La formation en éthique passe par la formation de l’intelligence émotionnelle

par Août 23, 2016Articles de fond, Éthique, Québec humaniste0 commentaires

François Richer

François Richer

Membre de l’Association humaniste du Québec

François Richer PhD est neuropsychologue et professeur titulaire de neurosciences cognitives à l’UQAM. Il est aussi coordonnateur du programme de formation libre d’accès naturehumaine.org

La socialisation, l’éducation à la citoyenneté et le développement du jugement moral sont des objectifs importants du système scolaire. Au Québec, la formation en éthique est une pierre angulaire de ces objectifs. La formation
scolaire en éthique a pris ses sources en philosophie et en sociologie, des terrains naturels de débats sur ces questions.
Cependant, on semble avoir oublié un pan fondamental du jugement moral, la nature humaine, la psychologie des bases
affectives, cognitives et relationnelles de nos jugements éthiques.

L’éthique a des bases psychologiques profondes. Le jugement moral est une composante de l’intelligence émotionnelle et sociale. L’intelligence émotionnelle est l’objectif de développement implicite et peu reconnu des formations à la socialisation dont la formation en éthique. La question du comment vivre ensemble est indissociable d’une autre question, soit : comment sont faits les humains, quelles sont leurs forces et leurs limites et comment expliquer leurs différents comportements.

La formation en éthique est fondamentalement une formation de l’intelligence émotionnelle et sociale. Le fait de comprendre que les émotions biaisent les pensées permet de relativiser les commentaires désobligeants ou les actions impulsives et donc de juger moins vite et moins fermement. Le fait de comprendre que les gens peuvent différer dans leur degré d’empathie permet de mieux comprendre les manques de reconnaissance. Le fait de savoir que les gens ont un besoin de fierté fondamental permet de mieux comprendre les excès d’orgueil et les conflits. Le fait de comprendre que les gens ont des besoins d’attachement fondamentaux permet de mieux comprendre la détresse liée au rejet et à l’exclusion.

Les savoirs sur les humains fournissent des bases éthiques fondamentales en favorisant des attitudes et des comportements mieux informés des possibilités et des contraintes de l’action. Quand on réfléchit aux valeurs qui guident nos actions, on doit tenir compte de qui on est, de comment on fonctionne, de nos élans, nos influences, ainsi que nos réactions aux signaux sociaux comme l’approbation ou la réprobation. Les valeurs morales comme le respect ou la justice se développent entre autres en reconnaissant a) la fragilité et l’interdépendance des humains, b) la richesse et l’utilité des différences individuelles, et c) la réciprocité des interactions sociales. L’ouverture et la tolérance passent aussi par une meilleure connaissance des traits communs et des aspirations communes des humains. Les connaissances sur la nature humaine permettent aussi de mieux comprendre les réactions de notre entourage ainsi que les nôtres, de mieux communiquer nos pensées, nos opinions et nos émotions et de mieux gérer les situations difficiles. L’auto-observation et le savoir-être sont des habiletés fondamentales qui favorisent l’adaptation et qui contribuent à réduire la détresse et les conflits. Plus on se connait, plus nos valeurs sont claires et plus notre solidarité par rapport à la communauté est élevée.

Plusieurs travaux indiquent que l’intelligence émotionnelle se développe surtout avec des expériences d’interactions avec les autres à différents niveaux comme l’apprentissage du partage, de la réciprocité et du respect verbal entre 1 et 5 ans, ou l’apprentissage des compromis et des contrats sociaux entre 5 et 20 ans. Le développement de la maturité émotionnelle et sociale est très variable d’un individu à l’autre et dépend d’une foule de facteurs dont les fragilités individuelles, les exemples du milieu familial et social et les expériences marquantes (coups durs, échecs, succès, voyages …).

La formation en éthique peut compléter les expériences de la vie en insufflant une réflexion sur les principes qui sous-tendent ces apprentissages (ex : La réciprocité du « Ne fais pas à l’autre ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse »). Cependant, l’impact de la réflexion éthique peut être faible si elle n’est pas ancrée dans des situations réelles situées dans leur contexte. Par exemple, un dilemme moral peut sembler difficile s’il est présenté de façon abstraite. Par contre, s’il est accompagné d’un scénario soulignant les impacts négatifs importants pour les victimes, il évoquera des réactions d’empathie émotionnelle qui peuvent éclairer et simplifier le débat. La moralité fait beaucoup plus appel aux cognitions affectives qu’au raisonnement. Les cognitions affectives sont guidées par l’anticipation des conséquences émotionnelles de différents scénarios examinés. Ces cognitions affectives nous servent à éviter des risques, à deviner la souffrance des autres, à éviter la réprobation et à développer des attitudes socialement acceptables.

La réalité des jeunes comporte souvent de la violence verbale, des dépendances, des écarts de comportements ou des troubles de santé mentale. Comprendre les écarts et les excès aide à contextualiser les jugements sans tomber dans le relativisme absolu où tous les points de vue sont égaux.

La formation en éthique a un urgent besoin d’intégrer des notions de base sur la nature humaine qui modulent nos aspirations et nos conceptions de notre place dans la société. Par exemple, les questions concernant l’autonomie individuelle sont intimement liées à nos connaissances sur les limites du libre arbitre et l’influence des émotions et des besoins sur nos décisions et nos actions. Les discussions sur l’ambivalence de l’être humain sont quant à elles intimement liées à nos besoins d’attachement et d’affiliation ainsi qu’à notre peur de l’inconnu.

La formation sur la nature humaine est un des rôles les plus nobles de l’enseignement. Les enseignants accompagnent nos jeunes dans leur développement et les discussions sur la nature humaine permettent d’aborder des questions qu’ils trouvent prioritaires : qui ils sont, quelles sont ces émotions qui les guident et parfois les assaillent et comment se fait-il que les conflits sont faciles à démarrer et difficiles à régler. Plusieurs jeunes sont peu équipés pour comprendre comment on peut arriver à se faire exploser dans une foule au nom d’une vision extrémiste. Cependant, la plupart des jeunes sont enthousiastes à l’idée d’analyser pourquoi une collègue est intolérante, méfiante des étrangers, peu empathique, grognon, anxieuse ou jalouse. La formation des enseignants dans la discussion de ces notions de base devrait être une priorité. Ces notions peuvent prévenir des conflits, de la détresse, de l’intimidation et des suicides. Elles peuvent aussi réduire le décrochage en favorisant une plus grande introspection.

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *