Michel Virard
Président de l'AHQ
Michel Virard est un des fondateurs de l’AHQ en 2005 avec Bernard Cloutier et Normand Baillargeon. Ingénieur et entrepreneur, il a également été administrateur des Sceptiques du Québec. il est depuis les tout débuts l’une des âmes dirigeantes de l’AHQ.
Le 18 septembre 1997, un journaliste de la revue Die Aula, Gerhoch Reisegger, demande par écrit officiellement au cardinal « l’autorisation de reproduction » (« Abdruckerlaubnis ») d’un texte précédemment publié dans la revue catholique « Communio » en 1995. De quoi s’agit-il. D’un texte qui dévoile l’aversion de Ratzinger pour la démocratie comme j’entends le démontrer ci-après. Pour éviter les pièges de la double traduction (allemand à anglais puis à français), j’ai conservé la version anglaise.
Ratzinger a écrit:
« The feeling that democracy is not the right form of freedom is fairly common and is spreading more and more. The Marxist critique of democracy cannot simply be brushed aside: how free are elections? To what extent is the outcome manipulated by advertising, that is, by capital, by a few men who dominate public opinion? Is there not a new oligarchy who determine what is modern and progressive, what an enlightened man has to think? The cruelty of this oligarchy, its power to perform public executions, is notorious enough. Anyone who might get in its way is a foe of freedom, because, after all, he is interfering with the free expression of opinion. And how are decisions arrived at in representative bodies? Who could still believe that the welfare of the community as a whole truly guides the decision-making process? Who could doubt the power of special interests, whose dirty hands are exposed with increasing frequency? And in general, is the system of majority and minority really a system of freedom? And are not interest groups of every kind appreciably stronger than the proper organ of political representation, the parliament? In this tangled power play, the problem of ungovernability arises ever more menacingly: the will of individuals to prevail over one another blocks the freedom of the whole. »
La lecture attentive de ce texte devrait nous aider à comprendre pourquoi le bureau autrichien de surveillance des extrémismes (DÖW) a jugé bon de sanctionner un cardinal de l’église romaine, ce qui, en soi, n’est certainement pas un geste anodin: ils ont du peser leurs arguments.
Le procédé de Ratzinger, pour dégoûtant qu’il soit, est cependant un classique du genre : construire un épouvantail à partir des perversions de l’idée qu’on veut combattre et, une fois le portrait rendu particulièrement abject, s’employer à le vaincre sans grand péril. (« Fighting a strawman » est l’expression anglaise consacrée).
Item 1: prétendre que l’idéal démocratique est en perte de vitesse (contre toute évidence à l’époque concernée, les années 90) et donc, que des « alternatives » sont souhaitables.
Item 2: prétendre que l’idée qu’on va avancer n’est pas de soi mais, o merveille, provient directement d’un adversaire présumé (les Marxistes). En réalité un allier objectif contre la démocratie.
Item 3: poser le dénigrement qu’on va faire sous la forme d’une question apparemment légitime (How free are the elections?) . Noter qu’a partir de ce point précis Ratzinger va user de la pire méthode: la généralisation abusive. Il ne va pas préciser ni les pays, ni les époques, ni les systèmes concernés. Au banc des accusés il n’y aura qu’un seul principe: le principe démocratique lui-même.
Item 4: « To what extent is the outcome manipulated by advertising, that is, by capital, by a few men who dominate public opinion? » Pour Ratzinger, il n’existe donc qu’une seule forme de démocratie, celle qui existe dans un contexte ploutocratique.
Item 5: « The cruelty of this oligarchy, its power to perform public executions, is notorious enough. Anyone who might get in its way is a foe of freedom, because, after all, he is interfering with the free expression of opinion. » Même aux États-Unis, qu’on peut estimer visés par cette affirmation, la capacité des médias très concentrés à « exécuter publiquement » leurs adversaires restent loin d’être totale et quand bien même ce serait le cas, cela ne pourrait être retenu contre la démocratie mais plutôt contre la concentration des médias, un problème qui n’a rien d’inéluctable.
