Droit de mourir dans la dignité
Hélène Bolduc
Présidente, Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité (AQDMD)
NOTE AU LECTEUR : DANS LE TEXTE QUI SUIT, LES MOTS «AIDE MÉDICALE À MOURIR » ENGLOBENT LES TERMES SUIVANTS : EUTHANASIE, SUICIDE-ASSISTÉ, MORT VOLONTAIRE, AUTO DÉLIVRANCE, INTERRUPTION VOLONTAIRE DE LA VIE OU TOUTE AUTRE EXPRESSION SIMILAIRE.
« L’euthanasie n’est pas un choix entre la vie et la mort, mais entre deux façons de mourir »
Jacques Pohier, philosophe et théologien Ex-président de l’ADMD France
Depuis sa fondation en 2007, l’Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité (AQDMD) milite pour le droit de chaque personne d’avoir une fin de vie conforme aux valeurs de dignité et de liberté qui l’ont toujours animée. De son côté, au sein des principes et des valeurs qui l’animent, l’humanisme insiste pour que la liberté personnelle soit associée à la responsabilité sociale. C’est donc dans le mot « liberté » que l’AQDMD et l’Association humaniste du Québec se rencontrent et c’est dans le concept de responsabilité sociale que les deux organismes encouragent l’action individuelle pour atteindre une telle liberté.
Le combat pour la mort volontaire interpelle donc tous les humanistes. Ce combat se livre à la fois sur le plan politique pour que les lois évoluent parallèlement aux mentalités et sur le plan personnel afin que chacun exprime sa volonté et fasse en sorte qu’elle soit suivie.
Légiférer sur l’aide médicale à mourir est une question qui revient dans l’actualité des sociétés développées depuis les années 80. Aux Pays-Bas, en Belgique, au Luxembourg et en Suisse et dans quatre États américains, il est désormais possible de faire le choix de l’aide médicale pour mourir dans la dignité.
Au Canada, la cause de Sue Rodriguez en 1992 a servi d’introduction. Le débat s’est ensuite poursuivi avec la Commission sénatoriale de 1994-1995, pour reprendre un peu plus tard grâce au dépôt du projet de loi privé C407 présenté par Madame Francine Lalonde au Parlement fédéral le 31 octobre 2005.
Le Québec a emboîté le pas puisqu’en décembre 2008, l’Assemblée nationale du Québec créait une Commission parlementaire.
Enfin, à l’heure où nous écrivons ces lignes, deux causes sur le sujet sont débattues devant les tribunaux : une au Québec et l’autre en Colombie-Britannique. La question de l’aide médicale à mourir se retrouvera donc possiblement en Cour Suprême près de 20 ans après la cause Sue Rodriguez.
Les politiciens et les juges n’ont pas fini de délibérer, mais pendant ce temps nous devons continuer à défendre la liberté de choix de chacun contre des adversaires bien organisés. Parmi ces opposants, nous retrouvons plus particulièrement des ultras religieux comme ceux de l’Église catholique qui ne manquent pas d’outils pour barrer la route aux avancées dans le domaine du droit à l’aide médicale à mourir.
Le contexte juridique au Québec
Au Québec, le Code civil reconnaît le droit de refuser à l’avance certains soins et interventions.
« Le droit d’une personne de demander l’arrêt des traitements en cours, même si ce refus peut entraîner son décès, est maintenant bien établi. Ce droit de refus porte tant sur les traitements extraordinaires comme le support respiratoire, que sur des soins de base, telles l’alimentation et l’hydratation et ce, même si les conséquences prévisibles peuvent aller jusqu’à la mort, pourvu que le patient soit apte au moment de sa décision. Cette décision doit être respectée même après qu’il soit devenu inapte et que sa vie est en danger. Qu’en est-il de la décision d’une personne de refuser à l’avance, avant même d’être dans la situation de fin de vie éventuelle, un traitement particulier ou tout traitement pour la maintenir en vie?
En droit québécois, cette pratique est non seulement admise légalement, mais elle est largement répandue, comme nous le verrons. Les assises légales permettant de refuser à l’avance un traitement sont les mêmes que celles permettant de consentir à l’arrêt d’un traitement déjà entrepris. » Extrait (Le barreau du Québec, Pour des soins de fin de vie respectueux des personnes septembre 2010, page 109)
Parce que l’aide médicale à mourir est encore un crime, peu de choix légaux s’offrent à ceux qui ne veulent plus vivre des souffrances insupportables. Ils peuvent se suicider dans la solitude, mais cette option peut générer des conséquences tragiques pour les familles. Il reste alors l’arrêt de traitement. Si vous vivez grâce à la dialyse ou un médicament quelconque par exemple, vous pouvez choisir de cesser ce qui prolonge votre vie. Par contre, si tel n’est pas votre cas, alors l’arrêt de boire et de manger reste la seule issue. Dans de telles circonstances, il est du devoir éthique du médecin de soulager les souffrances physiques et psychiques du patient. Malgré ce droit au soulagement, nous sommes bien conscients qu’une telle solution n’est certes pas la plus humainement acceptable. Pourtant, dans tous les centres de soins prolongés du Québec, combien de personnes se laissent mourir sans pouvoir recevoir la petite piqûre demandée qui les aurait fait partir en douceur.
