Quand Dieu était femme

par Jan 16, 2022Québec humaniste0 commentaires

La Raison : Bulletin Rationaliste de Libre Critique, 1980, Volume 2, Numéro 2, pp. 3-17.

Béni soyez-vous, O Seigneur notre Dieu, Roi de l’univers, qui ne m’a pas fait femme. (Prière quotidienne en Israël)

Le texte qui suit tentera de démontrer le plus clairement possible l’existence du culte à la Grande Déesse. Créatrice de l’Univers, et ce, bien avant la naissance du Dieu, Yahvé, Créateur de l’Univers. Ce texte est tiré du livre « Quand Dieu était femme » de Merlin Stone. Son œuvre, fruit de nombreuses années de recherches, est si étonnante à découvrir qu’il m’est difficile d’en présenter moi-même les objectifs. Pour ce, j’emprunte donc au livre les mots de Merlin Stone elle-même :

« Je ne prône pas le retour en arrière ou la résurrection de l’ancienne religion féminine. Je forme le vœu cependant qu’une connaissance actuelle du culte autrefois rendu à la Déesse, Créatrice de l’Univers, Source de la vie et de la Civilisation, puisse servir à briser les nombreuses images patriarcales qui fondent notre oppression et qui sont à l’origine des stéréotypes, des coutumes et des lois créées de toutes pièces par les « pères » des religions mâles, en réaction au culte de la Déesse. Les inventions idéologiques des apôtres des nouveaux dieux nous sont encore imposées aujourd’hui à travers l’éducation, le droit, la littérature, l’économie, la philosophie, la psychologie, les médias, etc. »

« Ce texte est une invitation large (à tous ceux qui contestent déjà les stéréotypes masculins et féminins dans notre société, et même ceux qui ne l’ont encore jamais fait) dans l’espoir qu’elle incite à une prise de conscience des origines historiques et politiques de la Bible, et du rôle que les doctrines judéo-chrétiennes ont joué au cours des siècles dans l’établissement de l’image de l’homme puissant et de la femme seconde. »

Nous sommes toutes les filles d’Ève

Avec la Création de l’Univers, la Bible nous apprend qu’Ève a été tirée d’une côte d’Adam et mise au monde pour l’aider et lui servir de compagne afin de combler sa solitude. On lui avait définitivement assigné le rôle de l’éternelle seconde.

Ensuite, on nous apprend qu’Éve n’était qu’une étourdie qui s’était laissée tromper par un méchant serpent. D’où la faute originelle. Dieu décida qu’Ève était coupable de tout et décida de la punir de la façon suivante : « Je multiplierai les peines de tes grossesses, dans la peine tu enfanteras tes fils. Ta convoitise te poussera vers ton mari et lui dominera sur toi. » (Genèse, 3 :16) Ainsi, alors que nous n’étions encore que des petites filles, on apprit que par la faute d’Ève, on devrait enfanter dans la peine et la douleur. Nous étions femmes, filles d’Ève. Pire encore, nous devions accepter que les hommes aient un droit de regard sur nous.

Ainsi notre soumission et notre punition d’être femme étaient fermement établies dès la page trois de la Bible judéo-chrétienne, qui en contient plus de mille. La suprématie mâle n’était qu’à son commencement et la folie d’Ève serait loin d’être oubliée…

Le culte de la Grande Déesse passé sous silence

À l’époque préhistorique et lors des premières périodes de l’histoire de l’humanité, une femme était, pour certains peuples, à l’origine de toute création. La Grande Déesse, l’Ancêtre Divine, a été adorée depuis le début de la période néolithique supérieure, environ 25 000 ans av. n.è. Beaucoup de gens croient que les événements de la Bible ont eu lieu « au commencement des temps » alors qu’ils datent, en fait, de l’époque historique.

L’archéologie, la mythologie et les faits historiques montrent que la religion féminine a été victime durant des siècles de persécutions et de répressions afin d’imposer la supériorité des divinités mâles. De ces nouvelles religions nous vient le mythe de la création d’Adam et Ève, du péché originel et du Paradis perdu.

Il existe très peu de textes sur les divinités féminines et la documentation existante est presque totalement passée sous silence et ne fait pas partie de la « formation générale » dans nos écoles et nos universités.

