Pour une pédagogie humaniste de la sexualité
Isabelle Borduas
Sexologue
Nous avons demandé aux sexologues Isabelle Borduas et Valérie Morency de chacune rédiger un texte pour Québec humaniste sur l’atteinte à l’éducation sexuelle qui est survenue à l’occasion de la réforme scolaire de 2003 qui a introduit diverses thématiques “transversales”, dont celle-là. On se souviendra qu’à Montréal, en 1998, le Mouvement pour une École Moderne et Ouverte (MÉMO) avait battu le Regroupement scolaire confessionnel (parti catholique) aux élections scolaires en annonçant son intention ferme de faire introduire par le MELS l’enseignement de la sexualité dans les écoles. À cette époque, la laïcité scolaire allait de pair avec l’ouverture sur la sexualité.
Introduction et mise en contexte
Depuis 2003, les cours d’éducation sexuelle ont été officiellement retirés de nos écoles et relèvent donc maintenant de l’ensemble du personnel scolaire, ce qui a pour effet de rendre l’éducation plutôt inégale si l’on compare les milieux entre eux. Certains élèves bénéficient de cours sur les moyens de contraception et de prévention des infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS), alors que d’autres ont l’occasion de développer leur esprit critique en discutant de sujets tels que les relations amoureuses, les stéréotypes sexuels ou l’hypersexualité par exemple.
Cependant, les jeunes qui ne peuvent bénéficier d’un cours ou de discussions animées sur la sexualité ont vite fait de trouver réponse à leurs questions là où elles sont le plus facilement accessibles, soit sur internet.
Parallèlement à cette dynamique intrinsèque à chaque individu, nous assistons actuellement à une véritable révolution dans le domaine des relations humaines. L’explosion des médias sociaux nous oblige à adapter nos interventions en matière d’éducation à la sexualité à la réalité des jeunes d’aujourd’hui. Il devient primordial de chercher à comprendre de quelle manière la façon d’aborder la sexualité proposée par les téléréalités et les réseaux sociaux affectent la sexualité des jeunes.
Étant sexologue au niveau collégial depuis dix ans, je suis à même de constater les répercussions du retrait officiel des cours d’éducation à la sexualité aux élèves des écoles primaires et secondaires du Québec. Les jeunes adultes que je côtoie au quotidien abordent en général avec une certaine facilité le sujet des activités ou des pratiques sexuelles, mais sont très souvent surpris et légèrement décontenancés lorsqu’on les amène à réfléchir sur l’aspect affectif de la sexualité, sur le sens de la relation sexuelle au-delà de la recherche du plaisir physique.
Existe-t-il aujourd’hui un nouveau tabou, lié cette fois aux dimensions psychologiques et affectives de la sexualité? La sexualité est bien davantage qu’une question de sexe, c’est aussi, et surtout, une question de relation à l’autre ou à soi-même et une manière de répondre à un besoin fondamental chez l’être humain : le besoin d’amour.
La sexualité humaine
Mme Marie-Paul Ross, dans son livre Pour une sexualité épanouie [1] définie la sexualité comme une pulsion de vie. À ce titre, la pulsion sexuelle, comme toute pulsion chez l’être humain, nous pousserait à entrer en relation et à répondre à notre besoin d’amour en tant qu’être humain. Or, la pulsion sexuelle ferait appel à trois composantes de l’être humain, le corps, le cœur et la tête (la dimension érotique, affective et psychologique).
Ainsi, afin de répondre de manière adéquate à notre pulsion sexuelle et atteindre la satisfaction, il devient essentiel de nourrir l’ensemble des composantes de l’être humain associées à cette pulsion. J’entends par nourrir le fait de considérer, ou plutôt de répondre à l’appel du corps en tenant compte de nos valeurs propres et du sens que l’on donne à cette rencontre, bref de l’aspect relationnel et psycho-affectif de la sexualité humaine. Je suis convaincue, et mon expérience professionnelle me le confirme chaque jour, que l’éducation sexuelle ne peut se résumer à la transmission de savoirs concentrés sur l’aspect fonctionnel du corps et sur les pratiques sexuelles en tant que telles.
Ainsi, le monde virtuel ne m’apparaît pas un outil adapté pour répondre de manière adéquate et globale aux préoccupations affectives des individus. Les intervenants, les adultes, les parents et les jeunes eux-mêmes se sentent bien souvent dépourvus devant cette multitude d’informations disponibles sur la sexualité. Il devient facile de s’y perdre, se nourrissant sans fin d’informations disparates, souvent contradictoires les unes par rapport aux autres, mais surtout sans lien réel avec notre besoin d’amour et de relation humaine.
Faire l’éducation à la sexualité, c’est offrir des occasions de discussion et d’échange sur l’ensemble des dimensions liées à la sexualité humaine. L’objectif d’une éducation sexuelle globale devrait à mon sens viser à démystifier la sexualité humaine par un enseignement dénué de stéréotypes et de mythes liés à la sexualité, afin de permettre un épanouissement à la fois érotique, affectif et psychologique de l’adulte en devenir.
À mon sens, les campagnes de sensibilisation ont trop souvent oublié les dimensions affectives et psychologiques de la sexualité en mettant l’emphase sur la transmission de connaissances en matière de contraception et de prévention des infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS). Après tout, il est plus facile de mesurer les coûts des traitements associés aux ITSS ou aux interruptions volontaires de grossesse qu’à ceux associés aux malaises affectifs ou psychologiques.
À plus long terme cependant, je suis personnellement très loin d’être convaincue que l’impact de ces malaises soit moins grand. La connaissance de soi, de sa pulsion sexuelle, de son besoin d’amour, de même que la capacité de s’affirmer et la confiance en soi jouent un rôle prépondérant dans la décision d’un individu de se protéger ou non lors d’une relation sexuelle. Et si on voyait la prévention et l’intervention auprès de nos jeunes en termes d’éducation affective ?
Faire l’éducation à la sexualité c’est…
D’abord et avant tout faire découvrir et favoriser les échanges sur les différentes composantes de la sexualité humaine;
– accompagner l’autre dans sa réflexion afin qu’il puisse répondre de manière adéquate à son besoin d’amour et découvrir des valeurs essentielles à son bien-être;
– saisir et offrir des occasions d’échange et de discussion sur les dimensions affectives et psychologiques de la sexualité humaine (l’amour, les premiers émois, la communication, etc.);
– corriger les distorsions cognitives; – encourager la réflexion autour de la sexualité humaine, etc.
Bref, l’éducation à la sexualité, c’est l’accompagnement de chacun(e) à travers le développement de son autonomie affective. À mon avis, c’est une illusion que de croire que la seule transmission de connaissances est un facteur de protection en prévention des ITSS, des grossesses ou des malaises psychoaffectifs.
Conclusion
Je crois qu’il est impératif d’offrir aux jeunes et de s’offrir à soi-même des espaces de discussion, de réflexion et d’échanges sur les différentes composantes de la sexualité humaine.
Se mettre réellement à l’écoute de soi, s’offrir du temps de qualité et s’ouvrir aux réponses qui se trouvent à l’intérieur de soi, écouter notre intuition, notre cœur et notre corps en lien avec notre pulsion sexuelle qui nous pousse à répondre à notre besoin d’amour en tant qu’être humain, telles devraient être les assises d’une éducation sexuelle globale.
1 ROSS, Marie-Paul. Pour une sexualité épanouie. Éditions Fides, avril 2009.
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