Le contexte juridique au Canada.
Dans son récent rapport, le groupe d’experts de la Société royale du Canada a été unanime à reconnaître le droit à l’autonomie décisionnelle de la personne majeure et compétente. « Il faut aussi mentionner ici que la loi ne fait aucune distinction entre l’abstention et l’interruption d’un traitement pas plus qu’elle ne traite l’hydratation et l’alimentation artificielles différemment de toute autre intervention technologique ou pharmaceutique. Elle ne limite pas les refus aux situations liées à une mort imminente. » (P. 35)
« … la loi est relativement claire et très peu controversée en ce qui concerne l’abstention ou l’interruption d’un traitement susceptible de maintenir le patient en vie demandée par un adulte compétent ou, en l’absence de directives préalables valides, par un fondé de pouvoir légalement autorisé au nom d’une personne incompétente.» (P36)
Le contexte de l’éthique médicale au Québec
L’éthique médicale au Québec place le médecin dans une situation conflictuelle qui lui demande de choisir entre l’obéissance aux lois et son rôle par rapport aux patients. D’une part, la loi lui interdit de répondre à la demande de certains malades qui expriment leur souhait d’abréger leurs jours, au risque d’être condamné à quatorze ans d’emprisonnement pour avoir enfreint le Code criminel. En même temps, dans son document de réflexion Le médecin, les soins appropriés et le débat sur l’euthanasie (16 octobre 2008), le Collège des médecins du Québec reconnaît l’autonomie décisionnelle des patients et souhaite un débat de société pour en clarifier les enjeux.
Le Collège des Médecins et les Fédérations des médecins spécialistes et omnipraticiens du Québec poussent encore plus loin cette autonomie décisionnelle en jugeant que l’euthanasie pourrait devenir «un soin approprié en fin de vie». Cette position fait ressortir clairement l’impasse des lois actuelles pour les malades et les médecins.
Avant de considérer la position du Collège des médecins du Québec, le gouvernement du Québec a évalué qu’un débat de société devenait nécessaire. En décembre 2008, à l’unanimité, le Parlement du Québec décide de mettre sur pied une consultation populaire en créant la Commission sur la question de mourir dans la dignité. Des associations et des experts issus de différents milieux furent consultés et l’opinion de la population sondée. Entre autres questions, celle concernant la possibilité de permettre l’aide médicale à mourir en certaines circonstances fut abordée.
Les membres de la Commission ont terminé les auditions à la fin mars 2011 et nous attendons leur rapport.
Le contexte social
Le 15 novembre 2011, un groupe de six experts de la Société royale du Canada a rendu public un rapport intitulé : Prise de décisions en fin de vie. Dans cet imposant document, les experts décrivent entre autres le contexte social dans lequel s’inscrit le débat sur la fin de vie et explique comment la société souhaite faire face à cette réalité qui nous concerne tous. Une des conclusions de ce rapport mentionne que «la société canadienne vit dans le déni de la mort. Seulement 9 % des personnes acceptent en effet de parler avec leur médecin des conditions dans lesquelles ils veulent mourir et prennent des dispositions à cet effet.»
À la page 22 de ce rapport, on peut aussi y lire ce qui suit :
En 2010, dans son cadre proposé pour la planification préalable des soins, l’Association canadienne des soins palliatifs a indiqué que le public canadien appuyait la planification préalable des soins, mais qu’un nombre relativement peu élevé de Canadiens faisaient cette planification.
On peut bien rêver d’un contexte où par magie quelqu’un viendra nous délivrer lorsque la vie sera rendue insupportable, mais la réalité est toute autre. En tant qu’individus responsables, il faut prévoir et décider à l’avance et par soi-même.
L’AQDMD croit que la priorité pour chacun de nous est de rédiger ses Directives de fin de vie et de se nommer un mandataire par le biais d’un Mandat en cas d’inaptitude pour les soins de la personne. Une fois ces deux documents complétés et signés, il s’agit de communiquer clairement ses volontés à ses proches et à son médecin.
Pourquoi tant insister sur la rédaction de directives de fin de vie et la nomination d’un mandataire ? Parce qu’au Québec, même si l’aide à mourir est illégale, nous avons quand même le droit de refuser que notre vie soit prolongée inutilement, tout en étant soulagés de nos douleurs et nos souffrances. C’est un droit acquis et il nous appartient de le faire valoir.
