Que faire pour contrer l’écocide en cours ?
CLAUDE BRAUN
Administrateur et éditeur en chef du "Québec humaniste"
Claude Braun a été professeur de neurosciences cognitives à l'UQAM de nombreuses années. Retraité depuis peu, Il a publié nombres de documents de recherches sur le sujet. Il a été également éditeur du "Québec laïque" et est depuis quelques années l'éditeur en chef de notre revue "Québec humaniste" Il a également publié "Québec Athée" en 2010. Téléchargeable gratuitement en utilisant ce lien avec les compliments de l'auteur.
On voit qu’une pandémie (COVID-19) très contagieuse, mais peu virulente (taux de décès faible) peut causer un effondrement économique mondial. Les experts en pandémie s’accordent pour dire que la cause fondamentale de la pandémie COVID-19 est fondamentalement écologique : surpopulation humaine, entassement et contact animal/humain malsain, mondialisation hyper-industrialisée donc hyper-rapide et extrême. Mais de nombreux autres effondrements écologiques sont en cours, beaucoup plus meurtriers [1], tous relevant du même problème fondamental.
Je ne ferai pas la liste des menaces, car j’ai publié cette liste dans le numéro précédent de Québec humaniste [2]. J’y mentionnais d’ailleurs, avant COVID-19, entre autres, le risque croissant et alarmant de pandémies infectieuses. Cela fait douze ans que je lis la littérature scientifique sur les effondrements écologiques mondiaux en cours (ou écocide global) et sur les solutions nécessaires à ces problèmes [3]. Le texte qui suit présente ma vision de ce qui doit être fait, à l’échelle mondiale pour prévenir ces effondrements de la meilleure façon possible, c’est-à-dire sans importuner les gagne-petit, sans déstabiliser le tissu social, tout en réglant efficacement le problème, sans céder à la panique.
Ce qui suit n’engage en rien le Conseil d’Administration de l’Association humaniste du Québec.
Fausses solutions. Il m’importe de commencer par clairement rejeter ce que je pense être les principales fausses solutions, voir les propositions risquant d’aggraver le problème.
Les campagnes de planification familiale menées jusqu’à maintenant (sauf une exception) ont été des échecs et ne sont pas une solution. La stérilisation, le condom, la pilule, l’avortement à volonté, n’ont eu et n’ont toujours aucune efficacité et ne peuvent en avoir dans les régions éloignées des pays pauvres, justement là où la reproduction humaine est exorbitante. Même l’accès aux médecins de l’ensemble de la population, en clinique, ne peut suffire. Mais il y a un modèle qui fonctionne parfaitement, que je décrirai plus loin.
La solution n’est pas le Green New Deal des Octavia-Cortez et Sanders de ce monde, proposant de très rapidement créer une nouvelle économie de haute technologie verte mettant rapidement à l’emploi 30 millions de travailleurs pour ne s’en tenir qu’aux États-Unis. Le véhicule de transport individuel, à piles, maillon central du Green New Deal, ne règlera en rien la menace écologique qui pèse sur la planète : il ne fera que l’aggraver. Car immanquablement, ce sont les révolutions technologiques, à chaque vague d’innovations, sans exception, qui ont empoisonné le monde et menacé la capacité de la planète de soutenir notre espèce. En plus, c’est la progression technologique des modèles économiques atténuants (système financier, monopoles, complexes militaro-industriels, élections achetables) qui a constamment aggravé l’inégalité humaine, créant des maillons extrêmement précaires et de plus en plus dangereux dans le corps social : désespérés violents, reproducteurs désinvoltes, consommateurs effrénés, accapareurs éhontés de l’environnement. Le Green New Deal propose plus de télécommunications, plus de mondialisation, plus de batteries, plus de métaux rares en alliage non recyclable, plus d’industrie, plus de chimie, plus d’humains, et beaucoup plus de pollution. L’industrie des métaux rares est extrêmement polluante, en soi, et s’assortit d’un ensemble d’autres matériaux et produits de consommation qui sont eux aussi extrêmement polluants à produire et qui sont non recyclables [4]. Tandis que les entrepreneurs, commerçants et banquiers se frottent les mains à nous imaginer jetant toutes nos affaires au dépotoir ou au pseudo-recyclage afin d’acheter la nouvelle vague de produits supposément écologiques. Presque tous les vecteurs d’effondrement écologique continueront à s’aggraver.
