Pierre Cloutier
Membre de l’équipe de vidéastes de l’Association humaniste du Québec. Il a assuré l’organisation et la transcription de diverses conférences et produit nombre de vidéos de l’Association. Il a également contribué à la revue. Il est membre du Conseil national du Mouvement laïque québécois. Pierre a piloté pendant vingt ans la fonction de traduction dans une multinationale oeuvrant dans la gestion des ressources humaines. Membre agréé de l’OTTIAQ, à la retraite depuis dix ans, il est aujourd’hui traducteur indépendant.
Djemila Benhabib
Née en Ukraine d’une mère chypriote grecque et d’un père algérien, Djemila Benhabib a grandi à Oran dans une famille de scientifiques, ouverte et engagée dans les luttes sociales et politiques. Très tôt, elle prend conscience de la condition subalterne des femmes de son pays et deviendra, un peu à son insu d’ailleurs, une militante féministe et laïque. Son identité complexe est un héritage précieux qu’elle enrichit perpétuellement. La mixité, elle l’assume et la défend, d’abord avec ses mots d’enfant puis, plus tard, avec ses choix de femme.
En 1994, elle quitte l’Algérie pour la France après la condamnation à mort de toute sa famille par le Front islamique du jihad armé (FIDA), une organisation paramilitaire affiliée au Front islamique du salut (FIS). Arrivée au Québec, seule, en 1997, elle fait des études en science physique, en science politique et en droit international.
Elle a travaillé au Parlement canadien et au gouvernement fédéral en plus de plusieurs collaborations médiatiques à Télé Québec, Radio-canada et au Journal de Montréal.
Ses deux livres Les soldats d’Allah à l’assaut de l’Occident (2011, VLB, H&O, Koukou) et Ma vie à contre-Coran (2009, VLB, Koukou) dans lesquels elle dénonce l’islam politique, s’insurgent ouvertement contre la place du religieux dans la sphère publique et prônent un vivre-ensemble au-delà des carcans ethniques et religieux. Ils connaissent un succès fulgurant aussi bien au Québec qu’en France et en Algérie.
Son engagement n’est pas sans conséquence puisqu’elle est régulièrement la cible de menaces de mort de la part de groupes islamistes qui profitent des privilèges que leur octroient le multiculturalisme et la Charte canadienne des droits et libertés pour asseoir leur hégémonie dans les communautés immigrantes.
Djemila Benhabib n’en a que faire. Témoin lucide et sensible de ce qui se joue dans le monde arabe, elle poursuit inlassablement son combat pour la liberté, la justice et l’égalité en faisant paraître une troisième publication Des femmes au printemps (2012, VLB, H&O, Koukou) qu’elle a déjà présentée au public algérien lors d’une tournée qu’elle vient d’effectuer dans trois principales villes d’Algérie.
« Pour sauver la révolution, il faut la déplacer dans les maisons, et plus précisément dans les lits ! », proclame l’auteure qui est convaincue que ce sont les femmes qui achèveront les révolutions du printemps arabe. Avec cette publication, Djemila Benhabib prend la direction d’une collection féministe baptisée H&O au féminin. Finaliste pour le prix du Gouverneur général du Canada 2009, elle remporte le prix des Écrivains francophones d’Amérique en 2010. Le magazine québécois Châtelaine la classe parmi les cinquante femmes qui ont marqué le Québec des cinquante dernières années. Elle s’est vu attribuer le Prix Femmes de mérite 2010 du YWCA dans la catégorie communications. En 2012, elle est lauréate du Prix international de la laïcité, décerné à la Mairie de Paris le 8 octobre dernier et finaliste pour le Prix Simone de Beauvoir.
Revue de presse
http://fr.wikipedia.org/wiki/Djemila_Benhabib
http://www.djemilabenhabib.com/
http://www.edvlb.com/djemila-benhabib/auteur/benh1013
https://twitter.com/djemilaben
http://www.lapresse.ca/arts/dossiers/nathalie-petrowski-rencontre/201211/16/01-4594758-djemila-benhabib-a-lenvers-du-printemps.php http://www.ledevoir.com/motcle/djemila-benhabib
http://www.djazairess.com/fr/elwatan/403043 http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2013/02/13/print-16-145131.php
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2013/02/20/article.php?sid=145455&cid=16
Je suis très heureuse d’être ici parmi vous, je suis même émue, pour tout vous dire, parce que je reconnais des visages que j’aime beaucoup et je les remercie vivement d’être là. En particulier Leila Lesbet et son mari Farid. Merci, ça me fait chaud au coeur. Et vous tous. C’est un vrai bonheur que de pouvoir vous rencontrer, de pouvoir échanger. Je ne suis pas très douée pour les monologues. Je vais essayer de faire un peu court pour qu’on ait aussi la possibilité d’échanger. C’est très important pour moi de pouvoir vous écouter, de m’abreuver de vos réflexions, de vos expériences.
Il n’y a pas très longtemps, quelques semaines, j’ai été en Algérie pour faire la promotion de mes œuvres et j’ai rencontré une ancienne collègue à moi Salima Tlemçani,qui est journaliste dans un grand journal qui s’appelle El Watan. Elle est haute comme trois pommes. Je pense qu’elle mesure un mètre 55, mais quelle femme ! C’est une spécialiste du terrorisme sur lequel elle a beaucoup écrit. Elle venait de perdre sa maman il y a quelques mois. Et elle m’a annoncé une excellente nouvelle : celle d’adopter deux bébés, deux petites filles, une d’un mois, l’autre de neuf mois. Elle a été les chercher à la pouponnière. Des mères célibataires les avaient abandonnées. Elle était dans ce qu’on appelle un processus de concordance du nom, parce qu’en islam si on a le droit d’adopter, on ne peut pas donner son nom à l’enfant qu’on adopte et même si on lui donne son nom, il ne peut pas hériter.
Voilà une discrimination qui a été introduite par le dogme islamique en raison d’un coup de foudre amoureux qu’a eu le Prophète avec la fille de son fils adoptif. C’est en raison de ce coup de foudre et du mariage de Zaynab avec le prophète que l’adoption avec concordance du nom n’est pas possible en Islam. Peut-on faire autrement que d’adopter le dogme islamique dans un pays musulman ? Les musulmans sont-ils condamnés à appliquer le dogme islamique ? Absolument pas, On peut citer de nombreux exemples qui démontrent concrètement que les musulmans ne sont pas condamnés à suivre le dogme. Mais, cela étant, ils aiment beaucoup le faire quand vient le temps de définir le statut juridique des femmes et la conséquence directe se répercute sur les enfants.
Exemple : en Algérie, on a recours au dogme pour légiférer sur la cellule familiale, soit ce qui est attendu de l’épouse et de l’époux. En 1984, ce statut a été légiféré par l’assemblée nationale de l’époque. Un article de loi dit : la femme doit obéissance à son mari et à ses beaux parents. Un autre précise : la femme doit allaiter ses enfants. Un troisième dit « l’homme a le droit de corriger sa femme ». On s’est posé la question de savoir comment… ce qui a donné lieu à un débat passionnant à l’assemblée nationale populaire algérienne : Comment peut-on corriger sa femme ?
La Tunisie, pays musulman et moderniste
Dans la petite Tunisie d’à-côté, magnifique pays, également musulman, en continuité géographique naturelle, les choses se sont faites autrement parce qu’en 1956, il y a eu un homme, un avant-gardiste, un moderniste qui voulait insuffler la modernité à son pays. Et la modernité commence aussi par un statut égalitaire des femmes. Bourguiba a été extrêmement audacieux. Il n’est pas allé aussi loin qu’on aurait souhaité. En Tunisie il existe aussi des discriminations. L’une d’entre elles est cette loi inégalitaire en matière d’héritage, par exemple. Les garçons et les filles n’héritent pas de la même façon, de la même part. Donc, vous voyez là l’introduction d’une discrimination à l’égard des enfants justifiée par le dogme islamique. Bourguiba, avant-gardiste comme il était, est allé tout de même à l’encontre de la répudiation, à l’encontre de la polygamie. Il a permis aux femmes de pouvoir divorcer de façon décente. Chose qui n’est pas facile, y compris en Algérie, mais surtout en Égypte. En Tunisie, par exemple, il est permis d’avorter depuis 1973.