Si nous examinons de plus près le contexte actuel, deux situations particulières nous obligent moralement à exprimer à l’avance nos volontés de façon précise : le vieillissement de la population et le nombre effarant de personnes qui, selon la Société d’Alzheimer du Canada, seront atteintes de la maladie d’Alzheimer d’ici vingt-cinq ans. Soulignons ici qu’il n’y a pas que la vieillesse et la démence comme raison valable pour rédiger nos directives médicales anticipées, car la maladie ou un accident arrivent à tout âge, mais ce qu’il y a de particulier avec une maladie comme la démence d’Alzheimer, c’est qu’en peu de temps, le patient devient totalement incapable d’exprimer sa volonté, laissant ainsi les autres décider pour lui. À ce sujet, les docteurs Judes Poirier et Serge Gauthier nous donnent un excellent exemple dans cet extrait de leur livre, La maladie d’Alzheimer, pages. 171-172.
« Doit -on traiter la prochaine pneumonie ?
Une pneumonie est la cause la plus fréquente du décès. Il est souvent possible de la voir venir lorsque les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer s’étouffent en buvant puis en mangeant. Il est alors d’usage d’interroger le mandataire (ou le curateur) quant au degré de soins appropriés à donner :
- Transférer la personne dans un hôpital et la ressusciter,
- La garder sur la place en la traitant avec des antibiotiques par voie orale,
- La garder sur place en prodiguant des soins de confort tel que l’oxygène et la morphine par timbre cutané.
Prendre une décision ne pose habituellement pas trop de problèmes si l’on tient compte de la qualité de vie de la personne. En revanche, elle sera grandement facilitée si la personne atteinte a pris soin d’exprimer clairement, dans son mandat, ses volontés précises concernant la ressuscitation, les soins de confort et autres traitements possibles. »
Sur le plan collectif, écrire ses directives démontre que l’on se soucie des autres. En effet, le fait d’avoir exprimé clairement ses volontés facilitera la prise de décisions pour la famille et toute l’équipe médicale.
N’attendons pas que les autres soient obligés de décider pour nous. Soyons des citoyens responsables et prévoyants en assumant nos choix par écrit, à l’avance.
Quant au format de nos directives écrites, plusieurs modèles s’offrent à nous. Toutefois, il faut savoir choisir. Les équipes de soignants constatent que la plupart du temps, les directives de fin de vie ne sont pas suffisamment explicites. Quels soins le patient souhaite-t-il ? Des soins curatifs, de confort, ou palliatifs ?
Malheureusement dans la réalité, tout n’est pas aussi tranché. Par exemple, l’expression « Ne pas faire d’acharnement thérapeutique » est sujette à la subjectivité des soignants. Ou encore, continuer l’alimentation d’une personne qui peine à ouvrir la bouche et s’étouffe régulièrement, donner des suppléments de protéines, faire boire une personne qui dort paisiblement ou l’hydrater par voie intraveineuse, tout cela consiste pour certains en des soins normaux. Mais pour d’autres, il s’agit clairement d’une vie que l’on prolonge cruellement.
C’est pourquoi le choix d’un mandataire qui défendra nos intérêts lorsque nous ne serons plus en mesure de le faire s’avère primordial. Il s’agit là d’une lourde responsabilité pour le mandataire qui doit « agir dans le meilleur intérêt de la personne » et si les directives ne sont pas suffisamment précises, cette tâche sera d’autant plus difficile.
L’AQDMD a préparé deux documents pour répondre à vos besoins: un document bref de directives, qui s’insère facilement dans un dossier médical et un complément d’information très étoffé pour aider le mandataire dans la prise de décisions.
J’invite tous les intéressés à visiter le site internet de l’Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité www.aqdmd.qc.ca. Vous y trouverez beaucoup d’information ainsi que des formulaires de directives de fin de vie.
Bien entendu, la qualité de vie est une notion éminemment personnelle. Le droit aux soins de santé ne crée pas l’obligation de vivre à tout prix. Nous souhaitons évidemment que la loi change et que l’aide médicale à mourir soit décriminalisée, mais quelle que soit l’issue du débat, il reste primordial pour chacun d’exprimer ses choix personnels si nous voulons que le mot «liberté» prenne tout son sens.
Sarto Blouin, photographié lors de sa conférence au Centre Humaniste le 19 décembre 2011. Sa conférence a porté sur l’encadrement légal actuel et futur souhaitable du droit de mourir dignement.
Sarto est président de la Fondation humaniste du Québec. Il est notaire et docteur en droit. Il a collaboré à la rédaction d’un mémoire de la Chambre des notaires du Québec pour la Commission Spéciale sur le Droit de Mourir dans la Dignité du Gouvernement du Québec (voir l’article suivant pour plus de détails).
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