De même, la solution n’est pas de planter des arbres. Une telle approche s’est avérée extrêmement lente, très inefficace, presque futile. Cette approche ne respecte pas la façon par laquelle la nature se met en équilibre écologique. Voilà pourquoi les programmes de plantation massive d’arbres ont échoué jusqu’à maintenant. Le taux de mortalité des arbres a été très élevé, et au final l’efficacité au décompte carbone presque nulle. Il est absolument nécessaire que la nature puisse développer la diversité qui lui vient par sélection naturelle lorsqu’elle n’est pas entravée par l’activité humaine excessive. Cette diversité est extrême, selon le terrain, selon la flore, selon la faune, selon le climat, etc. Un gouvernement peut facilement faire planter un million de frênes. Pensez-vous que l’agrile ne s’en frottera pas les pattes de joie ?
La solution n’est pas le développement d’applications informatiques. On arguera que l’exploitation du feu pour cuisiner, que le harnachement de la vapeur alimentée par le charbon, que le moteur à combustion, que l’énergie nucléaire, que l’agro-industrie alimentée par l’industrie chimique des pesticides et engrais ont fait faire d’immenses bonds en avant (et pour le mieux) à l’humanité. On arguera que la révolution numérique a créé un monde hyper-performant et jouissif et une infinité d’applications qui « facilitent » notre vie. C’est faux. Même dans les pays riches, la vie n’est pas devenue plus « heureuse ». Le télétravail ne sera en aucune façon une solution aux pandémies comme la COVID-19. La révolution numérique a généré beaucoup plus de poisons culturels et de compulsions consommatrices que de Wikipédia. L’industrie de l’informatique est une des sources les plus massives de surconsommation (hyper-publicité), d’hypercommercialisation, d’empreinte carbone, de pollution. Croire que l’évolution technologique fut un « progrès » c’est comme croire que s’il fait un peu frais il est bon de se réchauffer en mettant le feu à la base de l’arbre dont la branche est notre perchoir. Oui, on aura un petit moment de chaleur agréable, et ensuite…
La solution n’est pas de mettre sur pied une NOUVELLE industrie dite du recyclage. Il n’y a rien d’écologiquement valable dans la production de NOUVEAUX produits pourvus du fameux logo du triangle à flèches. Ce qui est « supposément » recyclable est en fait jetable et ne sera jamais hautement recyclable réellement. Les experts estiment que ce qui va dans les bacs de recyclage n’est recyclé qu’à 11% à l’échelle mondiale, tandis que la démarche comporte un traitement inutile de ces « déchets » et une multiplication de leur transport souvent jusqu’aux quatre coins du monde. Au fait, le prétendu recyclage que pratiquent les citoyens des pays riches a, en lui-même, probablement une empreinte écologique pire que si l’on jetait tout au dépotoir.
La solution n’est pas un retour aux manières préindustrielles ou féodales, à la barbarie, à la violence. Par exemple, en ce qui concerne l’énergie qui devra nous chauffer, déplacer, et nous garantir une qualité de vie, il faut davantage de modialisation, pas moins, mais coopérative. L’énergie, c’est le nerf de la guerre et c’est un bien qui devrait se vendre et s’acheter intelligemment. Les zones, peuples, nations qui ont de l’énergie propre comme l’hydroénergie, de l’ensoleillement, des sites propices aux centrales nucléaires (pas de tsunamis, tremblements de terre, populations avoisinantes), ou qui ont du vent, devraient vendre leur énergie à ceux qui en ont besoin avec des contrats qui garantissent la pérennité des ententes –incluant des réserves de fonds accessibles autant aux vendeurs qu’aux clients, dans les coffres de chacun, prévoyant et parant les coups de gueule présidentiels, les guerres commerciales ou autres, les décrets. Une situation comme le rapport interprovincial canadien où des provinces se battent pour vendre leur énergie sale en refusant d’acheter l’énergie propre des autres est une aberration.
Finalement, la solution ne doit pas reposer uniquement, comme voudraient nous le faire croire tous les chantres de l’industrie, du commerce et de la finance, incluant presque tous les partis politiques au pouvoir dans le monde aujourd’hui, sur des gestes « écologiques bienveillants » du citoyen individuel. Il existe beaucoup de propositions, voire même d’exhortations, dans la culture mondiale sur comment chacun doit faire sa part pour sauver la planète : remplacer les ampoules (écologiquement, il ne faut jamais remplacer quoi que ce soit avant terme), utiliser le bac à recyclage (cela fait plus de tort que de bien), acheter une voiture électrique (cela pollue davantage que de garder son tacot), etc. Tout cela est nul et non avenue. Pire ! En réalité, le discours qui ne s’en tient qu’à ce type d’action cible directement les plus vulnérables ainsi que les moins coupables, en plus d’être mondialement écologiquement néfaste. Ce report de la responsabilité de la sauvegarde du monde sur les moins bien nantis, en laissant libre cours aux grands écoprédateurs, est la pire des fumisteries.
