Compte rendu de lecture du livre de Marie-Claude Lortie et Jean-Martin Fortier intitulé L’Avenir est dans le champ publié en septembre 2020 aux Éditions de La Presse
CLAUDE BRAUN
Administrateur et éditeur en chef du "Québec humaniste"
Claude Braun a été professeur de neurosciences cognitives à l'UQAM de nombreuses années. Retraité depuis peu, Il a publié nombres de documents de recherches sur le sujet. Il a été également éditeur du "Québec laïque" et est depuis quelques années l'éditeur en chef de notre revue "Québec humaniste" Il a également publié "Québec Athée" en 2010. Téléchargeable gratuitement en utilisant ce lien avec les compliments de l'auteur.
L’intérêt du livre est qu’il explique de façon claire et détaillée tant la menace que la solution. Par ailleurs, il est à noter que ce livre, très terre-à-terre, n’est pas un manifeste ou un réquisitoire strident, rédigé par ceux que d’aucuns qualifieraient de têtes brulées apocalyptiques, d’éco-fascistes ou d’éco-terroristes, dépourvus d’expertise, etc. Bien au contraire, l’allure de ce livre est celle de l’amour et d’une grande maîtrise de la plus noble des fonctions humaines, celle consistant à bien nourrir l’humanité. Il fait état d’un embryon de révolution d’agriculteurs consciencieux qui se préoccupent de la santé de la planète en trouvant concrètement et scientifiquement les moyens de vraiment gagner leurs vies à ce faire. Le livre est remarquable aussi parce qu’il fait un tour relativement complet des problèmes de l’agri-business ainsi que de la solution globale requise et des solutions particulières au Québec –qui sont très différentes de celles applicables ailleurs.
Prenons un exemple de ce que le livre nous apprend, celui de la destruction de l’écologie des sols, présentement en cours, par les pratiques de l’agriculture industrielle. Voici ce qui a été solidement établi par des recherches scientifiques. L’agri-business a évolué vers un modèle mondial d’exploitation d’immenses champs par de grosses machines, qui charcutent la terre en profondeur avec le néfaste rotoculteur, en monoculture, avec des marées d’engrais synthétiques génériques et une saturation de pesticides et herbicides génériques utilisés à profusion, et sans remplacement de la matière tirée des sols. Une part importante et toujours croissante de la culture sert à cultiver des plants pour la consommation animale pour l’industrie de la viande, ainsi que quelques plantes malsaines pour l’obtention de sucre, gras et protéines malsaines pour l’industrie de la transformation alimentaire industrielle.
Les effets de ces pratiques incluent l’écoulement et absorption toxique des pesticides et engrais dans l’environnement jusqu’à notre table. Il y a plus d’un milliard d’organismes vivants dans chaque centimètre cube de bonne terre noire. Il y a trois assauts par l’agri-business sur la viabilité des sols eux-mêmes : 1. l’amincissement progressif de la mince et fragile nappe de terre noire par le non-remplacement de matière organique, 2. la contamination de la terre par les pesticides, herbicides et engrais : cette contamination rend la terre progressivement de plus en plus stérile et incultivable et consiste en un génocide de masse de tout ce qui vit dans la terre (bactéries, insectes, lombrics), 3. la compaction extrême de la terre par la pratique de la rotoculture en profondeur : il faut comprendre que cette pratique crée un champ de boue qui en s’asséchant devient dure comme de la brique, ce qui a pour effet de désoxygéner la terre et la rendre intraversable, particulièrement par les lombrics, mais aussi par les racines des plantes elles-mêmes. L’agri-business contamine aussi les sols, l’air et les cours d’eau entre autres à cause de problèmes de gestion de gigantesques hordes d’animaux d’élevage comportant de terribles problèmes de gestion des lisiers et des infections. Tout ceci forme une loupe de rétroaction positive toxique amplificatrice qui fait en sorte qu’il faut chaque année utiliser de plus grandes quantités et de plus grandes variétés d’engrais synthétiques, pesticides et herbicides, de plus en plus toxiques et dangereux, dans les champs, que le risque de contamination virale ou bactérienne des cultures pour consommation animale ou humaine augmente, que toutes les plantes cultivées pour la table présentent des qualités nutritives constamment décroissantes, que des superficies croissantes de terre deviennent inévitablement et rapidement incultivables à l’échelle planétaire. La terre est un puissant séquestrateur de carbone, en soi, mais l’agri-business d’aujourd’hui réduit considérablement la faculté qu’ont les sols de séquestrer le carbone. Toute l’infrastructure de l’extraction de masse (machinerie de production des pesticides, herbicides et engrais, machinerie de ferme, machinerie du séchage des grains, etc.) produit aussi directement une quantité importante de gaz à effet de serre. Tout ceci a pour conséquence de gravement accélérer le réchauffement global de la planète.
Voyons quelles sont les solutions préconisées par nos auteurs. Ce sont celles, tout simplement, que proposent aujourd’hui les scientifiques avec l’expertise pertinente qui ne sont pas à la solde de l’agri-business. Il faut cultiver des champs beaucoup plus petits avec une machinerie beaucoup plus légère, ne jamais faire de monoculture, stopper la rotoculture en profondeur, abolir les pesticides et herbicides génériques (qui ne bénéficient qu’aux multinationales de la chimie) et utiliser seulement des pesticides biologiques bénins ciblés pour les problèmes spécifiques, au fur et à mesure de leur apparition, ainsi que diverses techniques non chimiques comme le filet qui empêche les insectes nuisibles d’infester les champs avec leurs larves ou piquer les fruits et légumes. Ceci doit être fait exactement à la période de l’année et seulement à l’endroit où la chose est nécessaire. En ce qui concerne les plants « indésirables » (communément dénommés mauvaises herbes), il faut utiliser une multitude de stratégies (géotextiles, bâches, plants antagoniques, biodiversité équilibrante, sarclage ultraléger –juste au bon moment, etc.). Il faut abolir les engrais synthétiques et les remplacer par des engrais biologiques qui vont maintenir le volume de la nappe de terre noire, qui ne vont pas s’écouler, ne vont pas empoisonner l’écologie vivante de la terre elle-même et sont optimisés pour la plante que l’on cultive. Il faut cultiver de préférence les plants qui s’arriment naturellement avec l’écologie spécifique du territoire (climat, topographie, géologie, hydrologie, etc.). Ce modèle a été testé à échelle primitive (on peut faire beaucoup mieux) pendant des dizaines de milliers d’années. Un champ peut nourrir des humains, et bien les nourrir, pendant des milliers d’années. Mais un champ géré par l’agri-business d’aujourd’hui nourrit mal les animaux et les gens et a une espérance de vie de quelques décennies seulement.
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