Les religions judaïque, chrétienne et islamique, démontrent une hostilité certaine envers les religions qui les ont précédées, spécialement celle de la Déesse du pays de Canaan (Palestine). Certains passages de la Bible relatent les massacres sanglants, les destructions de statues (i.e. d’idoles païennes) et de sanctuaires qui ont été commis sur l’ordre de Yahvé : « Vous détruirez tous les lieux où les nations que vous allez chasser servent leurs dieux, sur les hautes montagnes, sur les collines et sous tout arbre vert. Vous renverserez leurs autels, vous briserez leurs statues, vous brûlerez au feu leurs idoles, vous abattrez les images taillées de leurs dieux et vous ferez disparaitre les noms de ces lieux-là. » (Deut. 12,2-3)

Malgré cela, beaucoup d’objets ont survécu et témoignent aujourd’hui de la nature de ces croyances et de ces rituels « païens » tant redoutés. Mais comment dire que ces dieux païens étaient des femmes? La plupart des « idoles païennes » avaient des seins. Certaines étaient enceintes. Un nombre incroyable d’effigies de la Déesse ont été retirées des fouilles des sites néolithiques et de ceux des premières périodes historiques, au Proche et au Moyen-Orient. Toutes sont de sexe féminin. De plus dans le Coran on peut lire : « Allah ne tolère pas l’idolâtrie… ni les païens qui adorent des femelles. »

Toutes ces informations ont été passées sous silence par les historiens, les archéologues et les théologiens, quel que soit leur sexe. Ils (elles) ont tous (tes) été formés(es) dans la tradition religieuse judaïque ou chrétienne, qui présente une optique exclusivement mâle. Le professeur Albright, qui fait autorité dans les recherches archéologiques en Palestine, décrit la religion de la femme comme un « culte orgiaque de la nature, lié à la nudité sensuelle et à une mythologie grossière. » Dans la plupart des textes archéologiques, la religion de la femme est définie comme « culte de la fertilité ». La nature ouvertement sexuelle de la Déesse, juxtaposée à son caractère sacré, est finalement décrite par l’expression de « Vierge-Putain ». Les femmes fidèles aux coutumes sexuelles du culte de la Déesse sont désignées par « prostituées rituelles ». On sait aujourd’hui que l’on appelait ces femmes « gadesh », c’est-à-dire, saintes. Enfin, certains auteurs refusent à quelque déesse d’être appelée « Reine du Ciel », préférant lui donner le nom de « Terre-Mère ». L’archéologie nous a pourtant apporté la preuve que les premières lois, les gouvernements, la médecine, l’architecture, la métallurgie, les véhicules à roues, la céramique, le tissage et l’écriture se sont d’abord développés dans les sociétés qui vénéraient la Déesse. Pourtant bien des gens cultivés pensent encore aujourd’hui que la Grèce classique représente la première grande civilisation, alors qu’il existait de grandes villes bien avant cette période et que l’écriture était déjà en usage depuis au moins vingt-cinq siècles.

Qui était la Déesse ?

La divinité païenne, tant décriée de l’Ancien Testament, était, en fait, Astarté. Elle était adorée sous des noms multiples selon le peuple qui la vénérait : Inmun, Nana, Nut, Istar, Isis, Ausit, Attar, etc. Les recherches archéologiques prouvent que son culte a existé durant des milliers d’années, avant l’arrivée du premier prophète de la divinité mâle, Abraham. Les traces du culte de la déesse datent du néolithique (environ 7000 ans avant n.è.), et dans certains sites, du paléolithique supérieur (environ 25000 ans avant n.è.). Le passage d’Abraham sur terre date de 1500-1600 ans avant notre ère.

Preuves de l’existence de la Déesse

  1. A) L’ère paléolithique :
  2. L’anthropologie pense qu’à cette période les peuplades ignoraient le lien entre l’acte sexuel et la conception. Ceci rend compte des origines des sociétés matrilinéaires (filiation par la mère).
  3. Les toutes premières nations religieuses des cultures du paléolithique prirent la forme d’un culte des ancêtres. La seule et unique parente était donc la mère (et ses frères et sœurs de la même mère). Le culte des ancêtres, base des rites sacrés, tenait compte de la lignée des femmes. L’image du créateur de la vie humaine, la tout première ancêtre, est alors déifiée comme l’Ancêtre Divine.
  4. La troisième preuve, la plus tangible, nous est fournie par les nombreuses statuettes de femmes appartenant aux cultures de cette ère. Ces petites statuettes faites d’or, de pierre ou d’argile, ont sou-vent été appelées « Vénus ». On les a retrouvées dans des régions aussi éloignées que la France, l’Espagne, l’Autriche, la Russie.
  5. B) L’ère néolithique : Les statuettes féminines du paléolithique représentaient, selon plusieurs savants, la Déesse. Leurs sculptures sont remarquablement semblables par leur taille, leur matériau et leur style. Dans les régions de Canaan, d’Anstolie, du golfe persique et même en Égypte, on a trouvé de ces statuettes de la Déesse-mère. Cette dernière semble être la figure centrale de la religion néolithique.
  6. C) L’ère historique : C’est l’invention de l’écriture. À cette époque, la Déesse est vénérée dans toutes les régions du Proche et du Moyen- Orient. Son culte disparaitra complètement en l’an 500 de notre ère, date à laquelle les empereurs chrétiens de Rome et de Byzance fermèrent les derniers temples.

