Islamisme et créationnisme, même combat
Daniel Baril
Daniel Baril a été journaliste à l’hebdomadaire Forum de l’Université de Montréal pendant près de 23 ans. Il est actuellement président du Mouvement laïque québécois (par intermittence pendant deux décennies) et a été également membre du conseil d’administration de l’Association humaniste du Québec. Il est le cofondateur du groupe Les Intellectuels pour la laïcité et co-rédacteur de la Déclaration pour un Québec
laïque et pluraliste.
Fondamentalisme religieux contre la science
Dans son numéro de juillet-aout 2014, Québec Science publie une très intéressante entrevue avec la physicienne Faouzia Charfi, professeure à l’université de Tunis, qui explique comment le fondamentalisme islamiste entrave la formation scientifique en Tunisie. Dans cette entrevue signée Dominique Forget (dont on peut lire une partie sur le site de Québec Science [2), Faouzia Charfi reprend la problématique exposée dans son ouvrage La science voilée. Elle déplore que certains étudiants universitaires, aveuglés par la pensée religieuse dogmatique, en arrivent à rejeter les théories scientifiques lorsqu’elles leur paraissent contraires à ce qui est écrit dans le Coran. Exemple: la lumière étant une manifestation de la présence divine, elle ne peut avoir de vitesse! Si une théorie paraît bien établie, comme celle du bigbang, ils soutiennent qu’elle avait déjà été prédite par le Coran. Bref, du Nostradamus à la sauce coranique.
Les Américains ne peuvent être allés sur la lune puisqu’il est écrit dans le Coran que la lune est à 500 années de marche en chameau, rapporte pour sa part Loïc Tassé. Quant aux tremblements de terre, ils sont provoqués par l’immodestie des femmes, explique le savant ayatollah iranien Kazem Sedighi. On pourrait se contenter d’en rire, mais cet obscurantisme digne des Talibans (qui interdisaient les illustrations anatomiques dans les manuels d’enseignement de la médecine !!!) est révélateur du degré de pénétration de l’islamisme politique dans toutes les couches sociales des pays arabes. Révélateur également des ravages que peut faire l’idéologie non guidée par la raison et l’humanisme.
Le fondamentalisme créationniste Cet obscurantisme n’est pas unique aux pays arabes ni aux musulmans. Faouzia Charfi souligne la présence du créationniste au sein de l’islamisme, un emprunt au fondamentalisme religieux occidental (alors que ces mêmes islamistes combattent tout ce qui vient de l’Occident!). Cette communauté d’esprit entre les fondamentalistes de toutes les religions doit nous faire réaliser que ceux d’ici ne sont pas moins obscurantistes ni moins dangereux que ceux d’ailleurs (charia en moins évidemment…). Le créationnisme fait des progrès inquiétants tant en Amérique qu’en Europe.
C’est d’ailleurs le thème d’un livre remarquable, Enquête sur les créationnismes de Cyrille Baudouin et Olivier Brosseau, respectivement ingénieur en physique et docteur en biologie [3]. On y apprend, entre autres, qu’un rapport de la Commission de la culture, de la science et de l’éducation du Conseil de l’Europe Les dangers du créationnisme dans l’éducation (2007) – sonne l’alarme sur la montée de dogmes religieux qui s’attaquent aux connaissances accumulées sur la nature, l’évolution, nos origines et l’univers. Ce constat concerne la Suisse, la Suède, les Pays-Bas, la Pologne, l’Italie, la Serbie, la Russie, la Grèce, le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France. Des musées créationnistes, à l’image du Holy Land Experience d’Orlando, voient le jour en Suède, en Belgique, en Espagne, en Allemagne et aux Pays-Bas. Dans ce dernier pays, un millionnaire a reconstruit l’arche de Noé « grandeur réelle » . Rien de moins!
En Italie, l’ex-ministre de l’Instruction, de l’Université et de la Recherche, Letizia Morati (sous le gouvernement de Berlusconi), a émis un décret proscrivant l’enseignement de la théorie de l’évolution dans les cours de biologie au collège, avant que les réactions du public l’aient forcée à faire marche arrière.
Au Royaume-Uni, l’imprégnation du créationnisme serait devenue, en 15 ans, comparable à celle des États-Unis. En Russie, des associations créationnistes protestantes traduisent en russe des documents de l’Institute for Creation Research (ICR).
En Turquie, un rapport du ministre de l’Éducation se sert lui aussi des documents de l’ICR pour justifier l’enseignement du créationnisme dans les cours de biologie.
En France, l’Université interdisciplinaire de Paris, financée par la Fondation Templeton, diffuse une approche scientifique totalement imprégnée d’une vision spiritualiste présentant la religion comme complémentaire à la science. Une perspective spiritualiste serait par ailleurs bien présente chez plusieurs Français qui disent adhérer à la théorie de l’évolution et qui partagent néanmoins des notions s’apparentant au créationnisme — telles le finalisme, l’anthropocentrisme et l’essentialisme — et contraires à l’évolution darwinienne. Aucun doute qu’on observerait la même chose ici. Et n’oublions pas que Stephen Harper a déjà nommé un créationniste, Gary Goodyear, comme ministre d’État aux Sciences et à la Technologie !
À l’instar de ce qu’observe Faouzia Charfi dans l’islamisme, Cyrille Baudouin et Olivier Brosseau mettent en lumière le mode de pensée des créationnistes qui dénature l’approche scientifique pour mieux la rejeter avec comme objectif d’imposer leur vision du monde à l’ensemble de la société. L’un des remèdes est évidemment le raffermissement de la formation scientifique et de la pensée critique. La laïcité est également présentée comme un moyen de freiner le fondamentalisme. Et pas n’importe quelle forme de laïcité : la laïcité républicaine que nous aurions aimé voir adoptée au Québec. La confusion alimentée par le concept de « laïcité ouverte » rappelle celle qui est entretenue par les partisans d’un dialogue entre science et religion, écrivent-ils en substance.
Une autre raison de rechercher une réelle indépendance de l’État face au religieux. Souhaitons que ce ne soit que partie remise, car les fondamentalistes ne désarmeront pas.
Notes
- Texte tiré du blogue de Daniel Baril (voir.ca/daniel-baril), publié le 12 juin 2014.
- Un bémol sur l’article de Québec Science: il est mal titré. Il aurait fallu écrire « L’idéologie contre la science » plutôt que « La science contre l’idéologie ». Dans ce même numéro de QS, je signe une recension critique du dernier ouvrage du primatologue Frans de Wall, Le bonobo, Dieu et nous. Sur ce même sujet, on peut aussi lire une entrevue que m’accordait De Waal pour l’Actualité du 1er mai, « Les animaux ont-ils une morale ? »
- Je présente une analyse plus exhaustive de ce volume dans le numéro d’été 2014 du Québec Sceptique.
0 commentaires