Michel Virard
Président de l'AHQ
Michel Virard est un des fondateurs de l’AHQ en 2005 avec Bernard Cloutier et Normand Baillargeon. Ingénieur et entrepreneur, il a également été administrateur des Sceptiques du Québec. il est depuis les tout débuts l’une des âmes dirigeantes de l’AHQ.
(L’article suivant représente uniquement l’opinion de Michel Virard)
En référence à l’article du Devoir :
http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/281707/la-laicite-est-dans-l-impasse
J’ai eu aussi accès aux notes abondantes de Jocelyn Parent, qui était à la conférence «Le Québec en quête de laïcité» (22 janvier 2010), et l’article du Devoir semble bien correspondre au débat: il y a effectivement une division de la gauche sur la nature de la laïcité souhaitable pour le Québec. Je retiens en outre que :
– L’option « laïcité ouverte » est contaminée par le désir trop apparent de plusieurs acteurs pro-religions (ex: Taylor) de limiter les dommages potentiels au christianisme-historique-du-Québec et conserver ainsi le haut du pavé, et les privilèges qui vont avec, pour « la seule vraie » religion.
– L’option « laïcité tout court » telle que celle du CCIEL est elle aussi contaminée par des éléments, j’en ai rencontrés, qui ont du mal à éviter les généralisations abusives (du genre: je me suis fait insultée par des musulmans donc tous les musulmans sont des o… de misogynes) et pour qui la laïcité mur à mur est le seul moyen restant pour faire barrage à ce qu’ils perçoivent comme une attaque directe sur la façon de vivre des Québécois.
Le constat de Françoise David est intéressant moins pour la réponse qu’elle propose, que pour la question qu’elle pose implicitement, à savoir que des deux maux il va falloir choisir le moindre, entre l’exclusion des femmes musulmanes intransigeantes de la fonction publique et l’atteinte à la neutralité de l’état. Au moins, Françoise David a le mérite de poser la question en termes d’éthique humaniste, à savoir l’évaluation des conséquences sur le plus grand nombre de personnes touchées par la décision et sur la plus grande étendue dans le temps, ce qui inclue évidemment les générations à venir.
Elle semble croire que le dommage causé par l’exclusion sera plus important que les dommages à venir issus de la non-neutralité apparente de l’état. Ce n’est pas impossible, mais j’en doute. Je pense que Françoise David est ici victime d’un syndrome connu: lorsque les victimes sont peu nombreuses mais identifiables, comme les femmes musulmanes, elles emportent facilement la sympathie vis-à-vis de victimes potentielles beaucoup plus nombreuses mais non clairement identifiables et dont le préjudice subit est diffus et, en toute honnêteté, la plupart du temps moindre, au niveau individuel, que celui subit par les premières.
Il m’apparait impossible de faire progresser le débat sans devoir d’abord tenter d’évaluer brièvement ce qu’on peut redouter lorsque l’intégrité de l’état est entamée. Sans une vision claire des enjeux nous serons toujours tentés de donner raison à la victime qui crie le plus fort ou qui est la plus proche de nous, physiquement ou culturellement.
Je postule ici qu’un état démocratique fonctionnel est, en soi, un bien qui mérite d’être défendu. Cette opinion fait consensus dans tous les pays occidentaux actuellement. Je postule également qu’un état démocratique fonctionnel est relativement fragile, c’est-à-dire qu’il peut être perverti pour le bénéfice d’un groupe voir même aboli sur une période de temps relativement courte (les exemples ne manquent pas). Les façons dont un état démocratique peut perdre son intégrité sont diverses mais j’en vois deux principales. La première est le classique coup d’état à l’aide d’une force militaire ou paramilitaire, s’appuyant sur la peur ou l’indifférence des populations. La seconde, qui nous intéresse plus, est le noyautage de l’intérieur. A l’intérieur même de l’état, des coteries s’emploient discrètement à divertir les ressources de l’état au profit d’un groupe privilégié dans l’état (exemple: l’armée en Indonésie) ou hors de l’état (le complexe militaro-industriel des États-Unis). La tentation existe dans tous les états et le nier c’est se fermer les yeux. Les états sains ont développé un système immunitaire et s’opposent à ces tendances en édictant des règles de séparation des pouvoirs, de contrôles des comptes par vérificateurs, etc. mais surtout par la vigilance des citoyens, présumés informés par une presse indépendante. S’il fonctionne tel que prévu, l’état jouit du prestige considérable attribué à l’organisation intègre la plus puissante du territoire et l’état est alors respecté, c’est à dire que ses décisions, même controversées, sont acceptées par les citoyens comme à la fois légales (c’est la loi) et légitimes (elles respectent l’esprit du droit, de l’équité, de la morale humaine).
