CLAUDE BRAUN

CLAUDE BRAUN

Administrateur et éditeur en chef du "Québec humaniste"

Claude Braun a été professeur de neurosciences cognitives à l'UQAM de nombreuses années. Retraité depuis peu, Il a publié nombres de documents de recherches sur le sujet. Il a été également éditeur du "Québec laïque"  et est depuis quelques années l'éditeur en chef  de notre revue "Québec humaniste" Il a également publié "Québec Athée" en 2010. Téléchargeable gratuitement en utilisant ce lien avec  les compliments de l'auteur.

Teneur révolutionnaire de la nouvelle science de la microbiotique.

Une nouvelle science révolutionne présentement la conception que l’humain peut avoir de lui-même : la microbiotique. Grâce à de nouvelles technologies ultra performantes de séquençage d’ADN, nous nous approchons de pouvoir identifier, différencier, recenser et comprendre les organismes vivants qui peuplent le corps humain. Il en ressort que neuf dixièmes (90%) des cellules de notre corps sont des organismes non humains [1]. Qu’est-ce donc alors qu’un humain ? C’est à 90% des bibittes (en faisant le décompte par tête de pipe cellulaire). Cela interpelle l’humanisme qui chante l’amour des humains… Bibittophilie ? Méchante révolution copernicienne, détrônant encore une fois l’humain !

Voyons cela de plus près. L’état de santé de tout être humain consiste, entre autres, à être l’hôte de plusieurs kilogrammes de bibittes bénéfiques. Bien qu’il ait été exquisément conscient des synergies adaptatives entre espèces vivantes, Darwin a beaucoup plus insisté sur la compétition entre organismes à l’intérieur des espèces, et aussi entre populations d’espèces différentes. Il ne connaissait rien de la biologie moléculaire, science encore embryonnaire à son époque. Nous sommes lents à comprendre que l’évolution des espèces s’est faite en très grande partie via des synergies écologiques. L’évolution fut tout aussi coopérative que compétitive. Nos bibittes bénéfiques (virus, bactéries, champignons et autres) sont essentielles pour notre digestion, on le sait depuis nombre d’années. Mais on découvre depuis peu qu’elles sont beaucoup plus importantes que cela. Elles participent à l’harmonie de notre système immunitaire, ainsi qu’à notre métabolisme tant sur le versant anabolique que catabolique. D’ailleurs notre abus des antibiotiques médicaux, notre manie de l’asepsie nous privent de l’effet bénéfique de certaines bibittes, augmentant la prévalence des allergies, cancers, maladies auto-immunes. Même notre pratique de l’accouchement par césarienne, a-t-on découvert récemment, priverait le fœtus naissant de partenaires biotiques se trouvant dans le canal reproductif maternel. L’accouchement par césarienne mettrait le nouveau-né à risque pour une santé plus fragile [1].

Mais le rôle de nos bonnes bibittes est encore plus philosophique que cela. Notre acharnement mal avisé mais néanmoins répandu contre nos micro-organismes bénéfiques serait lié au risque du trouble de déficit d’attention avec hyperactivité et même de l’autisme [1].

Maintenant, l’agenda de certaines équipes de recherche scientifique est de tester l’hypothèse, à laquelle on adhère avec enthousiasme, selon laquelle les micro-organismes de nos corps joueraient des rôles de canalisation du développement, incluant celui du cerveau. Certains spécialistes pensent que la meilleure façon de concevoir l’écologie biotique de l’humain est de recourir à l’image d’un organe… aussi important que le système immunitaire par exemple. Voilà une révolution conceptuelle en biologie !

« Lorsque la punaise plataspid (stinkbug) dévore les cultures de soja, dévastant souvent des champs entiers, elle fonctionne à l’aide d’un complice caché. Les chercheurs ont constaté qu’un microbe vivant dans l’intestin de l’insecte régit sa reproduction, ce qui lui permet de se régaler de soja par millions. Retirez le microbe, et la population de la punaise chute, la rendant inoffensive. Ces mêmes bactéries injectées dans une espèce de punaise connexe, mais bénigne, la transforme en dévoreuse de soja tout aussi ravageuse. Les résultats apportent un éclairage nouveau sur l’évolution des insectes » [2].

Finalement, d’autres experts constatent que le profil microbiotique varie de manière importante d’un peuple à l’autre. À quel point le profil « racial » de nos bibittes détermine des différences entre cultures et entre peuples devient dès lors un objet délicat mais néanmoins fascinant d’investigation [1].

Réflexion sur l’humanisme dans le contexte des rapports synergiques entre espèces.

Limitons pour fins rhétoriques, provisoirement, l’humanisme à l’amour des humains.