L’Égypte, moins libérale
Si on s’éloigne du Maghreb et on va en Égypte, les choses sont tout à fait différentes, en ce sens que les restrictions sont beaucoup plus grandes et le statut des femmes est terriblement plus discriminatoire, en comparaison de la Tunisie et de l’Algérie. Pourtant c’est le même référent musulman. Mais vous voyez qu’il y a des façons de faire et de légiférer qui sont tout de même différentes. Une anecdote pour illustrer comment, dans les pays arabes et musulmans, on fait confiance aux femmes pour gérer les affaires de l’État, mais pas pour gérer leur propre vie. Ça donne quelque chose d’absolument inouï. Aïcha Rateb, juriste et ancienne ministre des affaires sociales jusqu’en 1977 qui a ouvert la porte à l’accession de Tahani al-Gebali, à la fonction de juge (première femme juge d’Égypte), voyageait en visite officielle. À l’aéroport, le douanier lui demande si elle a l’autorisation de son époux pour quitter le territoire égyptien. Surprise. Elle ne l’a pas. Le voyage officiel est terminé.
Ça donne aussi des choses assez extraordinaires, dans le mauvais sens. Un pays où en matière de lois, c’est extrêmement rigide, mais aussi en matière de pratiques sociales, il y a une violence à l’égard des femmes, violence qui se répercute sur les enfants car lorsque la femme a un statut précaire, lorsque la répudiation est possible, la femme se trouve, la plupart du temps, mise à la porte avec ses enfants. Dans les rues du Caire, il est fréquent de voir une maman avec ses enfants, parce que le mari a décidé de prendre une épouse plus jeune et de mettre la famille à la porte.
Je raconte dans mon livre, Des femmes au printemps cette superbe rencontre que j’ai faite avec Fatma, une veuve qui était assise sur le trottoir. Elle m’a beaucoup émue par sa dignité, sa souffrance, sa façon d’être. Elle mangeait un plat de macaronis. Je marchais sur la rue Champollion, je me rendais à une manifestation de journalistes. J’étais très intimidée de la voir. Donc je n’ai pas osé l’observer avec insistance. J’ai poursuivi mon chemin, elle m’a appelée, m’a dit « Viens, viens. » J’étais super contente qu’elle m’appelle. Elle voulait me vendre des paquets de Kleenex. Je me suis assise. On a commencé à parler. Elle m’a raconté dans quelles conditions elle avait été répudiée par son mari, mise à la porte avec sa fille, tandis qu’il prenait une femme plus jeune.
Or, une femme répudiée déshonore sa famille. Car, de toute façon, c’est de sa faute. C’est elle qui n’a pas su retenir son mari, faire briller son foyer. Elle a donc quitté son village pour ne pas déshonorer sa propre famille. Donc, Fatma était une femme sans l’être, car quand on n’a plus d’homme… on n’est plus vraiment une femme. Elle s’est donc retrouvée au Caire en train de mendier, de quémander. Des femmes comme elle, il y en a tout le temps. Quatre millions d’épouses se retrouvent répudiées.
Autre particularité de l’Égypte : une violence sexuelle à l’égard des femmes. On parle d’un pays où 85 % des femmes sont excisées, par ablation du clitoris ou des lèvres. Or, le clitoris est le seul organe qui soit exclusivement dédié au plaisir. Le but d’une excision est vraiment de tuer le sujet sexuel. Finalement, cette blessure est pratiquement insurmontable, car on ne guérit vraiment jamais d’une excision et elle nous marque à vie. Lors d’une conférence sur les mutilations génitales, à Paris, j’ai rencontré il n’y a pas très longtemps des femmes d’Éthiopie qui ont dit à quel point elles avaient été traumatisées par cela.
L’excision n’est pas vraiment une prédication musulmane. L’Islam ne l’exige pas. Et pourtant, les Frères musulmans font des campagnes, quotidiennement, pour exciser les filles. Des autobus sont dévoués à cela et des gens sont recrutés pour faire le tour des campagnes et exciser les filles. On commence à le faire sur des filles extrêmement jeunes : des filles de cinq ou six ans sont excisées. Une loi a été votée en 2007, au parlement Égyptien, grâce notamment aux efforts de Suzanne Moubarak pour criminaliser l’excision. Or un des dadas des islamistes a été de présenter un projet de loi pour décriminaliser l’excision.
Trois autres projets de loi ont été proposés au parlement égyptien.
Le premier : baisser l’âge du mariage de 18 ans à 13 ans. En Égypte, jusqu’à très récemment, l’âge du mariage était de 16 ans. Après un combat colossal des femmes, il a été porté à 18 ans. On le ramène à 13 ans pour satisfaire des hommes, vieux, riches, qui s’ennuient et sont à la recherche de plaisir. Ils vont en Égypte pour acheter des filles dans le cadre d’un mariage de jouissance. Les filles se marient très tôt : 12, 14, 16 ans. Ces histoires se racontent maintenant ouvertement dans les journaux. Une fille de 20 ans qui raconte avoir été mariée une soixantaine de fois. Son premier mariage a duré deux heures, un autre, deux semaines, le maximum.
On voit à quel point il y a une volonté de faire régresser la société et de légitimer des pratiques qui n’étaient pas généralisées, jusqu’ici. L’excision est pratiquement inexistante au Maghreb. Parmi ces pays appartenant à la même aire culturelle, certaines pratiques sont différentes, d’autres, semblables. Aller puiser dans le dogme islamique pour définir le statut des femmes est la norme dans les pays arabes et musulmans.
Le second projet de loi qui a fait parler au parlement Égyptien : restreindre la possibilité des femmes de demander le divorce. La demande de divorce est déjà compliquée pour les femmes, qui doivent payer pour l’obtenir.
La troisième proposition de loi qui a passionné les députés égyptiens venait d’un Salafiste et avait pour but de permettre aux hommes d’avoir des rapports sexuels avec leur femme 6 heures après sa mort…
On parle de pays qui ont des problèmes économiques extrêmement graves, l’Égypte est à genoux devant le FMI, le système d’éducation a totalement périclité, le système de santé publique est pratiquement inexistant, il faut avoir beaucoup de sous pour se soigner, il y a des problèmes éducatifs et culturels, des besoins extrêmement importants… et que font les parlementaires islamistes – trois quarts du parlement, Salafistes et les Frères musulmans, est islamiste – ils parlent du sexe et des femmes. Ils adorent parler du sexe et des femmes. On constate donc une inadéquation entre la société qui est dynamique et la demande islamiste. Il y a asymétrie entre les deux.
Il m’arrive de lire des analyses du projet de société des Frères musulmans et des Salafistes. Certains analystes, surtout occidentaux, tendent à présenter les Frères musulmans comme des modérés et les Salafistes comme des radicaux. J’ai noté la sémantique de ce débat. Je ne suis pas d’accord avec cette analyse. La même idéologie, islamiste, nourrit les uns et les autres. Les pratiques et les stratégies sont différentes, mais ils font partie d’une même famille et partagent les mêmes référents idéologiques. Ils veulent faire de la société un ramassis de gens qui ne pensent plus, qui ne rêvent plus, qui ne s’aiment plus. Voilà le but. Je suis peinée de voir à quel point, aujourd’hui, ce glissement est présent dans les médias. On veut nous faire croire à cette chimère de l’islam modéré à travers les Frères musulmans.
Aujourd’hui, dites-vous bien que si les Salafistes sont montés au créneau et sont devenus aussi violents, c’est parce qu’on le leur permet. Le meilleur exemple pour illustrer ce boulevard tracé par les Frères musulmans, et grâce à eux, c’est le cas tunisien. Notamment celui de l’Université de La Manouba.
Voilà une université où la famille académique ne souhaite pas qu’il y ait la burka dans les salles de classe ou pendant les examens. Il y a une minorité de femmes embukanées qui, elles, font le pied de grue et veulent assister aux cours en burka. Le doyen, Habib Kazdaghli, un homme absolument extraordinaire, résiste. Il y a un affrontement violent, parce que les islamistes utilisent la violence, parce que les emburkanées, encadrées par des militants islamistes qui viennent de partout au pays, veulent faire payer La Manouba. Que fait le ministère de l’intérieur, que fait la police ? La police regarde, la police observe. Et même lorsque les radicaux sortent les sabres pour faire peur aux enseignants, pour faire peur aux étudiants, la police ne bronche pas. C’est un exemple concret qui démontre que la violence, que l’utilisation de la violence elle est là. Elle est là pour intimider, elle est là pour faire peur, elle est là pour terroriser la société. Elle est là pour écraser les démocrates. Parce que les démocrates se battent avec leurs mots, se battent avec leurs idées, se battent avec leurs convictions. Et en face, on a vraiment des hordes violentes, des hordes barbares qui sont là pour faire reculer la société, le cadran de la montre, de quatorze siècles. Donc, ce combat là, il est totalement inégal.