Toutefois pour que l’état jouisse de ce prestige, l’état se doit sinon, d’être totalement impartial, du moins d’avoir l’apparence de l’impartialité et surtout de montrer que l’impartialité est un paramètre critique de son fonctionnement. C’est pour cela que les employés de l’état ont un devoir de réserve plus contraignant que celui imposé par toute autre organisation. Ils participent très directement de la majesté de l’état et, à ce titre, ne peuvent refléter autre chose, dans leurs propos publics, leur attitude et leur présentation, que la position officielle définie par le gouvernement en exercice et les lois en usage. Une des méthodes éprouvées pour assurer, en partie, cette conformité est d’ailleurs l’usage systématique d’uniformes à usage restreints (militaires, corps de police, juges) pour tout représentant de l’état ayant un pouvoir direct de coercition.
Cependant les employés de l’état en position d’autorité ne sont pas tous astreints à un uniforme mais cela ne leur permet pas pour autant de s’afficher dans des tenues autres que neutres. Il y a toujours deux contraintes qui demeurent. D’abord l’exigence de décorum reste toujours valide dans tout ce qui a trait à la justice, ce qui exclu les tenues fantaisistes. Ensuite, la neutralité, expression de l’impartialité, est applicable à tout fonctionnaire, lequel, dans l’exercice de ses fonctions n’est pas autorisé à exprimer ses opinions personnelles, ou pire, les faire passer pour des positions de l’état. Le manquement à ce devoir envoie immédiatement un message clair vers les collègues et vers le public servi : dans l’ordre des priorités du fonctionnaire, l’opinion personnelle -religieuse, politique ou autre – a préséance sur le message prévu par la position du fonctionnaire. Autrement dit, le fonctionnaire ne remplit plus complètement la tâche qu’on lui a confiée parce que maintenir l’intégrité du message d’impartialité continue de faire partie de sa fonction.
Un état démocratique qui accepte que son message d’impartialité soit systématiquement obscurci court des risques. Au premier chef, il va courir le risque de dilution d’autorité. Au lieu d’apparaître comme un organisme intègre, soudé par un objectif commun, avec qui on ne badine pas, il va paraitre comme un organisme avec qui on peut composer, voir marchander. Après tout, si le fonctionnaire qui est devant moi a obtenu un passe-droit, pourquoi pas moi ? Ensuite, l’état « cool » va devoir faire face à des demandes similaires qui vont encore éroder son autorité. Et pas seulement de nature religieuse, j’imagine qu’un tenant du marxisme pur et dur pourrait fort bien demander la permission de représenter l’état devant le public portant un béret avec une faucille et un marteau plus un T-shirt de Che Guevara. Pourquoi pas ? De quel droit lui refuserait-on cette « dispense » ? Le dommage à l’état sera cumulatif et finira par faire paraitre l’état comme étant, intrinsèquement, une structure sans plus d’importance, et même moins, que les nombreuses sociétés de service du paysage économique.
Sauf que ce n’est pas vrai. L’état n’est pas juste un fournisseur de services. C’est l’ossature même d’une nation. Si vous voulez des exemples de pays ou l’état n’est pas respecté (parce que non respectable ou bien inexistant) il suffit de prendre la liste des pays classés par ordre d’indice de développement humain et de commencer par la fin. La corrélation absence d’état respectable – sous-développement est certainement l’une des mieux établie. Diminuer la respectabilité de l’état par des mesures bien intentionnées mais incohérentes avec les fonctions premières de l’état, c’est s’engager à faire baisser imperceptiblement le statut de l’état, son autorité et sa capacité à contrer les continuelles tentatives de détournement de ressources dont il fera toujours l’objet. Des « accidents » de démocratie qui étaient auparavant difficiles à imaginer, deviendront alors possibles, avec des conséquences néfastes et peut-être même tragiques. Lorsque l’autorité de l’état diminue, l’autorité des gangs, mafias, tribus, groupes de pression, etc. augmente en proportion directe au point de défier, voir de dominer, l’état comme on le voit dans plus d’un pays y compris certaines zones d’états occidentaux avancés.
Je crois que les conséquences à terme sont trop graves pour laisser l’état démocratique effilocher son autorité.
