10 mythes et vérités à propos des athées
Loyla Leroux
Membre du conseil d'administration de l'AHQ
Loyola Leroux a enseigné la philosophie pendant 36 années au Cégep de Saint-Jérôme; baccalauréat en philosophie (UQAM)
Il se peut que certains d’entre vous ayez lu « 10 myths and 10 truths – About Atheism » de Sam Harris dans le LA Times. Il s’y efforçait de clarifier quelques malentendus au sujet des athées. Certains parmi les humanistes trouveraient certainement à redire à ce texte surtout à cause de l’espace qu’Harris y consacre à tourner la religion en ridicule.
Comprenez-moi bien, en ce qui me concerne les religions méritent amplement d’être critiquées mais ce n’est pas le but recherché ici. Si on cherche à faire comprendre au grand public exactement qui nous sommes, ce n’est peut-être pas la meilleure façon de procéder que de dire en même temps « et voici pourquoi vous les croyants, vous êtes de pathétiques ignares. » Cela risque de n’être pas très persuasif.
Alors voici ma version (très largement inspirée de celle de Sam Harris avec tout le crédit qui lui est dû).
Les athées sont convaincus à 100% qu’il n’y a pas de dieu; ce sont des fondamentalistes de la non croyance
Être athée ne signifie pas la même chose pour tout le monde. Mais pour la grande majorité d’entre nous, ça ne signifie pas être 100 pourcent certain qu’il n’y a pas de dieu. Ça veut juste dire suffisamment convaincu. Nous sommes convaincus que Jéhovah, Allah ou Ganesh n’existent pas davantage que Zeus, Thor ou le monstre spaghetti volant. Parmi les athées que je connais j’en ai rencontré bien peu qui étaient des « centpourcentistes. » Je n’en ai jamais rencontré non plus (je ne suis pas en train de dire qu’il n’y en a pas) qui me disent « nous sommes 100% sûr qu’il n’y a pas de dieu et rien ne pourrait me convaincre du contraire. » Ce que la majorité des athées soutient par contre est que « les preuves de l’existence de dieu sont faibles et les arguments circulaires. Montrez-nous de meilleures preuves et nous changerons peut-être d’idée, mais entretemps nous considérons que dieu n’existe pas ».
Les athées sont des êtres immoraux; sans la religion toute moralité disparaît
Je pourrais argumenter contre cette proposition de milles façons. Par exemple en faisant la démonstration qu’une éthique humaniste qui prend la responsabilité de ses choix est moralement supérieure au fait de suivre des dogmes décidés par d’autres de façon aveugle… mais c’est un argument qu’un théologien pourrait faire également. Je pourrais faire remarquer que même les croyants sont souvent « sélectifs » dans l’application des commandements de leur religion et qu’ultimement ce sont eux en bout de ligne qui décident de ce qui est moral ou non. Je pourrais tout aussi bien prétendre que les religions sont loin de fournir de bons exemples de moralité, surtout lorsqu’on constate certains agissements de leaders religieux d’une éthique très douteuse (Bin Laden, George Bush). On peut aussi citer des recherches qui suggèrent des bases neurologiques/évolutives à la moralité
Mais en fait, je vous dirais simplement ceci; regardez autour de vous. Vous constaterez que ce mythe est faux à l’évidence. Les athées ne tuent pas, ne volent ni ne violent ni ne trichent davantage que les croyants. Regardez certains pays Européens tel la France ou l’Angleterre ou les pays scandinaves où les non croyants sont en majorité ou presque. Ces pays ne vivent pas dans le chaos et le crime. Au contraire ils se débrouillent très bien merci. Ces pays ont un fort fi let social et leurs habitants un très bon niveau de vie.
Et regardez les individus qui se déclarent athées. Vous voulez des noms? Carl Sagan, Woody Allen, Bjork, David Bowie, Georges Brassens, Jacques Brel, Bertrand Russell, Simone de Beauvoir etc. Il y a des policiers, des pompiers, des soldats et aussi des gens ordinaires tout autour de vous qui vous saluent à tous les jours. Est-ce que tous ces gens vous semblent dégénérés?
À moins que vous soyez pris dans un raisonnement circulaire, à moins que vous soyez déjà convaincu que tous ceux qui professent une religion différente de la vôtre sont immoraux par définition, vous devez admettre que les athées sont aussi moraux que vous.
Les athées sont en colère et malheureux, leur vie est vide de sens, ils sont sans espoir
Encore là je pourrais mobiliser nombre d’exemples pour contredire cette affirmation. Je pourrais argumenter qu’il n’y pas besoin d’être religieux pour donner un sens à sa vie et qu’il y a beaucoup de sources d’espoir autres qu’un espoir de vie ultérieure.
Mais encore là regardez autour de vous, prenez le temps de discuter avec des athées d’autres choses que de la religion, de livres, de films, de musique, de science, de leurs enfants, de leurs blondes et j’en passe. Si vous le faites-vous allez-vous rendre compte que leurs vies sont aussi riches, pleines, complexes, transcendantes et significatives que celles des croyants.