Québec, Canada, Europe ?
Je voudrais vous dire quelques mots sur mes inquiétudes, lorsqu’on transpose ces réalités, qui peuvent sembler lointaines, mais pas si lointaines que ça, à la situation au Québec, au Canada, en Europe. Je vois de plus en plus, ici, dans notre pays, des manifestations islamistes de multiples façons, sous diverses formes. On voit de plus en plus de femmes qui portent le voile islamique, de plus en plus, aussi, de femmes qui portent le voile intégral et on voit aussi une volonté de reproduire certains archaïsmes qui posent problème à la démocratie, qui posent problème à l’égalité et notamment à travers le système éducatif et notamment à travers les écoles, et en particulier les écoles islamiques qui ont pignon sur rue et reçoivent des subventions du gouvernement, car les écoles religieuses, au Québec, sont subventionnées dans certains cas.
On ne peut pas bâtir une société démocratique et égalitaire sans donner aux femmes la dignité qu’elles méritent et sans, pour autant, s’assurer d’un système éducatif qui est rationnel. Or, ces deux sphères, celle du droit et celle de l’éducation ont été totalement livrées aux islamistes dans le monde arabe et c’est principalement sur ces deux leviers là – les femmes, la famille et le système éducatif – que les islamistes ont pu créer un système récurrent de façon à reproduire leur idéologie et à aliéner les esprits. Il est donc extrêmement important, dans ce contexte là, de séparer le pouvoir politique et le pouvoir religieux pour assurer la démocratie – la démocratie ne peut se faire sans les femmes, autrement ce serait une démocratie mutilée, ce serait vraiment moche – et s’assurer d’un système éducatif rationnel, d’autre part, ça me paraît essentiel.
Le débat s’est fait au Québec, depuis les années soixante, quand à la déconfessionnalisation des écoles. Aujourd’hui, honnêtement, je suis sceptique, par rapport à la déconfessionnalisation des écoles. Parce que je remarque, de plus en plus, qu’en effet, on a réfléchi à la religion de la majorité. Et en effet, les crucifix sont sortis des écoles et on peut s’en réjouir. Mais je vois aussi à l’école la présence de symboles religieux des minorités. La déconfessionnalisation ce n’est pas ça. Ça, c’est la déchristianisation. Ce que je vois de plus en plus, c’est des dérogations, des accommodements, alors que l’école est soi-disant déconfessionnalisée. Le processus de déconfessionnalisation est entamé. Mais pour autant, il n’est pas fini. Il se poursuit. Parce que pour moi, l’école n’est pas déconfessionnalisée totalement. À travers ces deux sphères, nous devrions méditer sur le système éducatif que nous voulons et sur ces pratiques totalement inégalitaires et totalement discriminatoires à l’égard des femmes que nous reproduisons ici en raison d’un certain nombre d’accommodements et en raison du multiculturalisme qui nous oblige à courber l’échine lorsqu’il s’agit des minorités culturelles.
Une seule et unique humanité
Voilà mes réflexions. Pour moi il n’y a pas vraiment de là-bas et d’ici. Pour moi, il y a une seule et unique humanité. Et on voit très bien à quel point les problèmes de là-bas se transposent ici, à quel point lorsqu’on éternue là-bas, on en souffre ici. C’est dire que l’on ne peut pas avancer ici, si on régresse ailleurs. Pour moi le progrès doit être un et universel. Pour moi, tous les peuples de la Terre ont droit à cette musique de la liberté. Ont droit à cette musique de la justice. Ont le droit à l’égalité.
Ceux qui prônent des accommodements, le respect soi-disant de la culture et des traditions pour donner quelques bonbons et privilèges, c’est eux les racistes. Parce qu’ils brisent un principe fondamental de la démocratie, à savoir l’égalité. Si on est égaux, on doit être tenus de la même façon, on doit être responsables aussi de la même façon, parce que l’émancipation laïque va de pair avec l’émancipation sociale et citoyenne.
C’est pourquoi je vous demande d’ouvrir bien grand les yeux et les oreilles, de faire entendre vos voix. Nous allons bientôt avoir une consultation pour nous prononcer sur la laïcité. Il va falloir que nous participions à cette consultation en nombre. Pour dire au gouvernement ce que nous voulons. Pour dire au gouvernement que pour nous, la laïcité c’est précieux. C’est garant de la démocratie, c’est garant du lien social, c’est garant de l’intégration. Et sans une véritable laïcité, on ne pourra pas sortir de la fragmentation dans laquelle nous met le multiculturalisme. La laïcité c’est un pilier fondamental par lequel, à travers lequel le lien social devient possible. C’est une condition nécessaire, mais ce n’est pas une condition suffisante. Bien entendu.
Voilà. À travers mon dernier livre, j’avais envie de faire entendre la voix de ceux qui se battent et qui résistent dans les pays arabes, dans les pays musulmans, qui sont nombreux. C’est leur voix que je porte dans ce livre et c’est leur voix que je continuerai de porter coûte que coûte, partout où j’irai. Je vous remercie.
Période de questions
Au cours de votre présentation, vous avez souvent évoqué le dogme. J’attendais le mot coran. Pourriez-vous me dire ce qu’est le dogme, en comparaison du coran ?
En fait, le dogme c‘est le coran et la charia qui est apparue deux siècles après le coran et à laquelle les États se réfèrent pour légiférer. Donc, on ne sait pas très bien à quoi ils se réfèrent puisqu’ils légifèrent différemment, bien que les sources soient les mêmes. C’est compliqué de mettre le doigt de façon précise sur le référent, mais pour autant, il y a un dénominateur commun, à savoir que les femmes doivent être inférieures aux hommes. C’est une constante de bout en bout. Donc, tant qu’on se référera au dogme, il y aura discrimination flagrante et évidente. Pour lever cette discrimination, il faudrait séparer l’aspect religieux de l’aspect politique.
Il y a une nouvelle menace intérieure au Canada. Elle provient de l’influence qu’exerce le modèle américain sur Monsieur Harper et son entourage. Il s’agit de ce nouveau Bureau de la liberté de religion. Qu’imaginez-vous comme stratégie, pour freiner cela, pour exprimer notre désaccord radical et total, pour que la laïcité puisse s’affirmer ?
D’abord, je milite pour l’indépendance du Québec, république laïque. Je pense qu’il y a un véritable danger. Ce Bureau des religions, soi disant, est lié au ministère des Affaires étrangères. Donc ça va être un levier que le gouvernement utilisera dans sa politique étrangère. Il n’aura pas pour but de s’occuper des affaires internes du pays. Par contre, il aura pour objet d’orienter un certain nombre de propositions en matière de politique étrangère. Cela étant, le lien entre les évangélistes et le gouvernement Harper a déjà été établi, à travers des livres, des reportages remarquables. Dans le gouvernement harper, à travers quelques brebis galeuses qui remettent en cause l’avortement, il y a des gens qui sont extrêmement réfractaires aux droits des femmes, des gens qui sont extrêmement réfractaires à l’égalité. Il y a aussi des créationnistes qui sont membres de ce caucus. J’espère qu’on sera très nombreux à faire entendre nos voix pour faire avancer la laïcité au Québec. Car, honnêtement, je suis de plus en plus pessimiste à l’échelle du Canada, surtout avec la montée du conservatisme.
J’ai deux questions. Que pouvez-vous dire à une femme occidentale, qui a grandi dans une culture occidentale qui se retrouve, du jour au lendemain voilée ? Que pouvez-vous dire à un garçon qui a grandi dans une culture occidentale et qui se retrouve du jour au lendemain djihadiste, on en a vu, Canadiens… en Somalie. Ma deuxième question concerne l’islam. Où s’arrête l’islam et où commence l’islamisme, parce qu’il ya de l’amalgame ? Troisième question : qu’est-ce qui fait que l’islam est la religion la plus pointée du doigt sur la planète actuellement ?
Je commence par la troisième. Pointée du doigt, je ne sais pas, mais qui soulève un intérêt certainement. Pour différentes raisons. L’Islam connaît une dérive importante, une dérive sanguinaire. On tue, on assassine, on coupe des têtes, on pend des poètes, on assassine des femmes… au nom de l’islam. Dès lors qu’il y a une prétention de régir la cité au nom de la religion, cette religion cesse d’être une religion. Parce que la religion est du domaine du privé. Elle n’a pas pour but de régir les affaires de la cité. Donc, forcément, elle devient critiquable parce qu’elle veut tout régir dans les moindres détails. Elle veut non seulement régir nos consciences, mais aussi les affaires de la cité. Donc, on gouverne au nom de Dieu, finalement. On gouverne au nom d’Allah. Je pense que c’est principalement à cause de ces phénomènes que l’on vit depuis de très nombreuses années, que l’on s’interroge par rapport à l’islam.