Le choix faustien. Ce qui doit être fait, à l’échelle mondiale, est simple et se résume à trois mots : dépeupler, réensauvager, désindustrialiser : dénommons ce programme DRD. Si cela n’est pas accompli résolument par l’humanité de façon ordonnée, raisonnée et bienveillante, la nature va l’accomplir un peu plus tard, mais beaucoup plus brutalement. C’est déjà en cours d’ailleurs : l’ONU estime à 50 millions le nombre de déplacés/réfugiés en 2019, et cela avant COVID19, le plus haut chiffre annuel de l’histoire de l’humanité. Une grande part de la cause de ces déplacements, selon l’ONU, est écologique, avec la violence humaine qui s’en suit.
Dépeupler. La cause première de l’ensemble des effondrements écologiques en cours est la surpopulation humaine. Ceci est reconnu par toutes les grandes instances scientifiques : les « concerned scientists », l’association des prix Nobel, l’ONU, le GIEC. Il n’y a aucun besoin de stériliser qui que ce soit contre son gré. Soyons clairs là-dessus. Cependant, je ne cesse de désespérer lorsque je constate comment les bien pensants trouvent normal que la régulation des naissances dont nous jouissons TOUS et TOUTES dans les pays riches soit inaccessible aux personnes pauvres dans les pays émergents. Je trouve inacceptable que les gens se sentent « gênés » d’en parler. Il est vrai que les grands programmes de planification familiale ont connu des ratés dans les décennies passées en Asie et en Afrique. Mais il est aussi vrai qu’un pays très pauvre et sous-développé, le Botswana, a pu se doter d’un système de santé publique et de planification familiale sans coercition, programme qui reste d’ailleurs extrêmement efficace [5]. Le Botswana est passé de sept enfants par femme à 3 enfants par femme en vingt ans d’efforts. Tous les pays du tiers monde pourraient implanter ce même modèle. Le secret le mieux gardé au monde, et pourtant le plus important aussi, est qu’une technicienne paramédicale (formée en quelques semaines) peut implanter une minuscule pastille contraceptive sous la peau de l’avant-bras d’une femme, avec son consentement, bien entendu. Ce contraceptif qui ne coûte pratiquement rien est 100% efficace jusqu’à ce que celle-ci décide de le faire enlever. À la rigueur, celle-ci pourrait facilement l’enlever elle-même. Je résume le modèle Botswanais : 1) il faut que les techniciens de planification familiale soient payés par l’État et soient organisés pour desservir chaque citoyenne sans exception partout au pays ; 2) ce sont les femmes qui doivent être servies en premier lieu ; 3) il faut que ces techniciens se déplacent régulièrement vers les citoyennes, chez elles (pas à une quelconque « clinique ») ; 4) il faut que ces techniciens soient des femmes ; 5) il faut que le moyen contraceptif soit peu dispendieux, permanent, réversible, sécuritaire, et 100% efficace. Si vous trouvez que cela sonne radical, imaginez la situation d’une femme qui allaite avec sept marmots dans les bras dans un village éloigné d’Afrique ou d’Asie. Impossible pour elle dans les faits, de quitter le domicile, ne serait-ce que pour une demi-journée ! C’est cela qui est radical. Il n’y a aucun pays au monde où les femmes veulent avoir et élever plus de trois enfants, a fortiori si ceux-ci font face à la famine. Ce qu’il faut faire est tout simple et a déjà été fait avec succès. IL FAUT DONC QUE TOUS LES PAYS OFFRENT UNE PLANIFICATION FAMILIALE EFFICACE À CHACUNE DES CITOYENNES.
