La situation confuse en Syrie face à l’État Islamique (EI)
Rodrigue Tremblay
Rodrigue Tremblay est professeur émérite d’économie à l’Université de Montréal.
Ex ministre du Parti Québécois, économiste et membre de l’Association humaniste du Québec. Il est l’auteur des livres « Le nouvel empire américain », « Le Code pour une éthique globale », de même que son dernier publié aux Éditions Fides et intitulé « La régression tranquille du Québec, 1980-2018 ».
On peut le contacter à l’adresse suivante :rodrigue.tremblay1@gmail.com.
« [Il y a] « trois façons d’influencer la politique américaine: faire des dons aux partis politiques; créer des groupes de réflexion; et prendre le contrôle des médias. » Haim Saban, milliardaire pro-israélien, pourvoyeur majeur de fonds politiques, et conseiller de la candidate à la présidentielle américaine Hillary Clinton, (en 2009)
« [Il existe] « un mémo [au Pentagone] qui décrit la façon dont nous [les USA] allons prendre le contrôle de sept pays en cinq ans, à commencer par l’Irak, puis la Syrie, le Liban, la Libye, la Somalie, le Soudan et, pour terminer, l’Iran. » Le général Wesley Clark, ancien commandant suprême des forces alliées de l’OTAN (1997- 2000), (lors d’une entrevue, le 2 mars 2007)
« Ensuite, les politiciens vont inventer des mensonges crasses, blâmant le pays qu’ils veulent attaquer, et tous les citoyens absorberont ces faussetés, leur conscience étant apaisée, et ces mensonges crasses seront diligemment étudiés, et ils refuseront d’examiner toutes autres réfutations. » Mark Twain (1835-1910), auteur et satiriste américain
« Le président n’a pas le pouvoir, en vertu de la Constitution américaine, d’autoriser unilatéralement une attaque militaire quand il n’existe pas une menace réelle ou imminente contre notre pays. » Le sénateur Barack Obama (D.-Ill.), (lors d’une entrevue, le 20 décembre 2007)
« Notre objectif est clair, et c’est de: dégrader et de détruire l’EI de sorte qu’il ne soit plus une menace, non seulement pour l’Irak mais aussi pour le Proche Orient et pour les États-Unis. » Prés. Barack H. Obama, (lors d’une conférence de presse, le 3 septembre 2014)
La situation chaotique qui prévaut présentement en Syrie, un pays de 22 millions d’habitants, laquelle a provoqué la mort de quelques 220 000 syriens et créé de 6 à 8 millions de réfugiés, lesquels fuient présentement vers l’Europe, est des plus déroutante.
D’un côté, le gouvernement américain de Barack H. Obama a transgressé ouvertement le droit international en soutenant d’une manière active et en armant une insurrection et une guerre civile contre le gouvernement de Bashar al-Assad en Syrie. De l’autre côté, ce même gouvernement étatsunien fait mine de considérer illégitime l’organisation terroriste de l’État Islamique (EI), soutenue de l’extérieur par la mouvance sunnite, et déclare vouloir la « dégrader et la détruire » à l’aide de bombardements.
Si un gouvernement étranger voulait détruire un pays et le mettre en ruines, ce serait probablement la chose à faire, car c’est ce que le gouvernement américain a fait au cours des dernières années en soutenant les protestations contre le gouvernement syrien et en fomentant un soulèvement contre ce même gouvernement, selon le modèle des révolutions colorées que la CIA a parrainées dans plusieurs autres pays (révolution des roses en Géorgie en 2003, orange en Ukraine en 2004 et en 2014 et des tulipes au Kirghizistan en 2005, etc.). Pour cette raison, on peut dire que le gouvernement américain a facilité, directement et indirectement, la montée de l’extrémisme islamique au Proche Orient, dans l’espoir que ce dernier réussisse à renverser le régime séculier de al-Assad.
Dès le début, donc, la position étatsunienne au Proche Orient a été des plus ambivalentes, des plus irresponsables, des plus inconsistantes, des plus incohérentes, des plus mal pensées, des plus indécentes, des plus insensées, des plus destructrices et des plus immorales, car elle a fortement contribué à déstabiliser l’Irak et la Syrie, en plus de faire des millions de victimes et de faciliter la montée du monstre psychopathe qu’est l’EI.