Item 6: « And how are decisions arrived at in representative bodies? Who could still believe that the welfare of the community as a whole truly guides the decision-making process? » Ratzinger met sur les épaules des élus plus que demandé: le bien-être de la communauté complète (une généralisation abusive), ça fait beaucoup. Les élus promettent normalement de remplir un programme plus ou moins précis et c’est sur cela qu’on les juge. Mais Ratzinger continue de construire son épouvantail en prétendant que la démocratie a promis la lune.
Item 7: « Who could doubt the power of special interests, whose dirty hands are exposed with increasing frequency? » Autrement dit, la révélation des scandales, au lieu d’être considérée pour ce qu’elle est, un attribut normal et essentiel des démocraties fonctionnelles, est ici utilisée pour salir l’idée de démocratie (démocratie=scandales). Je rappelle que cela nous est asséné par le cardinal même (« special interest »?) qui a envoyé une lettre aux évêques leur demandant expressément de tout faire pour cacher les scandales de prêtres pédophiles (vous avez dit: « dirty hands » ?). Encore aujourd’hui il y a un mandat d’arrestation émis par le Texas contre Ratzinger à cause de cette lettre aux évêques (obstruction de justice). Naturellement Ratzinger ne va surtout pas admettre que l’augmentation du nombre de scandales affligeant les démocraties est la conséquence directe de la plus grande capacité de dénonciation de ces mêmes démocraties (il n’y a jamais de scandales publics dans les dictatures!).
Item 8: » And in general, is the system of majority and minority really a system of freedom? » Là, le chat sort du sac. Le système de gouvernement par la majorité dans le respect des droits de la minorité est la pierre angulaire des systèmes démocratiques. C’est lui qui évite les guerres civiles et les vendettas sans fin. Le remettre en question est aussi grave que pour un catholique de remettre en question la transsubstantiation. Noter que Ratzinger a la prudence de mettre sa phrase (et les précédentes) à l’interrogatif ce qui lui permettra peut-être de dire plus tard « mais je n’ai jamais affirmé cela ». Plus jésuite que ça tu meurs!
Item 9: »And are not interest groups of every kind appreciably stronger than the proper organ of political representation, the parliament? » Spécieux, pour le moins. Il peut certainement arriver qu’un gouvernement faible soit malmené par des groupes d’intérêt mais en fin de ligne, un gouvernement élu est capable de leur tenir tête. Ratzinger ne fait pas de détail: sa phrase laisse entendre que TOUTES les démocraties sont inféodées à des groupes de pression.
Item 10: »In this tangled power play, the problem of ungovernability arises ever more menacingly: the will of individuals to prevail over one another blocks the freedom of the whole. » Pour bien enfoncer le clou dans le coeur de la démocratie: non seulement elle est immorale (désintéressée du bien commun, scandaleuse, inféodée aux groupes de pression) mais en plus, péché capital, elle est INEFFICACE, ingouvernable. Ça, c’était l’argument massue des nazis et des fascistes: avec Mussolini les trains arrivaient à l’heure. En réalité les démocraties, sous le dehors brouillon de leurs séances parlementaires, sont remarquablement efficaces. Par rapport à toutes les alternatives essayées à ce jour, elles ont une propension à adresser les problèmes qui demandent attention à proportion de leur importance réelle et de leur urgence, ce que les autres systèmes ont splendidement échoué à réaliser.
Il est possible, et même probable, que Ratzinger ait été influencé par les nombreuses crises de la République italienne, le mauvais élève de la classe, pour qu’il s’en prenne aussi violemment à la démocratie. Cela n’est pas une excuse et la lecture inattendue de ce texte m’a complètement convaincu que Ratzinger, pape de son état, est une ennemi déclaré de la démocratie.
J’en prends bonne note. Cela éclaire d’un jour nouveau les « dé-excommunications » récentes des évêques négationistes.
Michel Virard – 11 avril 2009
Références:
Et le plus navrant dans cette histoire est de constater l’aveuglement qui caractérise les catholiques purs et durs qui s’enfoncent dans le déni. Les peuples ont réellement la mémoire courte. Ratzinger le sait et il sait en profiter. Quel taré!
Jacques A Nadeau