La Grande-Bretagne et l’affaire des « Chevaux de Troie » musulmans
Michel Virard
Président de l'AHQ
Michel Virard est un des fondateurs de l’AHQ en 2005 avec Bernard Cloutier et Normand Baillargeon. Ingénieur et entrepreneur, il a également été administrateur des Sceptiques du Québec. il est depuis les tout débuts l’une des âmes dirigeantes de l’AHQ.
De fait, à partir de 1944, toute école subventionnée par l’État était tenue de faire réciter des prières. Cette obligation fut changée plus tard en « un acte collectif d’adoration » (dernière version 1998). De plus, il est spécifié que cet acte d’adoration doit être « d’un caractère entièrement ou majoritairement chrétien ». Ouf… De fait, tout parent désirant une éducation strictement laïque ou d’une autre religion que le christianisme ou le judaïsme était plus ou moins condamné à envoyer ses enfants à une école privée « indépendante » c’est-à-dire non subventionnée.
Le gouvernement travailliste de 1997 à 2007 a entrepris d’étendre les privilèges religieux des écoles subventionnées à d’autres dénominations, en particulier aux Musulmans.
Le tableau des écoles subventionnées donne une idée de la répartition des écoles. Il faut savoir qu’en octobre 2013, le mouvement Fair Admission Campaign a lancé, sans trop de succès, une motion au parlement britannique pour faire abolir la discrimination sur base religieuse à l’entrée de toute école subventionnée par l’État. Cette discrimination est le résultat d’une exemption dont profitent toutes les « Faith Schools », c’est-à-dire les anciennes écoles tenues par des religieux (devenues VAS et VCS) et aussi une bonne partie des nouvelles « Academies », pour échapper à l’obligation d’égalité de traitement de la loi de 2010 (Equality Act).
La réalité c’est que la religion fait toujours partie du système scolaire d’État de l’Angleterre, sans même parler des écoles indépendantes! En 2014, au moins un tiers des 22 000 écoles (primaires et secondaires) subventionnées par l’État pouvaient se prévaloir de l’exemption discriminatoire à l’admission en tant que Faith Schools avec un projet pédagogique religieux spécifique, ce qui dans les zones à faible densité était et est toujours un non-sens économique puisque cela conduit soit à des écoles sous-utilisées, soit à des déplacements non nécessaires d’enfants sur des distances considérables.
Évidemment ce n’est pas seulement avec un argument économique que les Humanistes Britanniques (BHA) et leurs alliés, plusieurs groupes religieux minoritaires et la National Secular Society (NSS) se jettent dans la mêlée. La discrimination à l’admission sur une base religieuse soutient une forme de sectarisme insidieuse qui s’oppose au programme même d’éducation britannique qui se veut officiellement une éducation ouverte à la diversité religieuse et culturelle.
Selon The Observer du 14 juin, sur les 6 884 écoles à vocation officiellement religieuse de 2014, 4 601 appartenaient à l’Église d’Angleterre et 1 986 à l’Église Catholique romaine. La proportion des autres religions était infime : 26 méthodistes, 48 écoles juives, 18 musulmanes, 8 sikhs et 152 autres écoles chrétiennes, très en dessous des proportions des populations correspondantes. A noter que 763 des ces Faith-Schools sont classées comme « Academies » ou « Free Schools », une proportion en constante augmentation. Or ces dernières ont nettement moins de comptes à rendre au Ministère de l’éducation car l’admission est déterminée par l’ « Academy Trust » et non une autorité gouvernementale.