En effet, le chaos que les interventions extérieures ont provoqué en Syrie semble être une répétition de ce que le gouvernement Obama-cum-Hillary Clinton a fait dans un autre pays de la région, soit la Libye, lorsque ce dernier pays a été déstabilisé et détruit de fond en comble par une intervention extérieure, et réduit à un état d’anarchie. C’est aussi une répétition de ce que le gouvernement de George W. Bush a fait en Irak avec son incursion militaire de 2003, dans le but d’effectuer illégalement par la force un changement de régime dans ce pays, pays qu’il a laissé ensuite complètement détruit et dysfonctionnel. Toutes ces interventions ont produit des catastrophes humaines innombrables.
Détruire des pays, en dehors de tout cadre légal et sans aucune empathie pour la souffrance humaine de millions de gens semble avoir été la politique officielle du gouvernement des États-Unis au cours des vingt dernières années, et cela continue, qui que ce soit qui siège à la Maison Blanche à un moment donné, qu’il soit Républicain ou Démocrate.
On voit ici un modèle que même les cerveaux les plus mal informés et les plus malhonnêtes ou les plus obtus ne peuvent manquer d’observer. Nous savons tous que cela a commencé il y a une vingtaine d’années avec le plan très médiatisé d’une clique pro-Israël néoconservatrice, laquelle s’est retrouvée comme par hasard à conseiller les gouvernements américains successifs, à commencer par le gouvernement de George H. Bush de 1989-1993. L’objectif premier de ces néocons était de remodeler et de transformer (c.-à-d. déstabiliser et détruire) l’ensemble des pays arabes du Proche Orient, en provoquant l’effondrement et la désintégration des pays voisins d’Israël (l’Irak, la Syrie, la Libye, etc.), et en utilisant pour ce faire la puissance militaire américaine et celle de l’OTAN.
Et de nos jours, le gouvernement Obama travaille ardument à détruire délibérément et d’une manière immorale le pays de la Syrie, et cela pour plaire au gouvernement israélien et aux gouvernements d’autres alliés tels celui du régime totalitaire wahhabite de l’Arabie saoudite et celui de plus en plus islamiste de la Turquie. Tout comme il n’y avait aucune organisation al-Qaïda en Irak avant que le gouvernement de Bush-Cheney envahisse le pays en 2003, il n’y avait pas d’Etat islamique (EI) en Syrie avant que les USA et leurs alliés ne s’appliquent, à compter de 2011, à soutenir l’insurrection contre le régime syrien d’al-Assad.
Entouré de ses conseillers néoconservateurs, sans doute nommés à ces postes stratégiques sur la recommandation de riches contributeurs politiques, le président Barack H. Obama donne le triste spectacle d’un homme politique qui s’est graduellement transformé en une image conforme de George W. Bush, se servant de mensonges et de faux prétextes pour justifier une politique américaine incohérente et déstabilisatrice au Proche Orient.
Tantôt, il déclare que la politique de son gouvernement consiste « à dégrader et à détruire » le Califat meurtrier qu’est l’EI; plus tard, il donne son appui tacite ou explicite au président démagogue de la Turquie, Recep Tayyip Erdogan, d’attaquer avec des avions de combat F-16 la seule force crédible sur le terrain pour lutter contre l’EI, en dehors des forces armées des gouvernements irakiens et syriens, soit les milices kurdes.
Et quand le gouvernement russe de Vladimir Poutine veut apporter un soutien au gouvernement syrien assiégé de Bachar al-Assad, ce dernier étant encore le gouvernement légitime de ce pays soit dit en passant, le président étatsunien de Barrack H. Obama non seulement dénonce un tel appui, mais il va jusqu’à enjoindre la Russie ne pas le faire, affirmant curieusement que les efforts de la Russie pour soutenir le gouvernement syrien contre l’EI sont « voués à l’échec »! Quelle stratégie et quel échec? On aimerait bien le savoir.
En effet, si le président Obama était vraiment sérieux quand il dit vouloir « éradiquer » le cancer médiéval terroriste qu’est l’EI, comme il le prétend, on pourrait penser qu’il devrait logiquement accueillir toute collaboration pour atteindre cet objectif, qu’une telle collaboration vienne de la Russie ou de l’Iran, ou de tout autre source. Mais non ! M. Obama dit plutôt que cette contribution à la solution du problème syrien n’est pas du tout la bienvenue, alors même que les assassins de l’EI consolident leur contrôle sur une grande partie de la Syrie et de l’Irak, et qu’ils continuent de décapiter et de persécuter les Assyriens chrétiens, les chiites et les autres groupes ethniques. Le résultat bien sûr est la création de millions de réfugiés que seule l’Europe semble prête, bien qu’à contrecœur, à recevoir, après qu’ils ont été expulsés de la Turquie, du Liban ou de la Jordanie, et après que les autres pays arabes parmi les plus riches de la région, tels l’Arabie saoudite et le Qatar, etc., leur ferment les portes.