Il y a aussi le fait que l’islam connaît une certaine ébullition à l’interne, parce que les peuples musulmans assistent aux dérives de leur propre religion. Donc, ils anticipent, ils proposent. Ils souhaitent vivre autrement. Cela veut dire ne plus vivre sous des régimes qui utilisent, qui instrumentalisent l’Islam. Donc, il y a un débat, un débat extrêmement important. J’ai été en Algérie, en Tunisie, en Égypte récemment. La place de l’islam est au centre des débats. Ce ne sont pas seulement les occidentaux qui se posent des questions. Les musulmans se les posent eux-mêmes.
Il est temps que l’islam accouche d’une réforme. Cette réforme, en réalité, elle a commencé il y a très longtemps, mais elle n’a jamais vraiment abouti. Il y a eu, de tout temps, deux pôles : le pôle moderniste et le pôle obscurantiste. Et malheureusement, le pôle obscurantiste et conservateur l’a emporté.
Que répondre à un garçon qui se trouve enrôlé dans un maquis islamiste, à une fille élevée à l’occidentale et qui porte le voile islamique ? Pas grand chose. Mais pour autant, ça nous fait réfléchir. Ça nous fait prendre conscience de quelque chose. Quoi ? D’abord que l’islam politique c’est une internationale. Que l’islam politique aujourd’hui est suffisamment fort pour ne plus recruter uniquement dans son bassin naturel. Il va au-delà. La progression de l’islam politique est présente, est tellement forte qu’il arrive que l’on soit Belge et que l’on soit enrôlé dans les maquis en Irak. La première kamikaze occidentale en Irak, Muriel Degauque, était une Belge, qui était mariée à un Marocain et ils sont allés faire un tour en Irak, et elle s’est explosée.
Finalement, l’islam politique n’est pas tant le produit d’une culture, d’une religion. Il est plutôt le rejeton de l’histoire. En ce sens qu’il est façonné, a été façonné, est encore façonné par des éléments politiques, culturels, sociaux-économiques. Toutes les religions ont connu des dérives, des extrémismes.
Nous sommes donc tous concernés par l’islam politique, nous ne pouvons pas échapper à l’islam politique, Nous devons y réfléchir, y apporter une solution.
Quatrièmement, entre une alternative islamiste et une alternative autoritaire, incarnée pendant des décennies par des dictateurs, il faut faire émerger une autre alternative démocratique et laïque. Sans quoi il n’y aura pas de paix, d’harmonie, de sérénité. Notre responsabilité est de faire émerger cette perspective, de soutenir en tout temps les démocrates dans les pays arabes et musulmans qui se battent pour une réelle démocratie.
Qu’est-ce qui fait qu’au Québec, ces rencontres que nous avions avec des gens comme Guy Rocher, partisan d’une laïcité véritable, qu’est ce qui fait que tout est tombé à l’eau, qu’on n’entend plus parler que de laïcité ouverte, contre laquelle je m’érige avec autant de fougue que vous ? Deuxième question, jusqu’à quel point estimez-vous pouvoir poursuivre cette lutte, compte tenu des dangers qu’elle comporte ?
Je répondrai d’abord à la deuxième question. Jusqu’à quel point continuer la lutte ? Je pense que je suis condamnée à me battre, je n’ai pas le choix. Je ne me pose pas cette question « Est-ce que je peux m’arrêter ? » Je suis rendue à un point dans ma vie où je me suis tellement engagée, j’ai tellement donné, j’ai tellement de rêves, ce combat me passionne, je suis portée par ce combat et je suis aussi, beaucoup, nourrie par les gens qui se battent. Il y en a énormément de gens qui se battent et à chaque fois que je retourne dans le monde arabe, je suis impressionnée par le degré de combativité des gens. C’est incroyable. Et ces gens se battent au péril de leur vie. Ça vous donne une douche froide quand vous voyez cela. Voilà. Je suis condamnée à me battre. Comme le disait si bien une ancienne amie : « Il vaut mieux mourir debout que de vivre à genoux. »
Ça illustre l’état d’esprit dans lequel je suis. Mais je voudrais aussi vous dire qu’il n’est pas facile de se battre même au Québec, même dans un pays démocratique. Ça devient de plus en plus difficile, compliqué. On est marginalisé, accusé de racisme, d’islamophobie. Il y a une stratégie de terreur intellectuelle qui s’est mise en place pour faire taire les gens, pour que ce débat que nous avons n’ait pas lieu.
J’en profite pour dire que ce débat que nous souhaitons tous, parce que c’est du débat aussi que jaillit la lumière, parce que ces échanges nous permettant de voir le bout du tunnel, est de plus en plus difficile et même impossible quelquefois. Exemple : à la Fédération des femmes du Québec, ce débat n’est pas possible. Des personnes qui sont ici présentes dans cette salle et défendent la laïcité ont été exclues du débat des États généraux de la Fédération des femmes du Québec : Michèle Sirois et Leila Lesbet. (applaudissements)
Il ne faut pas dire qu’il n’y a plus de débat. Oui, les débats sont compliqués. Mais tant qu’il y aura des voix qui vont pousser l’audace jusqu’à s’impliquer… Mais la question est qu’est-ce qu’on fait ? Comment s’organiser ? Comment réagir ? Il ne s’agit pas que de venir à une rencontre. J’adore vous voir. Mais concrètement. Comment réagir ? Il faut prendre des actions, faire entendre sa voix. Michèle Sirois a récemment publié un manifeste dans Le Devoir. C’est une excellente contribution au débat. Je vous invite à jeter un coup d’œil à ce manifeste et à le signer. À faire entendre vos voix.
Je suis étonné d’entendre parler d’excision en Égypte, pays que je considérais évolué. Si ce phénomène ne vient pas de l’islam, d’où vient-il ? Deux autres commentaires/ questions. Si le voile est porté en privé, cela relève de la liberté individuelle. Dernière question plus personnelle: vous ne semblez pas rejeter toute croyance à un Dieu ou à toute croyance surnaturelle.
L’excision est une pratique qui se fait dans certains pays arabes et musulmans, mais aussi dans certains pays africains. J’ai rencontré plusieurs Éthiopiennes, Somaliennes, Soudanaises et Égyptiennes. Comme je le disais tout à l’heure, il n’y a pas de frontières étanches entre ici et là-bas.
Quand j’étais à Tunis, il faut que je vous raconte ça. J’étais dans un hamam. On était cinq femmes. Il y en a une qui avant de travailler dans le bain, travaillait dans une clinique privée où l’on reconstituait des hymens. Hyménoplastie. On y recevait pas mal de femmes qui venaient de Lybie. Elle me propose de me payer une virginité. « Ça ne coûte pas cher. 300 dinars ». L’équivalent d’une centaine d’euros. Je lui dis « Pourquoi ? À quoi ça sert J’ai déjà un enfant » Elle me répond « C’est pas grave, on va te le faire. Juste pour le fun ». Pour le fun… ça peut nous amener loin. Cette pratique est de plus en plus courante en Tunisie.
C’est tellement hypocrite comme manifestation sociale. Parce que les Tunisiennes perdent leur virginité autour de vingt ans. Elles se marient autour de trente ans. Mais lorsqu’elles arrivent au mariage, elles sont toutes vierges. Il doit se passer quelque chose entre vingt et trente. Elles ont donc inventé cette façon de surmonter cette crispation autour de la liberté sexuelle des femmes.
Je faisais alors un texte sur l’hyménoplastie. J’en ai parlé à une amie qui était en Belgique. Elle m’a dit que l’hyménoplastie se faisait à Bruxelles. Elle est même remboursée par la sécurité sociale. Je lui ai demandé un rendez-vous avec un chirurgien. De Tunis j’ai été à Bruxelles, le rencontrer. Martin, absolument magnifique, jeune et allumé. Au début, quand il a hérité de cette pratique, il le faisant sans trop se poser de questions. À la longue, ça commençait à devenir lourd et il a refusé de poursuivre. Il m’a dit : « Pourquoi mettre la médecine au service d’un mensonge et commencer sa vie de couple par un mensonge ? ». D’autant plus que la clinique était la Clinique Saint-Pierre (rires). Le premier hôpital de Bruxelles où s’étaient pratiqués des avortements… dans l’illégalité.