Nous n’avons pas besoin de la religion pour entretenir un espoir et donner un sens à notre vie. Nous pouvons faire cela nous-mêmes, créer notre propre sens (oui cela arrive que des athées soient de mauvais poil avec des croyants et puis après? Ça n’arrive jamais à des croyants?
Les athées sont intolérants, manquent de respect et sont cassants
Ça se peut, nous sommes aussi des humains et avons nos mauvais jours. Mais tous les athées? Tout le temps? Plus que les croyants? Vraiment? (Je sais, j’ai dit que je ne critiquerais pas la religion… mais avez-vous déjà remarqué comment certains croyants peuvent être grotesquement intolérant envers les athées ou même d’autres croyants qui ne pensent pas comme eux ? Pouvez-vous vraiment accuser les athées d’être les gros méchants?
Je crois que ce mythe vient du fait que pour les athées, la religion est une hypothèse comme une autre qui propose une explication du monde. Nous refusons de la traiter avec davantage de respect que n’importe quelle autre opinion, théorie ou philosophie. Nous ne voyons pas pourquoi nous devrions traiter les écrits ou les chefs religieux avec davantage de respect que n’importe quel politicien ou personnage public. Pour tout dire on ne voit pas pourquoi la religion devrait bénéficier d’un statut spécial qui l’exempte de toute critique simplement parce qu’il s’agit d’une croyance partagée par un grand nombre. La religion a longtemps profité de ce passe-droit et les croyants sont prompts à interpréter toute critique ou remise en question comme un manque de respect.
Les athées sont des geignards
Encore là, certains d’entre nous le sommes parfois (voir plus haut). Mais pour la plupart, les athées sont des gens heureux de leur sort comme les croyants. Et, en passant, demander justice n’est pas geignard. Personne ne prétend que la bigoterie anti athées est à mettre sur le même pied que le racisme et le sexisme par exemple.
Mais ceci étant dit les athées ont certaines doléances légitimes. Et la moindre d’entre elles concerne la manière dont les athées sont traités par les croyants. Nous sommes davantage outrés par la façon dont certains croyants en traitent d’autres. Une façon courante de dénigrer n’importe quel mouvement social est de le traiter avec condescendance. Les femmes qui demandent l’égalité sont des hystériques, les gens d’origine ethnique sont trop démonstratifs, les gais et lesbiennes trop nombrilistes et les athées des geignards. Cette attitude cherche à faire taire les athées et non à encourager un dialogue.
L’athéisme est une mode
Oui on parle davantage de l’athéisme en ce moment. Que ce soit en librairie, dans les journaux ou à la télé ou sur le net. Comme les gays dans les années 90, les gens de couleur à la fin des années 50, les féministes dans les années 70. Il y a un moment dans chaque mouvement social important où on atteint une « masse critique. » Le mouvement devient rassembleur, plus visible et se fait entendre davantage. Le mouvement prend de l’ampleur à un point où la société doit en tenir compte. C’est généralement à ce moment que les médias en prennent note et se demandent « mais qu’est-ce qui se passe ? » « Qui sont ces gens? » Comme si nous n’avions pas toujours été là.
Est-ce que ça signifie que l’athéisme est une mode? Quelque chose qu’on fait pour avoir l’air « cool » ? Certainement pas. Pas plus que le fait d’être gay. Sortir du placard est quelque chose de douloureux pour plusieurs. Cela peut vouloir dire perdre des amis, être ostracisé dans sa propre famille. Ceux qui prennent cette décision ne le font pas pour suivre une mode, ils veulent simplement être conséquents avec eux-mêmes.
Les athées ne font que critiquer le pire des religions et ignorent complètement le côté positif de la foi; ils ignorent tout de la théologie
Premièrement c’est faux, beaucoup d’athées ont lu des ouvrages de théologie. Une étude scientifique américaine récente montre même que les athées ont une meilleure connaissance factuelle de la religion que les croyants ! Mais même si on a lu tout St Thomas d’Aquin ou Bonhoeffer, cela ne répond pas à la question la plus importante, dieu existe-t-il ou non? Les théologiens partent du postulat que dieu existe et brodent à partir de ce postulat.
Pour être honnête, la plupart des athées se moquent comme de leur dernière paire de chaussettes de la façon dont la religion est pratiquée par une poignée de théologiens. Nous sommes beaucoup plus préoccupés de la façon dont la religion se pratique dans le vrai monde. Et cela inclut les versions archaïques, stupides et destructrices… qui méritent amplement les critiques qui lui sont adressées.
Les athées sont responsables des plus grands crimes de l’histoire de l’humanité : Staline, Mao etc.
