La spiritualité athée existe Les humanistes ne fêtent pas Noël, mais la «Lumière humaniste»*
Jean Delisle
Traducteur
Jean Delisle est un auteur, un professeur de traduction, un traducteur agréé, un terminologue agréé, un traductologue et un historien de la traduction canadien. Il a rédigé de nombreux ouvrages spécialisés concernant la traduction, notamment quant à l’histoire de la traduction et de la terminologie au Canada. Il est professeur émérite de l’Université d’Ottawa et également membre de l’Association humaniste du Québec.
NDLR Le 23 décembre dernier avait lieu la première « fête de la lumière humaniste » de l’Association humaniste du Québec. Une trentaine d’humanistes, membres de l’Association, ainsi que quelques nouveaux visages, se sont réunis afin de célébrer dans la bonne humeur autour d’un « arbre de la connaissance » (voir le site internet de l’AHQ pour une explication de la fête humaniste de la lumière ainsi que de l’arbre de la connaissance).
Il est de tradition que les prêtres et les évêques catholiques livrent leur point de vue sur Noël et la crèche dans leurs messages annuels publiés dans les journaux. J’aimerais faire entendre ici un autre son de cloche sur cette fête, celui des humanistes.
Un humaniste croit volontiers au message d’amour et de paix d’un homme appelé Jésus, mais pas à sa nature divine ni aux circonstances entourant sa conception et sa naissance. Difficile, en effet, de croire à l’Annonciation (premier cas de « procréation assistée »?), de croire que l’enfant né d’une vierge est le fils d’un être invisible appelé Dieu, que cet homme-dieu meurt, ressuscite et remonte au Ciel.
Plusieurs peuples avant notre ère ont inventé des mythologies semblables pour juguler leur peur de la mort et prolonger la vie dans un au-delà imaginaire et paradisiaque. Cela dit, l’humaniste respecte ceux qui éprouvent le besoin d’adhérer à cette vision des choses.
La foi en l’homme Au Québec, comme partout en Occident, Noël a perdu son caractère religieux, sauf pour un faible pourcentage de la population. Mais Noël est demeuré pour tous un temps de festivités et de réjouissances passé en compagnie de ses proches et de ses amis, un temps d’échanges où l’on s’oublie un peu pour penser aux autres, une période propice à l’entraide et aux gestes de générosité. Bien qu’il ait rejeté toute croyance fondée sur des dogmes ou la révélation divine, l’humaniste n’en proclame pas moins la grande dignité de l’homme et reconnaît sa responsabilité sociale.
Depuis une dizaine d’années, les humanistes nord-américains célèbrent la « Lumière humaniste » le 23 décembre par des agapes fraternelles et diverses activités. La lumière perce les ténèbres de l’obscurantisme. L’arbre de Lumière humaniste est celui de la connaissance, de la recherche sincère de la vérité sur l’homme et son évolution. Sous cet arbre, pas de crèche. La Lumière humaniste qui illumine cet arbre est celle des grands penseurs et philosophes ayant fait progresser l’humanité en luttant pour la liberté d’expression et les droits démocratiques, souvent malgré l’opposition des religions.
Les célébrations humanistes s’éloignent des rituels rigides et laissent libre cours à la créativité de chacun. Occasion d’une réflexion sur la solidarité humaine, elles sont l’expression d’une vision optimiste du monde éclairé par la science et la raison, d’un monde tolérant qui se construit sans le recours à des entités surnaturelles et dans le respect des plus hautes valeurs morales. Comme le croyant, l’humaniste cultive lui aussi l’espoir de voir advenir un monde meilleur, mais ici-bas, sans promesse de récompense après la mort. L’humaniste se reconnaît produit de l’évolution, non la création d’un Dieu.
La fête de la lumière est essentiellement profane, mot dont l’étymologie signifie « devant le temple »; elle se tient donc hors des lieux de culte traditionnels.
Fondement de la morale Il est faux de prétendre, comme le pape Benoît XVI dans son dernier ouvrage Lumière du monde, que Dieu et la « vérité révélée » sont les seuls fondements de la morale. Cette conception prétentieusement restrictive de la morale heurte les humanistes incroyants. Tous les chemins ne mènent pas à Rome. L’humaniste n’est ni amoral, ni immoral. La valorisation de l’être humain et l’amélioration de la condition humaine peuvent emprunter d’autres voies. D’autres Lumières éclairent le monde. L’histoire le prouve amplement.
Le philosophe André Comte-Sponville est un de ceux qui en ont la conviction: « Sincèrement, est-ce que vous avez besoin de croire en Dieu pour penser que la sincérité vaut mieux que le mensonge, que le courage vaut mieux que la lâcheté, que la générosité vaut mieux que l’égoïsme, que la douceur et la compassion valent mieux que la violence ou la cruauté, que la justice vaut mieux que l’injustice, que l’amour vaut mieux que la haine? Bien sûr que non! […] Ceux qui n’ont pas la foi, pourquoi seraient-ils incapables de percevoir la grandeur humaine de ces valeurs, leur importance, leur nécessité, leur fragilité, leur urgence, et de les respecter à ce titre? » Oui, une spiritualité athée existe bel et bien.
L’archevêque de Gatineau, Roger Ébacher, a écrit dans son message de Noël: «[Je] trouve dans la crèche de Noël un Dieu qui se fait proche de moi.» Qu’il me soit permis de lui rappeler que ceux qui ne croient pas à la belle histoire du boeuf et de l’âne ne sont pas moins proches des humains, à défaut d’être proches de Dieu. Tout autant que les croyants, les humanistes se préoccupent des démunis; ils ne sont pas moins généreux, ni moins honnêtes, ni moins soucieux de spiritualité. Se pourrait-il que les catholiques n’aient pas le monopole de la vertu? Leur crèche ne les invite-t-elle pas à l’humilité?
* texte publié le 29 Décembre 2010 par le journal Le Devoir
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