Donc, vous vous rendez compte. On passe de faire avorter des femmes à les faire revierger. Il y a des acrobaties incroyables. Et c’est dans ce sens où je vous disais, moi, ce qui m’inquiète, c’est la reproduction de ces manifestations totalement archaïques et discriminatoires à l’égard des femmes dans les pays occidentaux. Jusqu’où irons-nous dans les accommodements, dans l’intégration et la façon d’intégrer ? C’est ce qui me préoccupe.
Quant à la circoncision féminine, c’est une pratique africaine qui existait 100 ans avant Jésus Christ. C’est une pratique sociale liée au contrôle de la fertilité des femmes.
Deux mots quant au port du voile. Dans l’espace privé, il n’y a pas de souci. Dans l’espace public ? Dans les institutions publiques, quand on est représentant de l’État ? Ça non. L’État est la puissance publique. Elle doit incarner l’égalité, la neutralité, ce qui est impossible en portant des symboles religieux. Les représentants de l’État doivent manifester une neutralité, réelle et apparente, en tout temps.
Croyance surnaturelle, croyance en Dieu ? Pas vraiment. Ce n’est pas mon dada. Mon dada, c’est les droits des femmes On a le droit de ne pas croire. Ça ne regarde que soi-même.
Lucie Jobin présidente du Mouvement laïque québécois. Je voulais vous dire qu’on n’a pas lâché la laïcité. On va en débattre. Surtout lors de la consultation du Parti québécois. Vous disiez qu’il n’y a plus de crucifix dans les écoles, les commissions scolaires sont linguistiques, mais qu’il y a toujours le cours Éthique et culture religieuse (ECR). On y parle principalement de catholicisme et d’islam. Nous demandons que le volet culture religieuse soit retiré. Depuis 2008, cinq ans, aucune évaluation du programme n’a été effectuée. Nous demandons que le volet éthique soit mis de l’avant et que l’histoire des religions soit intégrée au cours d’histoire. Votre point de vue ?
Je ne suis pas contre un cours sur les religions. Sur l’histoire des religions qui font partie de l’histoire de l’humanité. Pour autant, ce cours ECR a été conçu et consolidé par l’école de pensée de la laïcité ouverte de façon à orienter le débat des enfants et à favoriser une attitude consensuelle. Or, la vérité n’est pas une moyenne de toutes les postures qui existent dans la nature. Elle est une quête perpétuelle. Ce cours pose clairement problème. Il doit être révisé ou aboli.
D’ailleurs je me demande pourquoi dans le cours ECR, l’histoire humaniste, en particulier celle des Lumières que j’affectionne, se trouve rabougrie pour accorder une importance disproportionné aux religions. Pourquoi les religions ne sont pas considérées dans un contexte historique. Ce qui permettrait de comprendre comment les religions ont évolué. Pourquoi met-on les religions au-dessus de la critique, de l’esprit critique, dans ce cours là ?
Je ne suis pas du tout surprise par les dérives qu’occasionne ce cours. Je sais comment il a été monté et par qui. Souci pratique : j’ai rencontré de nombreux enseignants qui le donnent. Ils ont la trentaine et n’ont pas du tout de bonnes connaissances, ne serait-ce qu’en matière de catholicisme. Quand on leur demande d’enseigner l’islam… c’est un peu compliqué.
J’ai eu le privilège de travailler en Afrique de l’Ouest et au Maroc avec des associations de défense des droits des femmes. On travaillait avec deux associations qui avaient deux approches différentes dans le domaine de l’égalité, de la justice entre les hommes et les femmes. La première disait qu’il fallait développer un argumentaire religieux, pour rejoindre les populations et les femmes, sans quoi elle n’aurait pas de crédibilité. L’autre disait : laissons la religion aux religieux et parlons des droits de la personne. C’est comme cela qu’elle voulait orienter son plaidoyer en faveur de l’égalité. Au niveau des stratégies, que pensez-vous de ces argumentaires ?
Bien entendu, je suis une laïque. Donc, le langage que je connais et que je maîtrise est celui de la liberté de l’égalité de la rationalité. C’est celui-là que je veux en tout temps utiliser. Par contre, si des religieux veulent adopter le langage religieux, libre à eux. On ne peut pas tous adopter le même langage. Chacun le sien.
Ces deux approches, l’argumentaire religieux et l’argumentaire plutôt citoyen et laïc, ont été mises en pratique dans différents pays. On s’est rendu compte que les femmes qui se retrouvaient sur le trottoir avec leurs enfants se faisaient dire que c’est le bon Dieu qui les avait mises sur le trottoir parce que leur homme l’avait voulu… je ne crois pas qu’elles soient touchées, sensibilisées par un discours religieux. La responsabilité qu’on a quand on travaille pour les droits de la personne pour l’égalité, pour la laïcité est de faire cette éducation populaire qui est extrêmement importante.
Il y a une pédagogie à faire, à adopter. La laïcité, l’égalité c’est d’abord et avant tout une éducation. On ne devient pas laïc du jour au lendemain. On ne devient pas citoyen du jour au lendemain. Il y a un effort à faire. On a aussi la responsabilité d’élever les couches populaires à la laïcité, à la citoyenneté. Et non pas penser que les couches populaires sont condamnées au religieux. J’ai suffisamment de respect pour les couches populaires pour ne jamais baisser le niveau d’intelligence, le niveau du débat. C’est assez la discrimination sociale. Il ne faut pas lui ajouter une discrimination intellectuelle. C’est vrai, c’est difficile. Je pense qu’il faut le faire. La laïcité est un combat de longue haleine, de fourmi, mais qui donne des résultats concrets. Adopter un discours religieux, je suis sceptique.
Je suis algérien et québécois par adoption. Je suis sceptique par rapport à la réforme de l’islam, en ce qui concerne la discrimination de la femme. À moins qu’on ait le courage d’abroger complètement les textes. Ça fait deux ans que je me suis installé à Québec. Je me pose la question du communautarisme. Comment vivre dans la modernité, la laïcité, alors qu’on nous a enfermés dans un système communautariste. Deuxième question, l’islamisme. Les algériens ont souffert dix ans du terrorisme islamiste. Il a fallu les attentats du 11 septembre pour que les gens découvrent l’atrocité de l’islamisme. Question : est-ce que l’occident n’encourage pas l’instauration d’états intégristes en terre musulmane Égypte, Lybie, Syrie en les préférant aux démocrates ?
Quant à la réforme de l’islam. Possible ou pas ? Tout dépend du prisme dans lequel on se situe. Selon un prisme essentialiste, voulant qu’il n’y a aucune évolution possible chez les musulmans, eh bien, la réforme n’est pas possible. Selon un prisme culturaliste et universaliste, et je le revendique, selon lequel on peut changer les choses avec la culture et l’éducation, l’évolution est possible. La réforme, quelle qu’elle soit, est le produit de l’histoire et l’islam n’est pas une originalité dans ce sens.
Je faisais récemment une entrevue pour La librairie francophone. J’étais heureuse de voir qu’on m’avait jumelée avec un écrivain spécialiste de la réforme en Europe. Ce qui est intéressant c’est le parallèle. La séparation du pouvoir religieux et du pouvoir politique n’est pas innée dans le christianisme. Ce n’est pas un paradigme qui a été installé avec le christianisme. C’est une conséquence. Ce sont des luttes collectives qui ont façonné cet état de fait. Il y a eu fusion aussi entre la foi et le politique dans le christianisme. Pendant des siècles. Les guerres de religion ont été le produit de cette fusion là. Pour autant, dirait-on que le christianisme n’était pas réformable ? Il l’a été parce qu’on lui a donné des coups de pied au derrière. Voilà. Et ça a pris du temps.
Y a-t-il des Voltaire dans l’islam ? Bien entendu. Qu’est-ce que la Nahda (renaissance) au 19e siècle, sinon un début de réforme ? On a connu un magnifique éveilleur des consciences en la personne de Taha Hussein ce magnifique poète et écrivain aveugle qui a fait des études extraordinaires en littérature à Montpellier avec sa femme Suzanne. Et qui a été même doyen d’université en Égypte. Il a été chassé de l’université à un moment donné, parce qu’il y a eu une bataille entre islamistes et modernistes et Taha Hussein défendait une école démocratique et universelle où le religieux n’avait pas sa marque, Alors que les Frères musulmans défendaient une école religieuse.
