À quand une année humaniste?

par Déc 15, 2009Articles de fond, humanisme, Québec humaniste0 commentaires

Jocelyn Parent

Jocelyn Parent

Membre de l'association humaniste

Jocelyn est l’auteur également des livres Histoire de la laïcité au Québec; Avancées et reculs » et aussi « Qu’est-ce que la laïcité? Le Québec laÏque a-t-il fait le choix ce la laïcité ouverte?

Ces deux volumes sont disponible dans notre boutique humaniste.

Autres publications: 
-La Loi Constitutionnelle de l’État des Québécois-es -Somme Athéologique (essai) -De la Loi, de la Justice et de la
Peine de Mort (essai) -Écrits Politiques 2007 – 2008 : Essais et Articles dans la politique (recueil d’articles)

Nous sommes heureux de publier ce texte de Jocelyn Parent, auteur et membre de l’AHQ. Jocelyn vient de publier un essai, somme athéologique (disponible à la bibliothèque de la BHQ).  

L’année 2009 a été désolante tout autant qu’elle a été intéressante pour les humanistes que nous sommes. Il y a encore des gestes qui méritent notre vigilance intellectuelle et notre critique. Mentionnons-en quelques-uns :

L’année s’est amorcée avec une « divine » intervention du pape Benoît XVI, celui-là même qui nous a rappelé que l’usage du condom était un péché et qu’il ne faisait qu’aggraver la transmission du sida. Quand la science nous fournit des connaissances et de meilleures pratiques de santé publique, pourquoi diantre les bannir! Toujours en lien avec les droits humains, ce très-saint-homme du Vatican s’est aussi prononcé contre l’avortement. Cette fois, il s’agissait d’une jeune brésilienne qui avait été violée et qui était enceinte. Ces deux cas nous témoignent de la mentalité réactionnaire et misogyne qui provient de ce ciel inexistant et qui pourtant mine le genre humain.

Les propos de Benoît XVI ont une prétention politique puisqu’ils définissent une façon de vivre et une aspiration à réaliser dans ce monde-ci, oserais-je dire contre le genre humain. Par définition, une église c’est une institution conservatrice puisqu’elle fige dans le temps des valeurs, le problème c’est qu’elle les qualifie d’éternelles et de transcendantes. C’est une resacralisation que Benoît XVI a fait réaffirmant cette année de telles « valeurs ». Ce qu’il faut vivement dénoncer! Mais il faut aussi aller plus loin que cela.

Plus près de nous, cet automne, la ministre québécoise de l’immigration, Yolande James, a effectué les consultations de son projet de loi 16, portant sur les accommodements raisonnables. Divers groupes sociaux et des personnes sont intervenus pour dénoncer cette tentative de placer la religion avant l’égalité des sexes. Il semble qu’il y ait gain de cause pour la population québécoise, vue l’impopularité du projet de loi. Cependant, gardons un œil attentif car les libéraux de Jean Charest son majoritaire et pourraient l’adopter à leur convenance.

Ce projet était néfaste pour le Québec car il s’agissait d’une manière détournée de faire adhérer les Québécois au multiculturalisme de la charte canadienne, soit ce genre de pseudo « laïcité ouverte » qui s’entend bien à ce que les religions prennent de la place au sein de l’État et de ses institutions. Bien que la Charte soit une avancée importante pour la dignité humaine et le respect à lui accorder, elle souffre aussi de certaines lacunes. Cependant, mentionnons, à titre de mention honorable, le nouveau guide canadien pour les immigrants qui dit, peut-être de façon un peu trop crue, qu’il y a en effet des manières d’agir qui sont inacceptables ET criminelles.

Récemment, suite à un colloque entre péquistes, Pauline Marois a présenté à l’Assemblée nationale son projet de loi 391, visant à « affirmer les valeurs fondamentales de la nation québécoise », savoir l’égalité des sexes, la primauté du français et la séparation entre l’État et la religion. C’est un bon pas dans la bonne direction, mais ce n’est toujours pas une charte sur la laïcité au Québec. « La loi de séparation, nous disait Jean Jaurès, faisant référence à la loi française de 1905, c’est la marche délibérée de l’esprit vers la pleine lumière, la pleine science et l’entière raison. »

Cette phrase m’interpelle car elle me rappelle que nos institutions, québécoises et canadiennes, n’ont pas encore affirmé explicitement la laïcité comme l’un de leur fondement. Une charte sur la laïcité, c’est bien plus que des mots rajoutés dans une autre charte ; c’est une charte en soi. Une telle charte viendrait clairement et spécifiquement baliser la place du phénomène religieux dans la société, à la fois au niveau des institutions étatiques, de la place que les entreprises et patrons peuvent accorder aux croyances religieuses –jamais démontrées, soit dit en passant−, mais aussi au niveau du patrimoine à préserver ou non. Dans une charte sur la laïcité, il serait fait mention si les lieux de culte, bien que patrimoniaux, doivent être réparés et entretenus par, en partie, des deniers publics, ce qui revient à dire : tous les citoyens doivent-ils payer pour le culte de quelques-uns, ou cela doit-il ne relever que des croyants concernés.

L’une des simples méthodes pour vraiment séparer l’État des Églises, donc le pouvoir politique du « pouvoir » religieux –autre pouvoir politique−, c’est de confronter les croyants avec l’impossibilité qu’ils ont de prouver l’existence de leur divinité. En fait, c’est même plus simple que cela : pourquoi leur divinité ne viendrait-elle pas, elle-même, réciter la prière, faire la messe ou démarrer la procession urbaine? C’est parce qu’elle n’existe pas. Y a-t-il de la place à céder à des phénomènes religieux issus de gens qui les manifestent comme des phénomènes culturels? Faut-il davantage accepter la religion et ses dogmes arriérés parce qu’ils sont ancrés dans le temps, donc de façon culturelle? Nullement. Il ne manque que le courage à nos élus.

Mais le problème est plus profond qu’il n’y paraît. Le problème de la religion ne se réglera pas entièrement tant que la société ne participera pas à donner sens aux gens qu’elle met au monde, qu’elle nourrit, qu’elle habile et loge, mais qu’elle n’éduque ni n’instruit à leur propre émancipation, à la fois individuelle mais aussi en tant que membre d’une collectivité. La séparation de l’État de l’Église ne sera jamais complète sans la prise de connaissance et la reconnaissance dans les chartes de droits de cette nécessité humaine au sens dans l’existence, tout au long de la vie, alors que les droits au travail et à la paix ont été reconnus comme participant au bien-être de la société.

Les États et les chartes de droits et libertés – toujours dépourvus de devoirs et responsabilités! − doivent inclure formellement et participer à faire vivre le besoin vital que chacun a à se faire sens. Ils doivent tout autant préparer à réaliser celui-ci par un partage de cohésion sociale, non pas par la marchandisation du corps humain, des relations et des ressources naturelles. En somme, une partie du problème religieux est liée à la crise des valeurs et l’absence de celles-ci dans l’espace public des sociétés modernes, dites libérales. Le libéralisme qui a su faire naître la première séparation intellectuelle de l’État de l’Église doit chercher à se dépasser lui-même, à dépasser ses propres fondements individualistes. Il faut donc mettre fin à l’atomisation de la société, ce qui empêche les valeurs collectives d’être manifestes. Voilà un projet humaniste pour les temps à venir.

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