Honnêtement, j’ignore pourquoi ce bobard se perpétue. Ce n’est pas comme si chaque athée avait un poster de Staline ou Mao dans sa chambre. Mais comme on entend souvent cette critique parlons-en. L’argument est présenté grosso-modo de cette façon « Staline est responsable de la mort de dizaines de millions de personnes. Staline était un athée. Donc tous ces meurtres sont la faute de l’athéisme. »
Si on utilise la même logique, alors George W Bush est responsable de la mort de milliers de personnes en Irak; Bush est un chrétien; donc tous ces morts sont la faute du christianisme. Ça n’a aucun sens évidemment. Une version plus posée de l’argument ne considérerait pas chaque mort attribué à Staline, mais celles explicitement infligées au nom de l’athéisme. Je conviens d’emblée ne pas être un expert en histoire russe, ce nombre n’est sans doute pas un zéro mais ce n’est certes pas 60 millions non plus. Le jeune Staline fut un séminariste des plus pieux, voulant devenir prêtre avec zèle. Admettons tout de même que les athées ne sont certes pas immunisés contre les défauts humains et cela inclut la mégalomanie tyrannique. Mais l’essence de l’argument « Stalinien » et ses variantes, la culpabilité par association, que l’athéisme est la source de tous les maux, ne tient pas la route.
Il n’y a pas eu beaucoup de chefs d’état ouvertement non-croyants. On peut les comprendre étant donné le stigmate associé aux athées, mais il y en a eu quand même quelques-uns. Helen Clark, premier ministre de la Nouvelle-Zélande de 1999 à 2008 était ouvertement agnostique et Robert (Bob) James Lee Hawke, premier ministre Australien, 1983 à 1991, agnostique déclaré et Bill Hayden, gouverneur général d’Australie de 1989 à 1996, athée. Winston Churchill se proclamait agnostique.
L’Angleterre sous Churchill. La Nouvelle-Zélande et l’Australie ces deux dernières décennies. Pas exactement des dictatures Stalinistes. Et qui sait combien d’autres chefs d’état sont des non-croyants et ne l’avouent pas par peur de l’opprobre de leurs électeurs? Oui, quelques tyrans sanguinaires ont été des athées. Beaucoup plus ont été des croyants. Et autant des athées que des croyants ont été des chefs d’état respectés et respectables. L’argument Staline ne prouve rien du tout. C’est à la base un argument malhonnête.
Les athées croient que la science leur appartient; la science est leur religion
Il est vrai qu’être croyant n’empêche pas d’être un scientifique. Je ne connais pas d’athées qui prétendraient le contraire. Mais il y a une raison pour laquelle les athées prétendent que la science est importante et qu’elle revient constamment dans nos arguments, et que nous nous y fions, et ce n’est pas parce que la science est notre religion ou que nous ne la remettons jamais en question. Ce n’est même pas parce nous pensons que la science a rendu la religion caduque (même si elle a disposé de certaines croyances spécifiques). Les athées se préoccupent de la science parce que celle-ci nous fournit une méthode alternative pour comprendre la réalité.
La science n’est pas qu’un ensemble de théories et de faits, c’est surtout une méthode pour différencier la bonne information de la mauvaise, faire la part entre les théories utiles et celles qui sont fausses. La science est une méthode pour comprendre le monde qui repose non pas sur l’autorité et l’intuition, mais sur un examen rigoureux des faits et sur une volonté de remettre en question chaque théorie.
Pour comprendre notre monde, la science est une alternative à la religion, elle nous fournit non seulement des réponses différentes, mais surtout une façon différente de poser des questions. La science ne remplace pas la religion, elle la rend simplement inutile. C’est pourquoi elle est si pertinente et si importante pour les athées.
Les athées se croient supérieurs
Encore une fois, oui certains le croient. Se croire supérieurs aux gens avec qui nous avons des différences de vue est malheureux, mais ce n’est pas unique aux athées. Mais il faut faire une distinction entre le fait de se croire supérieur et de penser que sur une question en particulier, vous avez raison et que ceux qui ne sont pas d’accord ont tort.
La religion a été exempte de critiques tellement longtemps que la plupart des croyants sont choqués lorsqu’ils entendent un reproche ou qu’on leur indique une invraisemblance. Parce que leur religion est quelque chose d’éminemment personnel, certains croyants sont incapables de faire la différence entre une critique de leurs doctrines et une insulte personnelle. Ils entendent « vous êtes stupide et je suis supérieur » alors qu’un athée va dire en fait « je ne suis pas d’accord avec vous » ou « votre argument ne repose sur rien de concret » ou quelle preuve pouvez apporter pour soutenir ce que vous dites? » Ou encore « vos arguments sont faibles et vous n’offrez aucune preuve. Pouvez-vous faire mieux? »
Être persuadé que vous avez raison, et essayer de convaincre d’autre gens de cela, ce n’est pas de l’arrogance. C’est une agora, un libre échange de vues. En autant que vous restiez ouvert à l’idée que vous pouvez avoir tort, ou que vous pouvez avoir raison sur « X » mais pas nécessairement sur «Y » et « Z ». Croire que vous avez raison n’est pas arrogant. Ce n’est pas plus arrogant de penser que vous avez raison en ce qui concerne votre religion que ça l’est de penser que vous avez raison sur la politique ou sur des théories scientifi ques. C’est comme dire « la ferme, parce que. ». Ce n’est pas un argument, c’est simplement essayer de faire mal paraître un athée seulement parce qu’il ose formuler une critique.
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