Le culte de la divinité féminine

Dans le culte de la Déesse, le sexe était considéré comme un don fait à l’humanité par la Déesse. Elle était la Déesse de l’amour sexuel et de la procréation. L’acte sexuel avait quelque chose de sacré. Des « femmes » habitaient dans les enceintes sacrées de l’Ancêtre Divin et faisaient l’amour au temple pour honorer la Déesse. Les femmes représentaient non seulement la reproduction de toute vie humaine, mais aussi la source de toutes récoltes. En réalisant qu’il était possible de cultiver la terre tout autant que d’en cueillir les fruits, elles acquirent un prestige en même temps qu’un pouvoir économique et social. Plusieurs auteurs qualifient cette culture de matriarcale. On retrouve dans les récits de voyages de Diodore de Sicile ces quelques exemples :

-En Éthiopie, les femmes avaient tout pouvoir…

-En Égypte, les hommes restaient à la maison et tissaient…

-À Sumer, les femmes prenaient deux maris…

-À Babylone, elles possédaient et géraient leur propre patrimoine…

-En Anatolie, ce sont les femmes qui gouvernent… [1]

Les religions actuelles rejetèrent entièrement ce « culte de la fertilité ». Le sexe est devenu laid, honteux, péché. Cette position « antisexuelle » des Hébreux et des religions chrétiennes fut propagée pour des raisons purement politiques dont l’objectif était d’ancrer le système patrilinéaire. Conquérir la religion pour s’assurer de conquérir le peuple. Toute femme devait désormais appartenir à un homme et être vierge jusqu’au mariage, sous peine de mort par le feu ou la lapidation. La maternité des enfants devait être certaine.

Les études « même sérieuses » écrites ces deux derniers siècles parlent des coutumes sexuelles du culte de la Déesse, comme d’une forme de prostitution. On les appelle les « femmes-sacrées », les « prostituées du temple ».

Les envahisseurs du nord

La littérature et les découvertes archéologiques témoignent d’invasions contre les peuples de la Déesse du Proche et du Moyen-Orient. Les principaux envahisseurs furent les « Hittites ». La divinité mâle fait son apparition à cette époque, soit 2400 ans avant notre ère. Certains documents parlent de croisades religieuses tout autant que territoriales. Partout, la suprématie de la divinité mâle s’impose. Le Dieu-mâle indo-européen est souvent représenté comme le dieu de la tempête jetant du feu et des éclairs du haut d’une montagne. Le culte de la Déesse restera pourtant la divinité populaire durant des milliers d’années après les invasions.

L’on croit que les attitudes patriarcales des Hébreux se sont élaborées au contact des sociétés venues du nord. La Bible fait mention des Hittites dans la Genèse et dans le livre d’Ézéchiel : « Ton père était un Amorrite, ta mère une Hittite ». Dans les récits des différentes régions l’on peut voir la transition entre la religion de la Déesse et celle du dieu- mâle, en passant même par des dieux castrés et des prêtres eunuques. Selon les références, il semble évident que les coutumes et le pouvoir politique de la grande prêtresse faisaient obstacle aux conquérants venus du nord.

Destruction commandée par Yahvé Pour imposer le culte du dieu-mâle, les Hébreux pénétrèrent sur les terres de la Déesse et détruisirent d’une façon violente la religion locale : « Vous démolirez leurs autels, vous mettrez leurs idoles en pièces et vous couperez leurs bocages sacrés. Tu ne te prosterneras pas devant un autre Dieu car Yahvé est un Dieu jaloux ». (Exod. 34 : 11-16)

Les nombreuses dénonciations des prophètes prouvent suffisamment que la religion de Yahvé a dû lutter continuellement contre l’ancienne religion :

« Ainsi Josué ne laissa pas un survivant et voua tout être vivant à l’anathème, comme Yahvé, le Dieu d’Israël, l’avait prescrit. » (Jos. 10 : 28-40)