Voyez-vous, si on prétend que l’islam n’est pas réformable, on ne pourrait pas mettre en lumière cette dynamique là, faire entendre la voix de Taha Hussein. C’est comme si sa contribution c’est zéro. Comme s’il n’avait jamais résisté. Jamais lutté.
Un autre nom qui dès les années vingt réclamait la séparation du politique et du religieux Ali Abderrazik. Encore un Égyptien. Dans l’Islam et les fondements du pouvoir il a plaidé contre la fusion du politique et du religieux, estimant qu’on n’y était pas condamné. Il avait une double culture, une culture rationnelle et religieuse. Il était théologien musulman. Bien entendu, il a été mis au banc des accusés et renvoyé. J’aimerais souligner que Borduas, auteur du Refus Global… a été lui aussi renvoyé de l’établissement où il enseignait.
C’est bien de faire ces parallèles là, de croiser ces quelques regards, de mettre en lumière ces résistances, ce qui nous permet de voir qu’on a une responsabilité, un rôle à jouer là-dedans.
Quant au communautarisme, oui, en effet, on en souffre tous. Qu’on soit né ici ou ailleurs, le fait de segmenter la société est néfaste pour tout le monde, pour tous les éléments de notre société, pour le bien commun. Rendre ces rencontres, ces échanges là impossibles, c’est nous dire qu’on n’appartient pas à la même humanité. Or, nous sommes les maillons d’une même chaîne, nous sommes l’humanité. Qu’on soit n é ici ou ailleurs, peu importe. Ce qui importe, ce sont nos valeurs, nos principes. C’est ça qui segmente les familles idéologiques et c’est ça qui doit primer. Moi, ma famille, c’est les Lumières. La liberté, l’égalité, la laïcité. Une famille de sang, j’en n’ai que faire. C’est tellement triste. Mais les familles d’idées c’est ce qui compte, c’est ce qui est le plus important, le plus enrichissant.
11 septembre, rôle de l’Occident et responsabilité. Je discutais à mon retour de l’un de mes voyages de Tunisie avec Nadia El Fani cinéaste qui a fait ce superbe film Laïcité inch Allah. Elle me demandait qu’est-ce que tu penses ? Es-tu optimiste ?
Je lui ai répondu : si la solution en Tunisie était entre les mains de la Tunisie, je serais optimiste. Le problème : la solution et le processus démocratique dans les pays arabes et musulmans n’appartiennent pas seulement à ces peuples là. Ce processus de démocratisation se fait avec des facteurs endogènes, propres aux pays, mais aussi avec des facteurs exogènes.
C’est là qu’on est dans la géopolitique, dans l’influence de pays moyens-orientaux ou occidentaux. Quand on commence à étudier cette marmite qui bouillonne de toutes parts, on constate que les États occidentaux, en premier lieu les États-Unis, n’ont pas toujours été du bon côté, ont pratiquement toujours été du mauvais côté et continuent de l’être, soit un soutien direct aux islamistes. Les Frères musulmans, cette idéologie, ont pu s’installer à partir des années trente, parce que l’Angleterre a vu la naissance de cette confrérie d’un bon oeil. C’était pour elle une façon de neutraliser les nationalistes modernistes en jouant contre eux les Frères musulmans à travers Hassan el-Banna en 1928. Ensuite, cette logique diabolique, machiavélique a amené l’Occident, et en particulier les États-Unis, à jouer les talibans contre les soviétiques. Voilà où l’on en est aujourd’hui : devant des États qui peuvent basculer dans la théocratie musulmane.
Je ne suis vraiment pas tendre à l’égard des États-Unis. Dans mon deuxième livre Les soldats d’Allah à l’assaut de l’occident je dédie un chapitre à cette responsabilité
historique et politique de la progression de l’islam politique. Pour moi c’est clair : l’islam politique n’aurait jamais connu l’ascension qu’il connaît actuellement n’eut été la complicité des États occidentaux.
Donc, la question est de savoir : est-ce que les leçons de l’histoire ont été retenues ? Est-ce qu’on est sorti de ce paradigme, penser que les peuples musulmans sont voués à l’islamisme et à cette fatalité. J’ai peur que non, que les leçons de l’histoire n’aient pas été assimilées.
C’est ma réflexion et ma tristesse. Je me rends compte aujourd’hui à quel point les démocrates, les laïcs, les féministes arabes ont de tout temps été marginalisés, dénigrés par leur pouvoir, combattus par les islamistes… tandis que l’Occident était indifférent à leurs aspirations. Je le regrette, car si nous avions des embryons démocratiques beaucoup plus forts dans les pays arabes et musulmans, nous aurions plus de chances de les faire basculer, ces États, vers la démocratie. Aujourd’hui, malheureusement, compte tenu du système éducatif, compte tenu de l’islamisation avancée de ces sociétés, les islamistes y ont vu l’occasion inouïe d’y prendre le pouvoir.
Vous vous être présentée comme candidate à Trois-Rivières contre la députée libérale sortante Danielle Saint-Amand et vous avez presque gagné l’élection.
Je suis culottée. Je veux faire avancer la société. Et pour la faire avancer, il faut parfois lui envoyer des électrochocs. En effet, c’était très ambitieux de ma part de vouloir remporter cette circonscription et j’ai d’ailleurs failli la remporter. Je voulais faire la démonstration, en réalité, que le peuple québécois était un peuple ouvert et généreux. Je l’ai dit, écrit, défendu sur toutes les tribunes, pratiquement. Lorsque Madame Marois a insisté pour quej’y aille et m’a présenté un certain nombre de circonscriptions, autres que Trois-Rivières, je lui ai dit : « C’est à Trois-Rivières que je veux aller ». Je me disais, ce serait génial comme message à envoyer à la population. En fait, je rêvais de pouvoir dire : « Si c’est possible de se faire élire même pour moi, qui suis née ailleurs, qui ne suis établie au Québec que depuis quinze ans, de se faire élire, alors tout redevient possible au Québec ». Malheureusement cela n’a pas été permis. Je voulais aussi sortir, en réalité, du confort de mes livres, du confort de ma vie pour démontrer ce que j’ai écrit. C’est bien aussi que des intellectuels aillent au charbon. J’aurais tellement voulu être élue dans la ville de Duplessis. Ça me tenait vraiment à coeur. J’aime jouer avec l’histoire. J’aime m’aventurer, être audacieuse. Ça a été une formidable expérience humaine que je ne regrette aucunement.
Quant au voile des filles il y a deux courants. Si on interdit le voile, les filles iront dans les écoles musulmanes. Elles ne seront plus en contact avec la société québécoise. Elles porteront le voile de toutes façons… alors que dans nos écoles, elles sont en contact avec des garçons, des profs masculins, la société québécoise. J’ai peur qu’elles soient enfermées et que ce soit pire.
Concernant le voile des filles à l’école, c’est une question sérieuse. Je vais prendre quelques minutes pour y répondre. Un jour, j’étais dans une école primaire, j’avais rendez-vous avec la directrice. Je ne l’avais jamais vue. Je me pointe à l’école, j’attends. Devant moi, il y avait une femme toute menue qui accueillait les enfants. Elle leur disait bonjour, les serrait dans ses bras et leur demandait d’enlever les chapeaux, casquettes, bonnets. Plus tard, je me suis rendu compte que c’était elle, la directrice. J’étais allé la voir pour un reportage. On a échangé dans son bureau et par la suite, je lui ai demandé : « Si une fille était entrée dans l’école avec un voile islamique qu’aurais-tu fait ? »
Elle m’a dit : « Veux-tu que je te dise ce que j’aurais fait ou ce que j’aurais voulu faire ? » Je lui ai répondu : « Les deux. » Ce que j’aurais fait, c’est de fermer les yeux et la laisser aller, parce que la loi l’exige. Ce que j’aurais voulu faire ? Lui demander à elle aussi d’enlever son voile.
Alors, je lui ai dit : « Comment peux-tu, comme pédagogue, expliquer aux enfants cette notion d’égalité, le fait qu’ils sont tous considérés sur un même pied d’égalité ? »
Elle me répond : « Je ne sais pas. Je ne peux pas. Parce que le système veut qu’on ne les considère pas sur un même pied d’égalité. Parce que certains peuvent revendiquer la religion de leurs parents pour briser ce principe d’égalité. C’est une petite anecdote que je voulais d’abord partager avec vous, qui m’a fait beaucoup réfléchir.
