Jack Kevorkian et Janet Adkins : Héros humanistes

CLAUDE BRAUN
Administrateur et éditeur en chef du "Québec humaniste"
Claude Braun a été professeur de neurosciences cognitives à l'UQAM de nombreuses années. Retraité depuis peu, Il a publié nombres de documents de recherches sur le sujet. Il a été également éditeur du "Québec laïque" et est depuis quelques années l'éditeur en chef de notre revue "Québec humaniste" Il a également publié "Québec Athée" en 2010. Téléchargeable gratuitement en utilisant ce lien avec les compliments de l'auteur.
Murad Jacob (Jack) Kevorkian (1928-2011) fut un médecin américain qui passa sa vie à promulguer le don d’organes et le droit à l’aide médicale à mourir. Le Dr Kerkorian est le célèbre inventeur d’une machine, qu’il nomma le thanatron, qui administre en séquence avec des solénoïdes, des drogues ou des gazes garantissant un décès sans douleur et rapide. Il suffit pour le patient d’actionner un interrupteur. Plusieurs noms de légende lui ont été attribués, dont « l’ange de la mort », « docteur-suicide », etc.
Jack Kevorkian fut élevé dans une famille chrétienne, mais devint athée dès l’enfance. Il fut un enfant prodige intellectuellement et musicalement. À partir de 1980 il commença à dénoncer la douleur atroce et les conditions de vie horribles de patients en attente de décès. Il devint porte-parole hautement médiatisé du droit à l’aide médicale à mourir. En 1990, il aida une première patiente à mourir dans l’État du Michigan. Cette patiente était Janet Adkins, atteinte d’une forme précoce de maladie d’Alzheimer. Sous l’œil attentif du Dr Kerkorian Janet appuya sur l’interrupteur du thanatron… Le docteur et son patient s’accordèrent pour que beaucoup d’aspects du décès et de l’état d’esprit de la patiente soient filmés et rendus publics, afin de promouvoir le droit à l’aide médicale à mourir. Tel qu’il avait été prévu, le Dr Kerkorian fut poursuivi en justice et il fut acquitté. Selon son avocat, il aida 130 personnes à finir leurs jours. Le Dr Kevorian fut cinq fois poursuivi en justice (et acquitté) pour le même motif. En 1998, presque inexplicablement, il se mit en scène publiquement, devant la caméra, en train de pratiquer lui-même une euthanasie par injection. Le patient, Thomas Youk, souffrait de la maladie de Lou Gherig (sclérose amyotrophique latérale). On pourrait presque dire que Kevorkian obtint ce qu’il recherchait : le statut de martyr pour la bonne cause, car il fut trouvé coupable de meurtre et passa huit ans en prison. Cependant, d’interpréter ainsi ce geste fatidique du Dr Kevorkian serait de mal le connaître. Ce qu’il espérait était de forcer par la voie des tribunaux (en se fiant sur le sens commun et sur le jugement des jurys) les États à légaliser l’aide médicale à mourir de façon à ce que celle-ci ne soit plus pratiquée honteusement, clandestinement, et donc sordidement, et surtout au seul profit de quelques patients assez fortunés et éduqués pour savoir recruter de rares médecins sympathisants.
Dans l’ensemble, les campagnes médiatiques du Dr Kerkorian, et son sacrifice personnel ont eu pour effet d’améliorer grandement les soins aux grands malades aux États-Unis. Et en grande partie grâce à ses efforts, neuf des États américains ont adopté des lois permettant une forme ou une autre d’aide médicale à mourir. Un film a été tourné dans lequel Al Pacino a joué le rôle de Jack Kerkorian et dans lequel Susan Sarandon jouait aussi un rôle important (You dont know Jack, réalisé par Barry Levinson) [1]. Le Dr Kerkorian reçut le titre honorifique de héros humaniste en 1994 de la American Humanist Association. Il y adressa plusieurs fois des conférences.

La vaste majorité des gens avec la maladie d’Alzheimer, qu’elle soit précoce ou pas, ne pensent jamais à se suicider. La plupart ne sont pas particulièrement souffrants. Mais plusieurs d’entre eux entrevoient la démence ou vivent le début de démence comme un fardeau dont ils voudraient se libérer par le suicide, ou de façon plus intéressante, par le suicide assisté. Ce sont typiquement des personnes pour qui la vie intellectuelle et l’autonomie d’action sont prioritaires. Au Québec, un exemple célèbre vient à l’esprit. Le cinéaste Claude Jutra, aux prises avec un début de maladie d’Alzheimer, sans autre raison de vouloir en finir, se lança du pont Jacques Cartier à l’âge de 56 ans. Le suicide médicalement assisté n’est pas pour tout le monde et c’est bien correct comme ça. Mais on se permet d’espérer que les Claude Jutra de ce monde puissent finir leurs vies dans de meilleures conditions et d’une meilleure façon…
- Film, You dont know Jack, réalisé par Barry Levinson, produit par Scott Ferguson (The People vs. Larry Flint, Brokeback mountain, etc.), 2010, HBO films, 134 minutes. Acteurs célèbres : Al Pacino, Susan Sarandon, John Goodman, et Danny Huston. Ce filme a été projeté au Cinéclub de l’Association humaniste du Québec.
- Clevenger, S. (2019). Dying to Die: The Janet Adkins Story. The true story of dying with the assistance of Dr Jack Kevorkian, as told by Ron Adkins and the family and friends who were left behind. Sacred Life Publishers.
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