Cela n’a aucun sens. —Quand M. Obama est-il sincère ? Quand il dit que les attaques de sa « coalition » et de l’OTAN en Syrie visent à « éradiquer l’EI », ou quand il dit qu’il n’a « aucune autorité légale pour provoquer un changement de régime d’inspiration néoconservatrice en Syrie » ?
Si le Président Obama ne veut pas combattre les terroristes de l’al-Qaïda, le groupe derrière les attaques du 9/11, et son proche allié l’État islamique (EI), il devrait à tout le moins permettre que ceux qui veulent se battre contre eux le fassent. Aujourd’hui, il semble beaucoup plus soucieux d’entraîner et d’armer des petits groupes de soi-disant rebelles syriens islamistes dits « modérés », (et qui n’ont aucune chance en enfer de prendre le contrôle du gouvernement syrien), que de combattre sérieusement les terroristes d’al-Qaïda et de l’État islamiste (EI), car ce sont eux qui prendraient le pouvoir en Syrie si le gouvernement d’al-Assad en venait à tomber. Au contraire, depuis des mois M. Obama a fait de son mieux pour neutraliser les efforts des Kurdes, des Iraniens et des Russes, en plus de mettre des bâtons dans les roues du gouvernement d’al-Assad, dans leur lutte contre les terroristes islamistes. Pourquoi ? Quelqu’un pourrait-il lui demander pourquoi ? Et, dans quel but ?
Les frappes aériennes américaines en Irak et en Syrie contre les terroristes islamistes ont été jugées inefficaces depuis le début, et l’EI en a fait la démonstration en poursuivant son expansion, sans doute parce que ces attaques très sélectives n’ont jamais été une priorité pour le gouvernement de Barack H. Obama. Elles ont servi plutôt à camoufler en secret et d’une manière tout à fait malhonnête le véritable objectif des bombardements US-OTAN pour jeter de la poudre aux yeux.
En fait, cet objectif ne vise pas à prioriser la destruction de l’EI ni même à le repousser, mais vise plutôt à provoquer illégalement un changement de régime en Syrie. Cela se fait par l’appui accordé à des groupes différents de rebelles islamistes au fil du temps. C’est là un jeu dangereux. C’est une politique qui semble avant tout motivée principalement par des considérations économiques grossières, soit de permettre la construction de pipelines à travers la Syrie à partir du Moyen-Orient vers l’Europe, la Turquie et Israël.
La politique machiavélique des États-Unis est non seulement de déstabiliser et de détruire l’ensemble du Proche Orient, elle est maintenant sur le point de déstabiliser et détruire l’Europe elle-même avec des millions de migrants et de réfugiés fuyant le chaos qui a découlé de l’invasion américaine de l’Irak en mars 2003 et de son soutien et celui de ses alliés à l’insurrection en Syrie depuis 2011.
Les pays européens ont déjà suspendu l’Accord de Schengen en matière de liberté de circulation des personnes au sein de l’Union européenne (UE), et il faut prévoir que d’autres décisions stratégiques similaires de désintégration européenne par les Etats membres soient prises dans les prochains mois, si l’avalanche de migrants et de réfugiés se poursuit sans relâche depuis le Moyen-Orient et l’Afrique du nord.
Depuis que les néoconservateurs dominent la politique étrangère américaine, les interventions militaires américaines dans le monde ont été une source de grande instabilité et de destruction dévastatrice. Elles ont produit désastre sur désastre, avec des centaines de milliers de morts et des millions de personnes déplacées et appauvries, contraints en bout de ligne à l’exil.
Jusqu’à présent, au moins trois pays ont été complètement détruits, à savoir l’Irak, la Libye et la Syrie, et c’est sans compter le carnage qui se passe en Afghanistan. Au Yémen, avec le soutien des Etats-Unis, les bombardements de l’Arabie Saoudite ont déjà réduit la population à un état de précarité aussi extrême qu’en Syrie.
Les politiciens américains et le gouvernement étatsunien d’Obama ne peuvent pas fermer les yeux et se laver les mains devant ce désordre chaotique parce ce sont eux qui l’ont commencé, et pour cette raison, ils ont une responsabilité particulière de l’enrayer et de le corriger, en contribuant à ramener la paix et l’ordre dans cette partie du monde.
Les politiciens américains et le gouvernement étatsunien d’Obama ne peuvent pas fermer les yeux et se laver les mains devant ce désordre chaotique parce ce sont eux qui l’ont commencé, et pour cette raison, ils ont une responsabilité particulière de l’enrayer et de le corriger, en contribuant à ramener la paix et l’ordre dans cette partie du monde.
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