Maintenant, je vais vous répondre concernant le voile et l’école. Moi, je n’ai pas eu la chance d’aller dans une école ouverte. J’étais dans une école teintée par le religieux. Dès l’âge de cinq ans, j’ânonnais des versets coraniques. Que je refusais d’ailleurs d’ânonner. Et lorsque je refusais, l’enseignante a convoqué mon père pour lui dire que je souffrais d’une grave déficience intellectuelle.
Le rôle de l’école, comme dirait mon ami Pena-Ruiz, c’est de faire des élèves des citoyens, de construire les citoyens de demain, d’inculquer un esprit libre. Car ce n’est qu’en étant libre qu’on peut choisir. Avant, le choix est impossible. Les enfants qui portent des signes religieux, et en particulier les filles qui portent le voile islamique, ce n’est pas leur choix. C’est le choix de leurs parents.
Nous, comme société, si nous avons choisi de faire de l’égalité un principe fondamental de la citoyenneté, un principe fondamental de la société, pourquoi faire des compromis, pourquoi briser l’égalité ? Moi, je souhaite que l’école apprenne aux enfants ce qu’est l’égalité, la rationalité, je souhaite que l’école considère les enfants sur le même pied d’égalité. C’est pourquoi je ne souhaite pas le port du voile islamique à l’école. Si un père conservateur souhaite que ses filles portent le voile islamique il n’aura aucune difficulté à le leur imposer, parce que l’école l’accepte. Si l’école n’accepte pas le voile islamique, ce père ne pourra jamais l’imposer.
La France a réfléchi à cette question et elle a légiféré. Ce qui a fait basculer la Commission Stasi concernant l’interdiction du port de signes religieux, c’est le témoignage de filles maghrébines habitant les quartiers. Les commissaires n’étaient pas chauds à l’idée de légiférer. Il y a toujours ce souci d’intégration. Les filles ont témoigné à huis clos, en l’absence de caméras, parce qu’elles ne voulaient pas être vues. Et lorsque les commissaires ont réalisé que ces filles avaient peur, lorsque ces filles ont dit textuellement : protégez-nous de nos familles, de nos communautés, de nos quartiers, les commissaires ont mis leurs culottes et ont dit : « Oui, on va légiférer ». Ils ont fait rapport. C’est passé en conseil constitutionnel Chirac a pris la décision.
Décision extrêmement lourde de conséquences pour la France. Pourquoi ? C’était un modèle, un exemple qu’on donnait. Et la grande majorité de la communauté musulmane était d’accord avec la loi. D’accord pour interdire les signes religieux à l’école. Le débat est allé très loin. Le 20 août 2004, l’armée islamique en Irak a kidnappé deux journalistes français, Christian Chesnot et Georges Malbrunot. Et pour les relâcher, ils ont demandé à la France une seule chose : annuler la loi. Ils les ont kidnappés en été et la loi devait être appliquée à compter de septembre. Chirak a dit : « Jamais ! On a légiféré. La loi sera appliquée et on va sauver les deux journalistes. » Et c’est ce qui s’est passé. Les journalistes ont été libérés, la loi a été appliquée.
Le premier jour d’application de la loi, mille et un scénarios ont été envisagés, sauf un : le fait que les filles enlèvent leur voile et entrent à l’école sans résistance. Et c’est ce qui s’est passé.
Ce que je veux vous dire par là : il y a parfois des demandes qui nous semblent anodines, banales. En réalité, elles ne le sont pas. Elles sont lourdes de conséquences. Ce qui est en train de se jouer c’est, en fait, une confrontation entre des organisations islamistes ayant pignon sur rue et l’État. Et ce bras de fer, c’est un rapport de pouvoir, de force. On est en train de tester l’État. Jusqu’où l’État peut-il aller ?
Je crois que la puissance publique doit aussi incarner des valeurs, incarner l’égalité, protéger les filles et leur offrir des possibilités d’émancipation. Dans une école libre, on apprend la liberté de conscience, on maintient l’esprit critique. C’est donner des outils aux filles pour que demain elles deviennent des citoyennes. C’est mon choix. C’est l’école que je souhaiterais pour les petites filles au Québec.
D’ailleurs, en France, il n’y a pas eu, du tout, cette hémorragie vers les écoles musulmanes. Il n’y a rien eu de tout cela. Dès que l’État a montré ses griffes, a démontré sa capacité d’aller de l’avant, de ne jamais reculer face aux islamistes, les islamistes se sont écrasés.
Ce que je ne vous ai pas dit… et c’est très rigolo. Tariq Ramadan a fait campagne contre la loi sur l’interdiction du port de signes religieux. Il était à Londres. Avec qui ? Il était lié avec l’ancien maire de Londres qui est un trotskiste…. et avec Qaradaoui ce cheik de 86 ans qui convole en justes noces avec une algérienne 37 ans plus jeune que lui… Il faisant campagne contre la « dictature française » et Monsieur Qaradaoui disait o combien l’État français est discriminatoire à l’égard des filles. C’est dire que cet enjeu n’est pas du tout franco-français. C’est un enjeu international et c’est ce que je pense : au Québec aussi, c’est un enjeu international.
Je suis née en Égypte et québécoise d’adoption depuis 52 ans. Deux questions. Mon constat sur l’Égypte est plus nuancé que le vôtre. Il y a tout de même une extension, une démocratisation de l’enseignement universitaire en Égypte, hors des grandes villes, ce qui nous donne un peu d’espoir. Il y a une jeunesse qui est en contact avec les idées de l’extérieur. Peut-être sortira-t-elle un jour l’Égypte du marasme actuel dû aux Frères musulmans et Salafistes. Il y a aussi une classe intellectuelle en Égypte formée parfois à l’extérieur et en contact avec la pensée occidentale. C’est mon constat un peu optimiste.
Voici le constat plus pessimiste, en occident : dans les communautés d’immigrants musulmans on assiste à une situation nouvelle que nous, féministes n’avons pas assez prise en compte. On est en train d’utiliser les femmes, grandes perdantes de l’islamisme, comme arme de combat. On ne l’a pas vu venir. On n’a peut-être pas assez étudié ce phénomène de l’aliénation. Des femmes portent l’étendard d’une doctrine et d’une politique qui les asservit. Qui va contre le principe de l’égalité homme-femme. On se sent désemparés, démunis devant ce phénomène. Comment contrer cette action de femmes qui viennent brandir leur appartenance à une interprétation de l’islam et qui s’estiment victimes d’une discrimination ? Ce qui fait porter le poids d’un faux problème à la société d’accueil, l’enferme dans une façon de poser le problème qui est à la fois malhonnête et malsaine. Que faire ?
Je vais dire quelques mots sur l’Égypte. Je n’ai jamais dit que j’étais pessimiste. Ce n’est pas du tout mon style. J’estime qu’il faut faire preuve de lucidité, de réalisme et de beaucoup d’optimisme. Il faut en avoir. Sinon, le combat n’aurait pas de sens.
Par ailleurs, concernant l’état du système éducatif en Égypte, je trouve que la situation est préoccupante. C’est un système éducatif qui ne donne pas de chances égales à tout le monde. Parce que l’éducation sert ceux qui ont énormément de sous, puisque l’école publique n’a plus les moyens d’offrir un enseignement digne de ce nom. Les enfants se retrouvent donc à prendre des cours privés. Et les enseignants donnent des cours privés pour augmenter leurs revenus. Vous avez deux problèmes : celui du statut social de l’enseignant, qui est précaire, et celui des enfants qui veulent augmenter leurs chances de réussite et qui n’ont pour solution que de prendre des cours. En général, compte tenu de la précarité de leur statut, ce sont les enseignants qui créent la demande. C’est très fréquent en Égypte : ils ont deux boulots. Ils enseignent à l’école publique et enchaînent tout de suite sur les cours privés, de façon à augmenter leurs revenus.
C’est extrêmement préoccupant. Comment offrir aux couches populaires une possibilité d’épanouissement à travers l’éducation ? L’Égypte est un pays où, tout de même, presque la moitié de la population vit sous le seuil de la pauvreté et est touchée par l’analphabétisme. C’est un terreau fertile. Parce que les islamistes offrent des cours, prennent en charge des familles, des enfants, se substituent à l’État. Ils ont trouvé là une brèche dans laquelle ils se glissent pour se donner une certaine légitimité sociale et politique. C’est en cela que la défaillance de l’État devient extrêmement dangereuse. Elle est suppléée par une force politique qui existe, celle des Frères musulmans, à travers des organisations caritatives qui disposent d’argent à n’en plus pouvoir parce que l’Arabie Saoudite est juste à côté et arrose tout le monde. Avant il n’y avait qu’elle. Maintenant il y a aussi le Qatar.
