’en a pas. ECR crée ainsi un terreau fertile pour amener l’enfant à croire que les pierres ont peut-être une âme, que l’esprit des défunts peut faire bouger une table ou que le dessein intelligent est une science.

  1. L’athéisme, l’humanisme et la vision scientifique du monde sont complètement évacués du programme, contrairement à ce qu’on nous avait promis et contrairement à ce que laisse encore croire certains de ses défenseurs. Tous les récits créationnistes du monde sont abordés: celui de la Genèse, de la tortue amérindienne, du AUM, du yin et du yang, mais pas la vision scientifique de l’origine du monde. L’athéisme ne fait l’objet que d’une phrase dans le programme de secondaire 4.
  2. Comme le titre ECR l’indique, le volet « culture religieuse » est imbriqué dans celui d’éthique, ce qui est une aberration philosophique. L’enfant apprend ainsi à former son sens éthique et son jugement moral en contexte de « culture religieuse », comme si la morale n’était possible qu’au sein des religions et comme si les religions entrainaient par elles-mêmes un comportement éthique. Même le rapport Proulx, d’où émane l’approche culturelle des religions, n’a pas proposé un tel amalgame inacceptable.

Ce sont d’ailleurs des arguments d’ordre éthique que font principalement valoir les défenseurs du programme pour justifier le volet culture religieuse. Si l’intention est de favoriser «la reconnaissance de l’autre » et «la poursuite du bien commun », c’est par le volet éthique que seront développées ces habiletés citoyennes qui s’épanouissent beaucoup mieux dans un cadre humaniste que dans l’univers contradictoire et conflictuel des religions.

  1. Ce cours occupe trop de place dans une grille surchargée. ECR est obligatoire à toutes les années du primaire et du secondaire, sauf en secondaire 3. Si l’intention est de livrer de l’information sur les religions, pourquoi faut-il y revenir à chaque année? Une telle information pourrait être fort bien être intégrée au cours d’histoire, un cours qui n’occupe pas suffisamment de place dans la formation, ou faire l’objet d’une option en secondaire 4 ou 5.
  2. Selon ses défenseurs et selon le jugement de la Cour suprême, le cours ECR n’est pas relativiste. Dommage, car c’eut été là sa principale qualité. Le relativisme permet en effet de réaliser que les vérités absolues des religions sont en fait… bien relatives. Bref, les principaux objectifs poursuivis par le cours ECR peuvent très bien être atteints sans nécessiter un cours spécifique sur la culture religieuse.

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