Réensauvager. Le meilleur puits (ou capteur) de carbone aérien (contribuant au réchauffement global) est la zone de nature sauvage protégée. La densité de captation du carbone aéroporté y est la plus élevée par mètre cube. La pousse (et captation de carbone aérien) y est beaucoup plus rapide et pérenne. L’utilité pour les humains des terres, eaux, air, flores et faunes qui s’y trouvent est beaucoup plus diversifiée et forte. Par ailleurs, le réchauffement global propulsé par les énergies fossiles n’est qu’un parmi une multitude de vecteurs, globalement interreliés, de l’écocide en cours. Par exemple, en plus de servir comme puits de carbone, la zone sauvage est le paradis de l’insecte pollinisateur, présentement en voie d’extinction et nécessaire pour une agriculture saine. Il y aurait cent autres exemples de bénéfices immédiats et à long terme. La bande ensauvagée (laissée plus ou moins à l’abandon) tout autour d’un PETIT lot ensemencé offre une grande gamme d’avantages écologiques et sociétaux. Des espaces semi-sauvages dans les villes créent une qualité de vie pour les gens ordinaires : de l’air propre, de l’eau propre, des terrains sains, de l’espace pour vivre, des bords de l’eau, boisés et montagnes pour se promener à proximité et au quotidien… Des plans d’eau douce et océans protégés pourraient nourrir des multitudes de gens, mais au rythme où l’on étouffe et empoisonne les plans d’eau, il n’y restera bientôt plus rien à manger. Bref, il faut absolument cesser de détruire la nature sauvage partout au monde, à commencer par l’Amazonie, et il faut rapidement renverser la vapeur en expropriant les grands approprieurs de terre, air et eau, et refouler les plus grands écoprédateurs humains, dans le cadre de lois d’urgence écologique. La solution est déjà en cours d’exécution (mais à une échelle dérisoire) : elle se dénomme « zone protégée ». Il faut créer beaucoup plus de petites et larges zones protégées de nature sauvage ou semi-sauvage, partout. Pour ce faire, il faut pratiquer une politique d’expropriation systématique, stratégique, mordante et règlementée, en continu. Il n’y a rien de bolshévique là dedans: des pays occidentaux capitalistes ont décrété un accès public à tous les bords de l’eau sans que les propriétaires terriens ne se révoltent…
Désindustrialiser/décommercialiser/
déconsommer. La transition doit être sélective, bien entendu. Il existe déjà des taxes de luxe dans tous les pays où règne la société de droit : bijoux, cigarettes, etc. Il suffit d’élargir à très grande échelle ce genre de taxes pour financer une vraie transition écologique. La vraie transition écologique ne peut maintenir l’industrie et le commerce de la transformation telle qu’elle existe aujourd’hui. Il faut changer nos valeurs et réaliser que la vraie richesse, c’est la nature non spoliée. Il faut réduire partout et par tous les moyens notre compulsion ridicule de nous inventer des pseudo-besoins qui seront comblés par des objets manufacturés de façon toujours plus complexe. Il faut redonner la richesse au peuple… pas le fric, pas les produits transformés, mais de l’air pur, de l’eau pure, de la terre saine, une flore saine, une faune saine. Commençons par taxer les objets auxquels la plupart n’ont jamais pu aspirer de leur vivant : les yachts, les avions privés, les maisons de grand luxe, les véhicules de luxe, les voyages de luxe, les grands terrains, les salaires et revenus indécents, etc. Ensuite taxons en fonction de l’ensemble de leurs VRAIS COÛTS ÉCOLOGIQUES COMPLETS les activités humaines. Planifions un monde et une économie pour 3.5 milliards d’humains –ce qui est reconnu par les scientifiques comme la limite écologique de notre planète. Faisons des choix judicieux pour garder ce qui en vaut vraiment la peine : un bon système d’éducation pour tous, un bon système d’hygiène publique (réseaux d’eau, égoûts, filtration des boues), un bon système d’hygiène publique et de santé pour tous, une agriculture et une alimentation saines pour tous, du logement équitable, confortable, durable, écologique pour tous. Le reste n’apporte qu’un bonheur illusoire et abusif. Ce qu’il faut faire est tout simple : il faut transformer la nature le moins possible (c.-à-d . intelligemment), non seulement en alimentation mais dans tous les secteurs. Il faut ne transformer, autant que possible, que des produits impérissables qui peuvent être transmis de génération en génération.
VIVE LA PLANIFICATTION FAMILIALE !
VIVE LA PROTECTION DE LA NATURE !
VIVE LA CONSOMMATION EXORBITANTE, EXUBÉRANTE ET JOUISSIVE D’AIR, D’EAU, DE PLANTES, D’ESPACES ET D’AMÉNAGEMENTS SAINS, CHEZ NOUS OU PRÈS DE CHEZ NOUS !
Références
- L’ONU estime à 17.5% le pourcentage de décès attribuable à la pollution à l’échelle mondiale.
- Braun, C. (2019). Où en sont les vecteurs objectifs et mesurables, en 2019, d’effondrement écologique mondial ? Québec humaniste, Vol 14, no 1, pp. 28-30.
- Braun, C. (2008). L’éco-humanisme. Montréal : Éditions Les Incrédules. Pp. 47-51.
- Pitron, G. (2019). La guerre des métaux rares. Éditions Les liens qui libèrent.
- Braun, C. (2018). Une lueur d’espoir pour l’humanité !… le Botswana. Québec humaniste, Vol 13, no 2, pp. 11-13.
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