André Cloutier
Membre de l'Association Humaniste du Québec
Merci à Un de nos membres monsieur André Cloutier, qui nous a fait parvenir cet article intéressant sur les tensions aux plus hautes sphères de la religion catholique entre les traditionalistes et les progressistes depuis Vatican II.
Publié dans « Le monde diplomatique » décembre 2022 page 26
Onze octobre 1962 : le pape Jean XXIII ouvre le concile Vatican Il. Étalés sur trois ans, ses travaux débouchent sur le plus grand aggiornamento de l’Église romaine depuis la Contre-Réforme, au XVIe siècle. L’abandon de la messe en latin en restera le symbole le plus manifeste, et c’est souvent au refus de cette transformation que sera assimilée l’opposition des franges traditionalistes. Or, du coté des « tradis », « chez certains, cette défense de la doctrine traditionnelle va jusqu’à la remise en cause des enseignements du concile Vatican II, chez d’autres, c’est un effort pour les interpréter à la lumière de la Tradition », selon l’historien des religions Yves Chiron, ancien contributeur de périodiques comme « Présent » ou « Rivarol » (1). Chef de file des « intégristes », Marcel Lefebvre, qui a participé au concile en tant qu’archevêque titulaire, sera excommunié en 1988. Chiron assimile le courant traditionaliste à un « nationalisme-catholicisme », défini comme la « conjonction étroite entre l’interprétation la plus intransigeante du dogme, le nationalisme le plus sourcilleux et la version contre-révolutionnaire de la droite ».
Dans un livre d’entretiens à deux voix (2), la sociologue des religions Danièle Hervieu-Léger et Jean-Louis Schlegel, ancien directeur de la revue Esprit, analysent la fracture postconciliaire du monde catholique, menacé d’ « implosion » : « C’est ( … ) au nom de l’unité religieuse, comme ses prédécesseurs, que le pape François a rappelé que la liturgie conciliaire est la liturgie romaine, et que les exceptions à cette norme doivent faire l’objet d’un règlement précis de la part des évêques. » En France, la pratique dominicale est tombée à 2 % de la population. Soixante mille fidèles assisteraient au moins une fois par mois à une messe traditionnelle. Pris en étau entre un mouvement de sécularisation qui semble inexorable et un traditionalisme vigoureux, le Vatican peine à enrayer sa perte d’influence, en Europe occidentale surtout, et même en Amérique du Nord. Aux États-Unis, le nombre de citoyens se déclarant « sans religion » est passé de 27 % en 1937 à 47 % en 2019 selon les auteurs. Sous l’expression « exculturation du catholicisme », Danièle Hervieu-Léger désigne le « processus d’exfiltration qui tend à faire perdre à l’Église (…) sa capacité d’alimenter, comme elle l’a fait pendant des siècles, le tissu culturel vivant de la société, au-delà de la seule population de ses « fidèles » ». Par contraste, la communauté évangélique poursuit son expansion, et pourrait représenter la moitié des chrétiens dans le monde en 2050 (3).
En décalage croissant avec la sensibilité majoritaire, l’Église peut-elle faire valoir sa doctrine sociale pour inverser la tendance ? Dès 1891, avec l’encyclique Rerum novarum, « le pape Léon XIII s’attache à lever toute ambiguïté : les communistes ( ou socialistes comme on les appelle à l’époque ), c ‘est-à-dire les partisans du système économique défendu par Marx, dénoncent des injustices réelles mais proposent de mauvaises solutions », expose le prêtre dominicain et docteur en sociologie Jacques-Benoît Rauscher (4).
À partir de Pie XI, en 1931, la doctrine sociale de l’Église « renvoie dos à dos le communisme et « l’esprit du capitalisme » ». Mais l’existence de la propriété privée « ne doit pas empêcher tous les hommes d’avoir accès aux biens nécessaires à leur vie ». Partisans de la justice sociale ici-bas, les prêtres ouvriers, après avoir eu leur temps de travail en usine réduit à trois heures, se verront complètement interdire de vivre leur ministère au milieu des travailleurs par Jean XXIII, en 1959. Paul VI l’autorisera à nouveau en 1965. Quant aux théologiens de la libération latino-américains, ils durent abjurer leur engagement, à genoux parfois. Un traitement à rebours de la relative mansuétude dont bénéficièrent les catholiques traditionalistes sous Jean Paul II et Benoît XVI.
David Garcia, Le Monde diplomatique, Paris, décembre 2022, page 26.
(1) Yves Chiron, « Histoire des traditionalistes », Tallandier, Paris, 2022, 640 pages, 27 euros.
(2) Danièle Hervieu-Léger et Jean-Louis Schlegel, « Vers l’implosion? Entretiens sur le présent et l’avenir du catholicisme », Seuil, Paris, 2022, 398 pages, 23,50 euros.
(3) Danièle Hervieu-Léger et Jean-Louis Schlegel, « Vers l’implosion ? », op. cit.
(4) Jacques-Benoît Rauscher, « Découvrez la doctrine sociale de l’Église avant d’aller voter », Éditions du Cerf, Paris, 2022, 282 pages, 20 euros
0 commentaires