Quant à l’élite intellectuelle égyptienne, elle est fascinante. Sa tradition intellectuelle est très forte. Ça m’a beaucoup touché, au Caire, par exemple, dans la rue, sur le trottoir, on vend des livres usagés. Ça s’étend sur des kilomètres. Des gens qui mettent un truc en plastique et qui étalent des livres Ce qui veut dire que les gens lisent. Le nombre de journaux est incroyable. Pas des feuilles de choux. Des dizaines de pages de journaux. Des intellectuels, des écrivains se mouillent dans le débat public. Ils prennent position, écrivent. Ils s’engueulent entre eux ou s’aiment entre eux, mais ils prennent part au débat public. Honnêtement, c’était de toute beauté. D’ouvrir un journal. Plein de chroniqueurs comme Alaa al-Aswany qui a écrit Chicago. On ne peut pas rester insensible, quand on se frotte à cette classe intellectuelle on en sort vraiment enrichi.
Concernant l’aliénation, c’est vieux comme le monde. Ce n’est pas une spécialité musulmane. C’est complexe, déroutant. Il y a des esclaves aux États-Unis qui ne souhaitaient pas devenir libres. C’est compliqué la liberté. Il faut se prendre en charge. Être libre, ça peut être déroutant. La liberté, ça peut être déstabilisant. Ça l’est pour plusieurs femmes, pour plusieurs hommes. Il faut l’accepter. C’est une donnée historique.
Que faire avec ces femmes qui prônent leur liberté de choix pour s’enrôler dans une idéologie rétrograde ? Que répondre à une femme qui vous dit : « Je porte le voile, c’est ma liberté, c’est mon choix. » On n’ira pas lui dire que ce n’est pas bien. Si elle est convaincue. Si c’est une militante islamiste. Considérons-la comme un adversaire politique. Ça ne me dérange pas. Il y a des femmes que je considère comme des adversaires politiques. On est en démocratie. On a des points de vue différents. On ne pense pas la même chose. On ne veut pas que la société change, progresse de la même façon. Ce n’est pas si dramatique d’avoir des femmes comme adversaires.
Je suis attachée à l’égalité, à l’universalisme, à la laïcité. Ça fait des familles d’idées. Des familles d’hommes et de femmes qui défendent les mêmes principes, les mêmes valeurs. Il n’y a pas d’un côté les hommes, de l’autre, les femmes. Ça n’existe dans aucun pays, les hommes d’un côté, les femmes de l’autre, soi disant pour défendre deux idéaux différents. Heureusement que nous formons des familles mixtes. Que nous souscrivons aux mêmes valeurs. Parce que le féminisme est aussi un humanisme. Ce n’est que cela. Rétablir une injustice et considérer l’homme et la femme sur un pied d’égalité. Pour autant, ces femmes, ces militantes ont choisi. Et nous aussi, les Québécois avons choisi. Nous avons choisi de nous doter d’institutions publiques laïques. Et c’est ça qu’il faut faire valoir : le caractère des luttes collectives qui nous ont amenés à déconfessionnaliser l’école et ce n’est pas fini… et aussi à façonner une fonction publique qui met de l’avant l’égalité. Voilà l’enjeu.
Je suis algérien d’origine. Ma question : Que penser des féministes qui sont contre la burka et pour le port du voile islamique dans la fonction publique ?
La fédération des femmes Québec (FFQ) tenait le 9 mai 2009 une assemblée générale spéciale pour approuver une proposition de son conseil d’administration demandant à l’État québécois d’accepter les signes religieux ostentatoires pour les employées de la fonction et des services publics. J’ai fait plus de 700 kilomètres en une journée pour pouvoir parler trois minutes. En rentrant, mon amoureux me demande ; « Puis ? » Je lui réponds : « Puis ?!? La résolution est entérinée. » Il m’a dit : « Qu’est-ce que tu vas faire ? Tu vas t’arrêter là ? » J’étais crevée. J’avais des kilomètres dans le corps. Je vais dans mon bureau et j’écris cette lettre J’accuse la FFQ de trahir le combat des femmes . Le lendemain, je la balance dans les journaux. Elle a fait le tour du Québec et même de l’Europe, du Maghreb et du Proche-Orient..
C’est dire qu’il est possible, aussi, par moment, de dénoncer. Que c’est une stratégie gagnante. Je suis contre le port de tous les signes religieux dans la fonction publique. Ce sont les Québécois et Québécoises qui l’ont façonnée. Et il n’est pas question de la laisser entre les mains de certains obscurantistes. C’est non ! Le Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec s’est avancé sur le sujet. Il a dit qu’il souhaite la neutralité de l’État et de ses représentants. Le Conseil du statut de la femme s’est positionné sur la question. Le parti québécois également. Nous sommes nombreux dans la société et nous sommes majoritaires à le vouloir.
Mais la dérive intellectuelle de la FFQ est plus grave. C’est cette même dérive qui les a poussés à accepter le port de la Burka pour des éducatrices. Ils l’ont fait. Pour des féminises, c’est scandaleux. Et donc, c’est terrible de constater qu’un contre-pouvoir comme la FFQ, une organisation avec une histoire, des luttes, est aujourd’hui à genoux, a totalement abandonné ce combat pour les droits des femmes, quelles qu’elles soient, d’où qu’elles viennent, où qu’elles soient nées, on s’en fout. Ce n’est pas ça qui compte. Ce qui compte, c’est l’universalité de nos droits.
Et je vous dis, elles vont porter l’odieux et la responsabilité historique de cette trahison. Car trahison il y a. Et elle continue. Et non, elles ne veulent pas qu’il y ait un débat sur la laïcité, sur le voile islamique. Ce qui est surprenant tout de même : elles militent pour la pluralité religieuse, mais elles verrouillent tout débat, elles ont peur de la pluralité intellectuelle. Le fait est que deux militantes islamistes ont infiltré la FFQ et l’instrumentalisent. L’une était porte-parole de Présence Musulmane Montréal, l’organisme de Tariq Ramadan et signe aujourd’hui FFQ. L’autre était issue d’un groupe islamiste torontois.
Madame Benhabib, je suis enseignant et vous êtes la tête d’affiche de mon cours d’éthique et culture religieuse. En cinquième secondaire. Mon cheval de bataille dans ce cours, c’est la laïcité. C’est la séparation de l’Église et de l’État. Non seulement mes élèves vous aiment, ils vous attendent. J’aimerais vous inviter à mon école secondaire pour leur faire comprendre ce qu’est la laïcité. Quels sont les enjeux. La religion est un phénomène social qui a toujours existé. Elle a façonné notre monde, mais il est temps qu’elle prenne sa place et qu’on fasse place à la démocratie. J’ai même présenté votre entrevue à Tout le monde en parle, car nous avons un Smart Board et Internet. Ils ont vu votre interview avec Monsieur Lepage. Ils ont été très impressionnés. Et j’ai essayé de leur faire comprendre : « Vous voyez ce qu’elle nous dit Madame Benhabib. Il n’y a rien de plus important que la vie humaine ». Et tout au long de l’année, nous avons parlé de la tentative de mettre en place des tribunaux de la charia à Toronto, en 2005 Ils ont vu le film Incendies On a parlé d’accommodements raisonnables dans côte des neiges. Bientôt ils auront le droit de vote et ils doivent pouvoir former un jugement éclairé. Je crois en vous. Je crois au message que vous nous livrez Madame. Et s’il y a une place où on peut faire la différence, c’est à l’école. Merci Madame, Merci d’être là.
Vous lui avez demandé de venir à votre école ? C’est votre question ?
Avec plaisir, Lors de rencontres dans les écoles, je suis toujours touchée par les témoignages de reconnaissance de la part des élèves, des enseignants de l’administration.
Conclusion de Michel Virard, président de l’Association humaniste du Québec
Il me reste à te remercier, Djemila. Ça a été une soirée extraordinaire. Nous avons battu un record ce soir quant à la participation à une conférence des humanistes. Merci à Djemila pour avoir un effet aussi extraordinaire sur nos membres et nos sympathisants.
— Merci à vous d’avoir organisé cette rencontre qui nous a fourni l’occasion de nous retrouver, de nous aimer, en fait. — C’était une première..
. — Quant à moi, j’ai pris un abonnement !
L’organisation de cette conférence et sa transcription ont été assurées par Pierre Cloutier
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