Les premiers sapiens sapiens étaient des humanistes : le très admirable et aimable humain a été, pendant un bon million d’années seul à trôner parmi les espèces avec la faculté de conscience. Puis vinrent les villes et les langues écrites qui synthétisèrent une pensée suffisamment abstraite pour inventer une nouvelle forme d’humanisme : l’humain fut, pendant environ 40,000 ans désormais non seulement la seule espèce intelligente, mais était aimablement et admirablement empreinte de la grâce du Dieu créateur. À partir de la Renaissance un nouvel humanisme est devenu dominant à l’échelle planétaire : l’humain s’est appuyé sur Dieu pour mieux s’en séparer se muant en demi-dieu capable de fêter sa propre diversité, admirer les chemins tortueux de son histoire. Toujours aimable et admirable. À peine trois cents ans plus tard, à partir du siècle des Lumières, l’humain devenait le seul architecte du monde, équipé des sciences et technologies. Admirable et toujours aimable. La notion de progrès se généralisait.

L’échec colonial, l’apothéose apocalyptique de la deuxième guerre mondiale avec ses camps de concentration et ses goulags, le déploiement des armements nucléaires capables d’anéantir la planète, l’effondrement du projet communiste, la progression des disparités économiques, ont eux aussi imposé un nouvel humanisme, moins auto-admirateur toutefois. L’humanité a réalisé qu’elle ne trouvera jamais son salut dans un totalitarisme politico-socio-économique, surtout pas imposé manu militari. L’humanisme est devenu plus mitigé, et beaucoup d’intellectuels ont adopté un humanisme presque nihiliste. Nancy Huston a pensé que ces « professeurs de désespoir » furent saisis d’une syncope dépressive dont le rouage principal fut de ne pas avoir voulu ni avoir eu d’enfants [3]. Ne s’est-il pas plutôt agi d’une recherche de sagesse ressemblant au serment hippocratique : ne pas faire de mal ? Plus personne ne croit que l’humain puisse créer un monde salutaire à la manière d’un projet scientifico-technologique. Notre confort sera organique, ou il ne sera pas. Mais foisonnant ? Surement pas. Le cycle conceptuel de l’humanisme, comme de l’ensemble de nos représentations du monde, semble s’accélérer exponentiellement et ne manque pas de nous étourdir. La notion de progrès est déboulonnée, et domine désormais celui de recul. Même l’espérance de vie, ce barème indiscutable de la qualité de la condition humaine, est estimée avoir atteint son apogée à l’échelle planétaire. Devant nous, la régression.

Maintenant le sept milliardièmes humaines est né. Catastrophe! Aucun média, aucun intellectuel ne s’en est réjoui. Au contraire, tous retiennent leur souffle et restent hébétés. Une révolution éco-humaniste est indubitablement en Inception mais a du mal à décoller. Les humains commencent pourtant à réaliser que nous ne sommes qu’une bibitte occupant une niche fragile en codépendance absolue et délicate avec beaucoup beaucoup d’autres bibittes.

Par exemple, avec l’agro-business (ex : certaines OGM, mais pas toutes), ou tout simplement avec la frénésie agriculturelle nécessaire pour alimenter le pullulement humain, les cultivateurs laissent de moins en moins de diversité florale aux abords des champs pour soutenir les abeilles. Sauf que sans les abeilles il est difficile pour les cultures de se polliniser adéquatement. En essayant de trop soutirer de la nature, on tue la poule aux œufs d’or. Il semble n’exister aucun pilier de la matrice écologique que l’humain ne soit en train de détruire. Eau, terre, atmosphère, faune, flore : absolument tout y passe. Suicide collectif en vue.

L’humain ne pourra jamais échapper à la condition la plus fondamentale de son existence : trouver à manger quelque chose qui ait été vivant. Aucun ingénieur, tant financé par Goldman-Sachs qu’il soit, ne pourra fabriquer un humain qui échappe à cette règle. Or, la mangeoire, qui n’est rien d’autre que l’écologie planétaire, se décompose à vue d’œil. Qui aime l’humain ne s’extasie plus de son espèce, il s’en inquiète. L’élan humaniste n’est plus tellement de rendre l’humanité plus ADMIRABLE ou TRIOMPHANTE, mais plutôt de lui assurer une PÉRENNITÉ. L’agenda humaniste aujourd’hui est essentiellement écologique.

 

  1. Benign invaders of inner space, Rob Stein, The Guardian Weekly, 28-10-11, p. 32.
  2. Invaders From Inner Space, Phil Berardelli, Science, Juin, 2007.
  3. Professeurs de désespoir, Nancy Huston, Actes Sud, 2004.

In memoriam
Christopher Hitchens
1949-2011

On a dénommé Christopher Hitchens l’un des quatre chevaliers de l’apocalypse du nouvel athéisme. Bref, avec Richard Dawkins, Dan Dennett et Sam Harris, il fut un des intellectuels les plus influents d’une génération qui arrive à son terme. Il laisse en legs son livre, lu par des millions de personnes: God is not great. Il va nous manquer.

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