Reste à déterminer qui, réellement, parmi les fonctionnaires, est couvert par ce devoir de réserve et là, la décision peut être moins facile. Il y a par exemple, la question de savoir si tous les fonctionnaires sont assujettis ou seulement ceux qui font affaire au public. J’ai changé d’opinion la dessus et je pense maintenant que tous les fonctionnaires devraient être assujettis, même ceux qui ne sont pas en position d’autorité ou sans contact normal avec le public. L’état a besoin d’un esprit de corps et il y a déjà bien assez de divisions à l’intérieur de l’état pour permettre à un autre facteur de s’y ajouter. Mais j’admets que cette intégralité du devoir de réserve peut être discutée, du moins la partie habillement. Par contre je ne vois pas comment on pourrait en dispenser des fonctionnaires en situation d’autorité ou faisant affaire avec le public et cela inclus clairement les enseignants.
L’autre volet de la question est, évidemment, d’évaluer le dommage subit par les fonctionnaires touchés par ces restrictions. Nous savons bien que nous parlerons surtout de femmes musulmanes employées comme enseignantes. Entendons-nous d’abord que cela touchera seulement une petite partie des employées musulmanes. Nous savons par des enquêtes indépendantes que les immigrants issus de pays musulmans francophones sont légèrement moins pratiquants que les Québécois de souche. Mon expérience d’employeur de musulmans et de musulmanes, quoique purement anecdotique, confirme ce fait. Il est possible que les musulmanes effectivement pratiquantes soient surreprésentées dans l’enseignement (s’occuper des enfants est une activité acceptable pour la femme d’un couple très pratiquant tandis que d’autres activités le sont moins, surtout s’il y a contact avec des hommes). Malgré cela on ne saura jamais si un voile islamique est porté par conviction ou par soumission. Interdire les signes religieux ostensibles, c’est donc pénaliser celles qui sont pratiquantes par conviction. Mais autoriser ces mêmes signes c’est également pénaliser celles qui les portent par soumission sans qu’on puisse distinguer les unes et les autres.
Alors, du coté pile, on pénalise certainement un certain nombre de femmes qui devront soit accepter cette contrainte sur leur foi ou trouver un autre emploi hors de la fonction publique (cependant, le droit d’être fonctionnaire n’est toujours pas inscrit dans la constitution). Du coté face, la laïcité de l’état est déclarée et rendue visible, l’autorité de l’état face aux groupes avec des agendas particuliers est maintenue et la religion des fonctionnaires retourne à la sphère privée, qui doit demeurer son espace naturel.
Même si la loi sur le port des signes religieux ostensibles par les élèves des écoles publiques a fait apparaître des divergences d’opinion en France, il faut savoir que le devoir de réserve imposé à tous les fonctionnaires, lui, par contre, a toujours fait l’unanimité en France et que ce n’est pas le seul territoire où cela va de soi. Depuis le début des années 2000, il en est de même dans plus de la moitié des länders allemands. Cette restriction à la liberté d’exprimer publiquement sa religion a été confirmée en cour suprême et on retrouve ces limites aussi au niveau d’écoles belges et suisses. L’opposition la plus sérieuse vient probablement de la HRW américaine (Human Rights Watch) qui considère les initiatives européennes en la matière comme des atteintes injustifiées à la liberté de conscience mais considère les atteintes à l’image de l’état comme de bien moindre importance. J’en conclu que la nature de l’état est vue différemment par des yeux américains et des yeux européens. Même avant les années Reagan, l’État avec un E majuscule, même démocratique, a toujours été considéré par une majorité d’Américains comme un mal nécessaire et rarement comme un bien en soi. Je ne suis donc pas surpris de la réaction de la HRW. Toutefois la Cour européenne des droits de l’homme ne semble pas être perturbée outre mesure par l’opinion des Américains.
Je crois qu’il est temps pour le Québec de montrer le courage politique si manifestement absent du gouvernement fédéral et décrète de son propre chef la fin de la récréation : l’état ne peut pas s’offrir le risque de paraître à moitié neutre.
Michel Virard
L’état doit rester neutre, non à moitié mais entièrement. Les signes religieux n’ont pas de place dans la fonction publique. L’Islam qui provoque des affrontements aujourd’hui comporte un agenda politique, clairement énoncé par Ayatollah Khomeiny (l’Islam est politique ou il n’est rien). Un autre personnage musulman, Tayyip Erdogan, abonde dans le même sens: « Les minarets sont nos baïonettes, les coupoles sont nos casques, les mosqués sont nos casernes et les croyants, notre armée. » Il s’agit là d’une rhétorique extrêmement mobilisatrice. Il y a, à mes yeux, une différence entre la liberté religieuse et un manifesto politico-religieux. J’espère que le Québec aura le courage politique de s’opposer à ce dernier.
Dagmar