« Tuez donc tous les dépendants mâles, tuez aussi toutes les femmes qui ont partagé la couche d’un homme. Ne laissez la vie qu’aux femmes vierges et qu’elles soient à vous. » (Nombres 31 :17)

« …32 000 filles, n’ayant pas partagé la couche d’un homme, devinrent trophées de guerre… (Nombres 31 :35) Et sur l’ordre de Yahvé : « Souillez le temple, emplissez de cadavres les parvis, sortez. N’ayez pas un regard de pitié, n’épargnez pas vieillards, jeunes gens, vierges, enfants, femmes, tuez et exterminez tout le monde. » Ils sortirent et frappèrent à travers la ville. (Eze. 9 : 4-7)

Commise au nom de Yahvé, la tuerie fut dirigée directement contre la religion de la Déesse. Dans l’Évangile selon les Égyptiens, on retrouve une parole du Christ fort révélatrice : « Je suis venu détruire l’œuvre de la femme. »

Naissance d’une morale sexuelle pour la femme

Les prêtres hébreux, afin d’imposer leurs nouvelles règles sacrées, instituèrent une morale sexuelle pour les femmes. Toutes celles qui n’étaient ni verges, ni mariées, devenaient objet de mépris. Les femmes violées et sexuellement autonomes étaient toutes des putains et méritaient la mort. Une fois le concept de « moralité » inventé, on pouvait donc accuser « d’immoralité » et s’assurer ainsi, du contrôle absolu de toutes les femmes.

Ainsi, les religions judéo-chrétiennes nous ont appris qu’Ève « l’étourdie » avait agi sous l’influence du serpent en mangeant la pomme. Mais pourquoi un serpent ? À l’époque de la Déesse, les serpents étaient sacrés. La composition chimique de certains venins permettait d’atteindre la « révélation divine » (comme certains champignons).

Au temps biblique les serpents symbolisaient la présence familière de la Déesse. L’arbre était lui aussi un autre symbole important. « L’arbre sacré » (fruitier) représentait le corps vivant de la Déesse sur terre. D’en manger le fruit était manger la chair et le sang de la Déesse…

Ces symboles repris dans le mythe du Paradis Perdu gardaient leurs fonctions idéologiques : les femmes qui

vénéraient la Déesse avaient chassé l’humanité du « paradis terrestre ». Celles-ci avaient ignoré l’arbre de la connaissance du bien et du mal… l’arbre de la conscience sexuelle : « Adam et Ève réalisèrent qu’ils étaient nus; ils couvrirent leurs parties sexuelles avec des feuilles de figuier ». Pour parfaire leur position idéologique, les prêtres de la divinité mâle enseignèrent que le sexe (moyen de procréation) était immoral en dehors du mariage : c’était « le péché originel ».

Depuis ce temps, la femme est cantonnée au rôle de séductrice et condamnée à la douleur : « Je multiplierai tes souffrances dans l’accouchement. Tu enfanteras dans la douleur ». On voulait envoyer la femme au rôle de seconde, on la fit naitre d’une côte d’Adam. Et pour s’assurer sa soumission : « Tu n’auras de désir que pour ton mari et il te gouvernera ». On assurait ainsi la suprématie mâle et la filiation par le père. Le rôle politique du mythe du paradis est ainsi mis à jour.

Fonction politique des religions, à l’égard des femmes L’église ne tarda pas à atteindre des buts : la société est dominée par les mâles et maintenue en place. Les femmes sont considérées comme des créatures charnelles et sans esprit. L’attitude de mépris à l’égard des femmes continue de servir les religions afin d’enfermer les femmes dans des rôles de subalternes et de coupables. La « morale » leur enlève pratiquement tous leurs droits. Les droits de l’humanité ont été réduits aux droits d’Adam…

Le judaïsme, le christianisme et l’islam sont différents sur certaines questions, mais ils tombent tous d’accord sur un point : le statut des femmes.

L’arrogance des commentaires des hommes de l’église (voir les derniers discours du pape sur la contraception) est une façon de reconnaître leur position de classe (sexe) dominant (e) légitimée par « l’ordre naturel ». L’Église pourrait mourir debout, elle maintiendra jusqu’au bout l’exclusivité masculine qui était sa raison d’être initiale ». (Eva Figes)

 

Consultez le nouvelle archive de la revue La Raison: Bulletin de la Libre Pensée (1979-1984, les 28 numéros) sur le site internet de l’Association humaniste du Québec à l’adresse suivante : https://assohum.org/archives- de-la-revue-la-raison/

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