Compte-rendu de conférence « Conversation sur la beauté » tenue au Centre humaniste de Montréal le 6 Novembre 2014

par Jan 18, 2015activités, Québec humaniste, Transcriptions de conférences0 commentaires

CLAUDE BRAUN

CLAUDE BRAUN

Administrateur et éditeur en chef du "Québec humaniste"

Claude Braun a été professeur de neurosciences cognitives à l'UQAM de nombreuses années. Retraité depuis peu, Il a publié nombres de documents de recherches sur le sujet. Il a été également éditeur du "Québec laïque"  et est depuis quelques années l'éditeur en chef  de notre revue "Québec humaniste" Il a également publié "Québec Athée" en 2010. Téléchargeable gratuitement en utilisant ce lien avec  les compliments de l'auteur.

Michel Lincourt

Michel Lincourt

Michel Lincourt, PhD (Georgia Tech),

Auteur de Mémoire de Lumières et membre du CA de l’Association humaniste du Québec

avec Dujka Smoje et Michel Lincourt

Il y a eu un auditoire sympathique et sympathisant à cette soirée sur la beauté. Les conférenciers se sont bien préparés et connaissaient bien leur sujet. Leurs projections électroniques et extraits musicaux étaient fort beaux. Leurs propos furent toutefois à l’occasion un peu désarçonnant pour ceux qui ne sont pas familiers avec le discours des théoriciens de l’esthétique. J’ai l’impression que les deux ont essayé de se positionner un peu différemment l’un de l’autre, mais comme les présentations ont été un peu longues, il semble que la nuance ait échappé à l’auditoire.

Il me semble à moi que la position de Dujka tendait davantage vers l’idéalisme. Je la cite : « Le […] dernier palier [est celui de] l’œuvre en soi, zone interdite, dont la connaissance directe est inaccessible, car elle appartient à la sphère idéale, immatérielle, atemporelle. L’œuvre [est] idéale, portant en puissance de multiples possibilités de réalisation, libre des limites du temps et de l’espace ». Il faut dire que son objet, la musique, se prête davantage à ce positionnement, l’objet étant beaucoup plus évanescent que l’objet des autres arts tels peinture, architecture, etc. Tandis que la position de Michel tendait vers le matérialisme. Je le cite : « La beauté est une valeur de dignité inhérente à une chose, un attribut positif et émotionnel qui génère un plaisir chez l’humain qui l’observe. La beauté incorpore la vérité, la symétrie, la mesure, l’équilibre, la convenance, l’harmonie, le rythme, le contraste, la couleur, la texture, la lumière et l’ombre, et l’ordre. La beauté peut être ‘libre’ ou naturelle comme la beauté d’une rose; ou elle peut être ‘dépendante’ ou culturelle comme la beauté d’un sabre japonais ». Il faut dire que tous les objets d’art auxquels Michel a renvoyé étaient des objets matériels (peintures, dessins, bâtiments, etc.). À la période de discussion, cette subtile différence de points de vue, l’un idéaliste et l’autre matérialiste, n’a pas été relevée par l’auditoire.

Plutôt, l’auditoire s’est intéressé à un aspect particulier de la présentation de Dujka ainsi qu’à deux aspects particuliers de la présentation de Michel. En ce qui concerne Dujka, c’est son analyse de ce qui n’est pas beau, le kitsch, qui a surpris. De toute évidence, Dujka n’aime pas le kitsch. J’en fus fort surpris. J’ai adoré le film « Delicatessen » qui est une ode au kitsch. Et comme j’ai été pauvre comme Job jusqu’à l’âge de 34 ans, j’ai vécu ma jeune vie adulte dans le kitsch, satisfait de ma situation, sans avoir jamais remis ce long épisode trop en question. J’en ai simplement émergé par « pouvoir d’achat ». Dujka explique d’abord que ce n’est pas la laideur qui est le contraire de la beauté, c’est le kitsch. Voici les qualificatifs qu’elle a donnés de ce qu’est le kitsch : plaisir instantané, production de masse, plaisir du consommateur, démagogie, conformisme, opportunisme, éclectisme, redondance, sentimentalité, sensiblerie, émotions faciles, subjectives, surcharge, bavardage.

« Le mot kitsch désigne l’attitude de celui qui veut plaire à tout prix et au plus grand nombre. Pour plaire, il faut confirmer ce que tout le monde veut entendre, être au service des idées reçues dans le langage de la beauté et de l’émotion. Il nous arrache des larmes d’attendrissement sur nous-mêmes, sur les banalités que nous pensons et sentons. » Kundera

L’auditoire a ensuite constaté que Dujka avait effectivement de la suite dans les idées puisque sa première définition de la beauté en termes de qualificatifs consista en une série d’antonymes de sa définition du kitsch : unité, cohérence, nécessité intérieure, secret, profondeur, émotions musicales, tendance vers l’abstraction, force du non-dit. C’est très exigeant comme liste de critères… Mais tout de même, l’auditoire restait réceptif. Dujka est allée au plus loin de son argument en stipulant que le seul critère objectif de la beauté est le temps, c’est-à-dire, bien entendu, la capacité de l’œuvre de produire les émotions musicales pertinentes à travers les générations… Et finalement, pour faire bien comprendre que sa position est assez idéaliste, elle a cité Hegel : « …dans l’art nous n’avons pas affaire à un jeu simplement agréable et utile, mais… au déploiement de la vérité. » Hegel, Esthétique, III. Il y a eu une question sur cette hypostase après la présentation, mais nous sommes tous restés un peu dans le mystère à son sujet.

En ce qui concerne Michel, sa position sur la beauté est qu’elle est « objective, universelle et éternelle ». Là où il a été le plus convaincant dans son argumentaire, c’est lorsqu’il a expliqué, et ceci fut instructif, voire même inspirant pour l’auditoire, la célèbre « divine proportion » ou « nombre d’or » qu’on retrouve partout dans les arts visuels et l’architecture. Voici sa définition : couper un segment de droite à l’endroit où le ‘tout sur le grand’ égale ‘le grand sur le petit’ : ou couper pour obtenir la relation a+b/a = a/b. Si a = 1, alors a+b = 1,6180339887 . . . ou ‘phi’.

L’auditoire a été par la suite médusé toutefois par son très long parcours à travers les représentations, d’artistes de différentes époques, de la forme féminine (plusieurs centaines de portraits) qui selon lui illustraient quelque chose de récurrent et d’objectif. Et d’entendre notre esthète se réjouir à voix haute de la beauté de quelques centaines de femmes mises en portrait, et argumentant, convaincu comme une mule, que le corps de la femme, pas celui de l’homme, a toujours été et sera toujours inspirant pour les artistes de par son élégance, la douceur de ses courbes, etc. Quelques regards amusés ont été échangés dans la salle. Lincourt aime les femmes…

Et Dujka aime Bach. Ça, nous l’avons très bien compris, et nous avons partagé cet attachement avec beaucoup de bonheur et un peu de bonhomie affectueuse. Le philosophe de l’esthétique n’est-il pas forcément celui qui ne peut accepter l’insensibilité des autres et qui passe donc sa vie à essayer d’expliquer ce qui ne sera jamais pleinement saisi ?

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