Cependant, dans le cas de Birmingham, la grande surprise est que le scandale n’est pas venu des Faith Schools, mais bien des écoles supposément « NonFaith ». Cinq écoles sur les vingt et une inspectées par l’Ofsted (inspection scolaire) ont été jugées inadéquates dans leur enseignement de la citoyenneté (une obligation en GB). De plus, la population les a perçues, à tort ou à raison, comme étant infiltrées par une coterie de musulmans au niveau des Governing Bodies, les conseils d’administration de ces écoles. Le rapport de l’Ofsted est plus nébuleux, mentionnant que ces écoles (qui obtenaient antérieurement de bons résultats scolaires) avaient des déficiences de gestion et avaient manqué à leur devoir de protéger leur charge en promouvant ce que l’Ofsted appelle : « la conscience des risques qui découlent de l’extrémisme ». Pourtant, ces mêmes écoles ayant été inspectées auparavant, la question de la façon dont les inspections étaient réalisées dans le passé a émergé brutalement. On a donc appris que les écoles étaient régulièrement prévenues des inspections ! Ce qui laissait amplement le temps de remplacer un cours par un autre, plus présentable et surtout plus « chrétien » C’est seulement à la suite d’allégations anonymes d’infiltration musulmane que l’Ofsted a décidé de faire des inspections surprises, lesquelles ont donné le résultat ci-dessus.
Dans ce qui peut paraître contre-intuitif, il semble que le Ministère de l’éducation envisage de destituer l’autorité locale responsable (et peut-être infiltrée) en convertissant ces écoles en Academies. Ce qui est surprenant c’est qu’une telle conversion ouvrirait aussi la porte à une conversion en une Faith-School qui, bien sûr, serait de confession musulmane, vu la clientèle de ces écoles. Et puis, deux de ces écoles ont déjà choisi la conversion en académies! Enfin, ces écoles ont déjà entrepris de se défendre vigoureusement contre le rapport de l’Ofsted.
Si vous pensez que vous avez du mal à suivre le raisonnement des Britanniques sur ce sujet, sachez que vous n’êtes pas seuls et que même des journaux de gauche comme The Guardian ont de la difficulté à articuler un concept viable de séparation État-religion applicable aux écoles subventionnées. De plus, beaucoup de groupes visés pensent que les inspections surprises de l’Ofsted étaient motivées politiquement et sans grand mérite.
Pourtant, il y a une tendance qui se dessine en Grande-Bretagne comme en témoigne le sondage Opinium rapporté par The Observer du 14 juin et dont le titre pourrait être « Questionnement sur l’usage des fonds publics par des écoles religieuses dans une société multiculturelle telle que la Grande-Bretagne ». On y remarque que 58% des électeurs croient maintenant que les Faith-Schools, autorisées à discriminer à l’admission et à n’enseigner que leur religion, ne devraient pas être subventionnées par l’État et 23% pensent qu’elles devraient être abolies. Qui plus est, 70% pensent que l’argent des contribuables ne devrait pas servir à subventionner quelque religion que ce soit et 56% pensent que les écoles religieuses, comme les autres, doivent soumettre strictement leur enseignement au curriculum national…
De l’espoir ? Pas si vite! La prière quotidienne reste encore, théoriquement, aujourd’hui obligatoire dans toutes les écoles subventionnées séculières ou non. En pratique, d’après Ofsted, un tiers des écoles échouent à tenir la fameuse « adoration collective » requise par la loi de 1998 (Education Reform Act). Une autre source indique un défaut de plus de 80% des écoles à respecter cette directive chez les « secular » du secondaire. Il semble bien que beaucoup d’écoles non-religieuses traînent les pieds à observer une pratique clairement en contradiction avec les directives européennes à ce sujet. Dans la même veine, le gouvernement de Sa Majesté a distribué en 2012, en l’honneur de son 400e anniversaire, une édition autorisée de la Bible « King James Version », la référence des protestants anglais, à chacune des 22 000 écoles du royaume, une initiative mal vue des minorités religieuses qui ne manqueront pas d’utiliser à leur avantage ce précédent un jour ou l’autre.
Comme le faisait remarquer Sir Tim Brighouse, ancien directeur de l’éducation à Birmingham, « l’affaire des chevaux de Troie dans nos écoles soulève une question délicate, à savoir la place de la religion dans les écoles…. Ce qui est urgent c’est de terminer l’adoration collective quotidienne de nature chrétienne dans les écoles et académies «nonfaith». C’est une source de friction entre les directeurs d’école et les membres musulmans des conseils dans les écoles à prédominance musulmane. Cela mène très naturellement à penser que la religion, en dehors du programme agréé, a une influence légitime sur le curriculum. Ce n’est pas le cas. »
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