Faut-il accorder des droits fondamentaux aux animaux ?
Daniel Baril
Daniel Baril a été journaliste à l’hebdomadaire Forum de l’Université de Montréal pendant près de 23 ans. Il est actuellement président du Mouvement laïque québécois (par intermittence pendant deux décennies) et a été également membre du conseil d’administration de l’Association humaniste du Québec. Il est le cofondateur du groupe Les Intellectuels pour la laïcité et co-rédacteur de la Déclaration pour un Québec
laïque et pluraliste.
Ce texte a été rédigé pour l’hebdomadaire Forum de l’Université de Montréal où il a été publié le 19 novembre 2012. Les propos sont ceux de la professeure Valéry Giroux et non les miens.
Connaissez-vous le « véganisme »? Le terme est issu de l’anglais vegan, qui est un condensé de vegetarian. Mais contrairement au végétarisme, qui exclut la consommation de viande, et au végétalisme, qui étend l’exclusion aux produits laitiers, le « véganisme » va jusqu’à proscrire l’usage et l’achat des produits animaux, dont le cuir et la laine, par refus de toute forme de cruauté envers les animaux.
Valéry Giroux, chargée de cours au Département de philosophie de l’Université de Montréal, en a fait son sujet de thèse de doctorat après avoir adopté ce mode de vie au nom de principes éthiques et d’une cohérence philosophique. Après une maitrise en droit consacrée au droit des animaux, elle a poussé sa réflexion jusqu’à examiner la pertinence d’accorder aux animaux non humains les mêmes droits fondamentaux que ceux reconnus à l’animal humain.
Au terme de sa recherche, elle conclut que les animaux conscients devraient jouir du statut de personne et que l’exploitation animale, quelles qu’en soient la forme et l’intensité, devrait par conséquent être abandonnée.
Respecter l’intérêt de l’animal
Le raisonnement de Valéry Giroux part de la théorie juridique de l’intérêt. Selon cette théorie, l’être humain accorde des droits aux individus afin de protéger les intérêts de la personne, l’intérêt désignant tout ce que désire, préfère et souhaite un individu, bref tout ce qui lui serait bénéfique et sans quoi il subirait un dommage.
« Le concept d’intérêt s’applique à tous les êtres sensibles, souligne la philosophe. Au nom du principe de l’égalité, nous l’appliquons même aux individus qui ne sont pas autonomes, comme les enfants, les personnes handicapées et les personnes sous tutelle. Il est donc pertinent de se demander si la notion doit être appliquée aux non-humains. »
La réponse à cette question ne fait pas de doute à ses yeux: tous les êtres sensibles ont un égal intérêt à ne pas souffrir et à ne pas être torturés (droit à l’intégrité physique), à ne pas être tués (droit à la vie) et à ne pas être exploités, asservis ou appropriés (droit à la liberté). Ces droits devraient alors être reconnus aux animaux.
Le droit à l’intégrité physique est sans doute celui qui est le mieux accepté et qui pose le moins de problèmes. La plupart des pays ont en effet des lois qui interdisent la cruauté envers les animaux parce que ce sont des êtres sensibles comme nous.
Le droit à la vie, qui proscrit par conséquent l’abattage et la chasse, est plus problématique.
« Un être sensible est réputé jouir des bonnes choses de la vie et il a donc intérêt à préserver son existence, avance la philosophe. Par la mise à mort, nous le privons de ses bonnes expériences futures. »
Le droit à la liberté est celui qui entraine le plus de contraintes pour la société humaine et qui est le plus difficile à faire accepter.
« En philosophie politique, la liberté se définit par l’absence d’interférences dans notre action; tous les êtres sensibles ont ainsi intérêt à être libres. La liberté républicaine est plus que la simple absence d’interférences et implique que tous aient un statut égal. Il faut donc refuser la différence de statut entre humains et non-humains. »
Cela conduit à rejeter l’élevage animal, qui est une appropriation de l’autre et qui ne peut être à la fois rentable et indolore. Même chose pour l’animal de compagnie, dont la présence n’est acceptable que dans la mesure où l’on réussit à lui accorder le statut de citoyen et qu’il est traité comme tel.
Valéry Giroux avoue toutefois posséder un animal de compagnie, une contradiction qu’elle assume avec l’exemple suivant: « On peut aider un sans-abri tout en luttant contre la pauvreté. »
La philosophe s’en remet par ailleurs aux biologistes pour déterminer quels sont les animaux suffisamment sensibles pour bénéficier de ces droits. Dans l’état actuel des connaissances, il faut inclure tous les vertébrés, soit les mammifères, oiseaux, reptiles et poissons. Quant aux insectes, tous ne s’entendent pas; en l’absence de consensus scientifiques, «il faut leur accorder le bénéfice du doute », affirme-t-elle. Les adeptes du « véganisme » qui vont jusque-là éliminent donc le miel de leur alimentation.
Inverser le fardeau de la preuve
Valéry Giroux renverse le fardeau de la preuve et considère qu’il appartient à ceux qui ne croient pas que les droits humains doivent être étendus aux animaux de nous dire pourquoi ils ne devraient pas l’être. La barrière qui sépare l’espèce humaine des autres espèces animales n’est pas un contrargument recevable à son avis.
« En fonction de nos affinités, nous traitons différemment un cheval et un chien, mais sous l’angle de l’intérêt, les distinctions entre espèces sensibles ne sont pas pertinentes. »
L’argument des avantages tirés de la recherche à l’aide d’animaux ne passe pas la rampe non plus. « Nous pourrions aussi profiter de l’utilisation d’humains en recherche, mais nous avons cessé de le faire. Nous acceptons donc de nous priver de ces connaissances utiles », indique la philosophe en souhaitant que la même attitude prévale à l’endroit des animaux.
La seule dérogation acceptable à cette logique implacable est lorsqu’il n’est pas possible de faire autrement pour assurer sa survie.
Valéry Giroux réussit-elle à vivre en « végane »? En plus d’un animal de compagnie, elle reconnait avoir une voiture. « Une voiture, ça pollue et la pollution provoque des maladies. Mais il faut chercher à limiter les dégâts et il est à espérer un progrès dans la protection des droits des animaux. Les premiers qui ont cherché à interdire l’esclavage se sont fait dire qu’une telle chose était impossible et indéfendable. »
Nous sommes loin de l’époque de Descartes, où les philosophes soutenaient que les animaux, étant privés de pensée, ne ressentaient aucune souffrance!
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