À la défense de l’élevage industriel

par Jan 7, 2013Articles de fond, Éthique, Québec humaniste, Réflexions0 commentaires

Daniel Baril

Daniel Baril

Daniel Baril a été journaliste à l’hebdomadaire Forum de l’Université de Montréal pendant près de 23 ans. Il est actuellement président du Mouvement laïque québécois (par intermittence pendant deux décennies) et a été également membre du conseil d’administration de l’Association humaniste du Québec. Il est le cofondateur du groupe Les Intellectuels pour la laïcité et co-rédacteur de la Déclaration pour un Québec
laïque et pluraliste. 

Ce texte a été rédigé pour l’hebdomadaire Forum de l’Université de Montréal où il a été publié le 14 janvier 2013. Les propos sont ceux du professeur Jean-Pierre Vaillancourt et non les miens.

La maltraitance des animaux revient régulièrement hanter notre conscience d’Homo sapiens. Que ce soit les conditions de vie auxquelles les animaux d’élevage sont soumis, les modes d’abattage, l’utilisation d’animaux en recherche ou la cruauté envers des animaux domestiques, voilà autant de réalités qui nous conduisent à revoir notre rapport avec le monde animal et même à remettre en cause notre alimentation carnivore.

Mais pour certains, le discours animaliste véhiculé par des documentaires comme La face cachée de la viande ou le « véganisme », traité dans Forum avant les fêtes (« Faut-il accorder des droits fondamentaux aux animaux?», 19 novembre 2012), sont nettement exagérés.

C’est le point de vue de Jean-Pierre Vaillancourt, professeur à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal et directeur du Groupe de recherche en épidémiologie des zoonoses et santé publique. Les deux reportages mentionnés précédemment ont fait vivement réagir le médecin vétérinaire, spécialiste de l’élevage de la volaille.

Nécessité des protéines animales Le chercheur reconnait que les défenseurs des animaux jouent un rôle utile lorsqu’ils dénoncent des pratiques inacceptables et il tient à les en remercier. Mais de là à accorder aux animaux les mêmes droits qu’à l’être humain, il y a un abime qu’il n’est pas près de franchir.

« Dans la nature, ce sont l’équilibre et la santé du troupeau qui comptent et non la santé de l’individu, déclare Jean-Pierre Vaillancourt. La nature ne se préoccupe pas du droit de l’individu et personne ne critique, par exemple, le comportement du lion qui dévore la gazelle. »

Dans nos sociétés d’abondance, nous avons les moyens de nous priver de viande tout en nous assurant d’une alimentation équilibrée. Mais pour le vétérinaire, il n’est pas réaliste d’envisager un tel scénario à l’échelle planétaire et toute philosophie animaliste doit tenir compte de cette limite.

« Il n’existe pas de modèle nous permettant de répondre aux besoins de la population en protéines si nous cessons la production de viande parce que la protéine animale est de meilleure qualité que la protéine végétale, affirme-t-il. En 2050, la production de protéines devra être le double de ce qu’elle était en 2000 en raison de la croissance démographique. Des pays comme la Chine et l’Inde sont incapables de satisfaire leurs besoins grandissants en protéines avec leurs seules productions. De plus, comment remplacer la viande dans des environnements comme le Grand Nord, où la population vit en symbiose avec les produits de la chasse et de la pêche? »

À son avis, nous parvenons à répondre à la demande actuelle grâce à l’élevage industriel et à l’amélioration de l’alimentation animale. Une vache d’aujourd’hui fournirait cinq fois plus de lait qu’une vache de 1920 tout en consommant la moitié moins de nourriture. Et les bovins d’élevage industriel produisent moins de méthane grâce à une alimentation moins riche en fibres.

Selon les chiffres qu’avance le professeur, il est faux de penser qu’il y aurait un gain énergétique si l’être humain consommait les céréales données au bétail plutôt que ce bétail. « De 75 à 80 % de ce que mange un bovin est composé de résidus; il n’y a que 25 % de cette nourriture qui pourrait convenir à l’humain. En mangeant cette viande, nous bénéficions de 1,5 à 3 fois plus de protéines que si nous consommions les céréales qu’avalent ces bovins. Aux États-Unis, remplacer la viande par une alimentation végétale nécessiterait au-delà de sept millions de kilomètres carrés de plus consacrés aux cultures. »

Consommer trop de viande est nocif pour la santé, admet le professeur, tout en ajoutant que trop de salade peut aussi être néfaste.

Les effets de l’élevage traditionnel

L’être humain pourrait par ailleurs difficilement se passer de l’apport économique du travail animal. « Dans le monde, quelque 250 millions d’animaux travaillent; ils servent à labourer, à puiser l’eau, à transporter des gens, des marchandises, etc. »

Aux yeux du chercheur, cette domestication, qui n’est pas le propre de l’espèce humaine, ne porte aucunement atteinte à l’intégrité de l’animal. « La domestication n’est pas négative en soi, comme on peut le constater avec les animaux de compagnie. Depuis 2500 ans, les essais de domestication n’ont réussi que dans 10% des cas », dit-il, suggérant ainsi que les animaux qui se sont laissé domestiquer avaient sans doute une inclination naturelle pour ce mode de vie qui ne brime donc pas leur nature.

Mais ne pourrait-on pas revenir à l’élevage traditionnel, qui semble plus naturel et moins stressant pour l’animal? «Toute mesure destinée à améliorer le bienêtre de l’animal a des conséquences économiques et il faut l’assumer», répond le chercheur en illustrant son propos à l’aide de l’exemple suivant: le Québec produit chaque année 165 millions de poulets qui disposent chacun d’une zone d’environ 27 centimètres de côté; si nous augmentions cette zone de 20 %, l’industrie avicole aurait besoin d’une surface de 402 000 mètres carrés de plus, ce qui nécessiterait 140 kilomètres carrés de terrain supplémentaires pour construire ces bâtiments.

Si on laissait vivre ces poulets huit jours de plus, il faudrait un ajout de 14,7 millions de kilos de grains pour les nourrir, ce qui demanderait une augmentation de 31 kilomètres carrés de terres consacrées à la culture de ces grains. Le transport de cette nourriture nécessiterait 38 000 litres d’essence. Cette longévité accrue du poulet entrainerait par ailleurs la production de 377 600 kilos de plus d’azote dus aux déjections animales.

« Il n’y a pas d’intérêt écologique à cesser l’élevage industriel », conclut Jean-Pierre Vaillancourt. 

Pour le vétérinaire, il importe d’accepter que l’espèce humaine fasse partie de l’écologie planétaire et cesser de nous culpabiliser de notre nature carnivore.

« Il faut éviter les abus, mais il faut aussi s’assumer, lance-t-il. Nous avons, dans nos sociétés d’abondance, la liberté de choisir d’être végétarien, mais la nature ne fonctionne pas selon le principe de la liberté. »

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