L’impossible dialogue entre science et religion
Daniel Baril
Daniel Baril a été journaliste à l’hebdomadaire Forum de l’Université de Montréal pendant près de 23 ans. Il est actuellement président du Mouvement laïque québécois (par intermittence pendant deux décennies) et a été également membre du conseil d’administration de l’Association humaniste du Québec. Il est le cofondateur du groupe Les Intellectuels pour la laïcité et co-rédacteur de la Déclaration pour un Québec
laïque et pluraliste.
C’est le sujet d’un livre qui vient de paraître chez Médias Paul (éditeur religieux) et ayant pour titre Lettres ouvertes; correspondance entre un athée et un croyant. L’athée, c’est le biologiste évolutionniste Cyrille Barrette; le croyant, c’est le jésuite Jean-Guy Saint-Arnaud. Les deux correspondants échangent leurs propos autour de 11 thèmes dont: D’où venons-nous? Qu’est-ce que l’âme? L’être humain est-il libre? Faut-il distinguer croire et savoir? Peut-on fonder une morale sans Dieu?
Ce n’est pas un hasard si c’est l’éditeur qui a eu l’idée de ce dialogue. Il n’y a en effet que les croyants qui tirent intérêt à un tel échange. Comme tout être humain, les croyants doivent en effet tenir compte de ce que dit la science pour éviter de croire n’importe quoi. De plus, les croyants sont intrigués, voire menacés, par l’existence de gens « Heureux sans Dieu » et les plus ouverts d’entre eux seront curieux d’entendre les arguments des athées à l’encontre de la croyance en l’au-delà et ses divinités.
En revanche, la science n’a absolument rien à attendre de cet échange. Pour avancer, la science doit opérer en faisant fi des croyances religieuses. Le progrès des connaissances, comme celui des libertés humaines, est possible non pas grâce aux religions mais en dépit d’elles. L’incroyant n’a rien à tirer lui non plus de cet échange puisqu’il a déjà fait le tour de la question; les incroyants sont en effet tous passés par une période plus ou moins longue marquée par la croyance religieuse et dont ils se sont extirpés en usant de leur raison. S’il s’agit d’un « dialogue de sourds », c’est donc parce que les croyants refusent d’utiliser les outils de la science et se réfugient dans leur foi.
Cyrille Barrette était bien conscient de l’incompatibilité des deux discours. Même si l’on entend souvent dire que science et religion sont complémentaires, le biologiste rectifie les choses: « foi et science ne se complètent pas: la foi n’améliore pas les explications scientifiques », écrit-il. Certains croyants objectent à ceci que la science répond aux comment alors que la religion répond aux pourquoi. Mais c’est une douce illusion: les seuls pourquoi auxquels on puisse raisonnablement répondre sont en fait des comment. S’il y a complémentarité, c’est donc au même sens où l’on verrait une complémentarité entre cuisine et hockey; pour qui y trouve un intérêt, les deux contribuent à remplir l’existence.
Le biologiste ne perd pas complètement son temps dans cet échange puisque, en bon pédagogue qu’il est, il fait œuvre utile en vulgarisant de belle façon les connaissances scientifiques actuelles et en les rendant accessibles à un public qui en a grand besoin. On constate en effet toute l’inculture scientifique du jésuite (tout de même érudit dans son domaine) quand on lit sous sa plume que l’être humain n’utilise que 10% de son cerveau. Misère!
Tout au long de l’échange, Saint-Arnaud reproche à Barrette de ne s’en remettre qu’à la rationalité scientifique. Il n’y a pourtant que l’approche rationnelle qui nous permette de comprendre le monde. Même le jésuite cherche à s’en remettre à ce type de pensée lorsqu’il affirme: « J’ai l’impression que votre polarisation sur la méthode scientifique joue comme un absolu qui vous empêche de considérer la rationalité de la foi ». Vous avez bien lu: la « rationalité de la foi »! La rationalité croyante (oxymore est ici un euphémisme pour qualifier ce terme) est une logique dans laquelle le premier élément de l’énoncé n’a pas besoin d’être démontré. Cette « rationalité » permet donc de dire n’importe quoi en maquillant le propos d’un faux rationalisme
En voici exemple. Saint-Arnaud écrit, à propos des miracles, qu’ils « ne sont pas des preuves mais des manifestations du divin à ceux qui sont disposés à les accueillir. Ils supposent et confirment la foi. » Autrement dit, pour croire aux miracles il faut avoir la foi et puisqu’un miracle s’est produit ma foi est donc confirmée. Voilà un exemple typique de la pensée religieuse qui tourne en rond. Les athées et les incroyants auront donc eux aussi un intérêt à lire ce livre: ils pourront constater l’incroyable naïveté d’un discours d’un autre siècle qui nous sert du Thomas d’Aquin en guise de conception de l’être humain et du « Jésus est ressuscité » à toutes les pages en guise de fondements rationnels.
Je diverge par ailleurs d’opinion sur au moins un point avancé par mon ami Cyrille lorsqu’il affirme que « le surnaturel ne peut pas être un objet de connaissance ». Logiquement, il a raison. Mais, à mon avis, il se rapproche trop ici de la position dite du NOMA (Non-Overlapping MAgisteria) de Stephen Jay Gould voulant que la science ne puisse rien dire sur la religion et le surnaturel. Cette posture occulte le fait que la science peut nous expliquer comment la croyance au surnaturel est un produit de notre cerveau de mammifère social et comment la vérification des qualités ou fonctions attribuées par les croyants aux êtres surnaturels (dont Dieu) nous conduit à conclure à leur inexistence. La science n’est pas agnostique face à l’idée d’un geste intentionnel à l’origine de l’univers, pas plus qu’elle n’est agnostique sur l’existence du dieu Éole.
- Ce texte a d’abord été publié sur le blogue « Raison et laïcité » (http://voir.ca/daniel-baril) du journal Voir.
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