De l’humilité
CLAUDE BRAUN
Administrateur et éditeur en chef du "Québec humaniste"
Claude Braun a été professeur de neurosciences cognitives à l'UQAM de nombreuses années. Retraité depuis peu, Il a publié nombres de documents de recherches sur le sujet. Il a été également éditeur du "Québec laïque" et est depuis quelques années l'éditeur en chef de notre revue "Québec humaniste" Il a également publié "Québec Athée" en 2010. Téléchargeable gratuitement en utilisant ce lien avec les compliments de l'auteur.
Ainsi l’Association humaniste américaine affirme que l’humilité est un des dix engagements les plus importants que puisse épouser un h humaniste. Ceci m’a surpris et m’a donné à réfléchir. Le texte qui suit n’est rien de plus qu’une réflexion personnelle, provisoire et non préalablement partagée sur les dix engagements de l’AHA. II n’engage en rien l’Association humaniste du Québec.
J’ai l’habitude de considérer l’humilité comme une valeur religieuse. Les termes « humain », « humanisme » et « humilité » partent de la même racine qui est « humus » signifiant terre ou « bas monde » où les créatures vivent sous le règne de Dieu qui est en haut dans le ciel. Jésus, Bouddha, Krishna et tant d’autres prophètes ne furent-ils pas d’humbles clochards un peu schizos ? Saint François d’Assise, cet autre modeste clochard, a semblé présenter, un bref moment, une véritable humilité ou modestie globale dans la mouvance du christianisme et il subsiste un ordre correspondant, celui tout petit et nettement minoritaire des franciscains… On remarque aussi une méfiance sincère de l’ego dans les récits hindous et bouddhistes. Les diverses religions prônent certainement la soumission, avec l’islam en tête dont le terme signifie exactement cela : soumission aux volontés d’Allah. Oui, presque toutes les religions prônent l’humilité. C’est mal parti pour les humanistes…
La soumission qu’exigent les révélations religieuses prend aisément la forme d’un absolutisme d’opinion, pouvant être d’une violence extrême. On voit bien que cette soumission ne correspond pas toujours à l’humilité des opinions ni des gestes. Les grandes religions prônent caractéristiquement aussi la tempérance et la pudeur. Ces admonestations s’adressent davantage aux femmes qu’aux hommes, les religions organisées étant incontournablement des systèmes déguisés de contrôle des mentalités populaires pour favoriser les empires. Tout empire a besoin de poules pondeuses dociles pour peupler le royaume ainsi que de chair à canon zélée, mais disciplinée aussi, pour défendre ou élargir ses frontières. Le prêtre a toujours été le fou du roi. Cette manipulation populaire opère « religieusement » sur les axes de la peur (peur de mourir, peur de l’enfer, que le Dieu/chef apaisera), de l’orgueil (fierté d’appartenir à un peuple choisi par une aussi splendide, grandiose et sublime chose que le Dieu/chef de circonstance), de la servilité (dis-moi, Dieu/chef, ce que je dois faire et je le ferai, en contrepartie de quoi tu me donneras ta protection).
J’avoue que ce qui m’a le plus impressionné des fervents religieux ordinaires du Québec fut l’immodestie de leurs croyances, attitudes, comportements, -attitude par ailleurs bien plus manifeste chez les fervants religieux masculins que féminins… J’ai bien connu le fanatisme religieux dans mes relations personnelles. Je sais comment cela retourne au quotidien. La ferveur religieuse prend la forme d’autoagrandissement parce que Dieu c’est le copain personnel, bien entendu, surtout chez les fervents masculins. Le fervent religieux monte sur la tête de l’agnostique ou de l’athée en affirmant en sa présence, sans aucune vergogne, en quoi il peut interpréter tout et n’importe quoi comme s’il était au téléphone en direct avec le créateur. Il prend un malin plaisir à ignorer ou à dénigrer l’opinion de l’interlocuteur interloqué.
Évidemment, dans les cas des fatwas, des lapidations, des croisades, des génocides (chrétiens, musulmans, hindous, bouddhistes), les hommes qui les exécutent ne sont pas étouffés par la modestie ni par l’humilité … Bien au contraire, ils sont imbus d’eux-mêmes et de leur supériorité. Pire, hélas ! Il y a de larges territoires sur notre planète, occupés par des centaines de millions de citoyens, où n’importe quel plouque illuminé religieux se pense parfaitement en droit de décapiter sur-le-champ un apostat, un agnostique ou un athée. Comme disait le bon docteur Osler : « plus on est ignorant, plus on est dogmatique » [1]. Pour résumer, l’absolutisme religieux
consiste précisément, me semble-t-il, en un grave manque d’humilité morale, intellectuelle et interpersonnelle. Ceci peut effectivement se traduire en leçon pour les humanistes.
Revenons donc à l’engagement d’humilité des humanistes que prône l’Association humaniste Américaine. Quelle est la valeur de l’humilité pour les humanistes ? N’est-il pas préférable d’affirmer haut et fort, avec joie et enthousiasme, et avec une grande conviction, notre message humaniste ? Pourquoi baisserions-nous la tête, pourquoi nous ferionsnous petits et tranquilles, nous les humanistes ? L’humanisme militant est-il un oxymore ? Un humaniste doit-il/elle ne jamais être tonitruant.e ? Doit-il/elle toujours s’abstenir de
prononcer un discours enflammé, à la manière de Martin Luther-King par exemple, lorsqu’il s’époumonait à crier sans douter, sans hésitation et sans appel, qu’ « on doit juger un humain par la teneur de son caractère et non par la couleur de sa peau » ? L’humaniste ne devrait-il pas être fier de sa vision du monde, de sa façon de vivre ? Prométhée, ce héros humaniste, n’eut-il pas la témérité de préférer les humains aux dieux, de piquer la flamme aux derniers pour la remettre aux premiers ?
N’y a-t-il pas aussi, par ailleurs, un grand danger d’hypocrisie à courtiser l’humilité? À quel moment devient-on trop fier d’être humble ? Et à quel moment l’humilité devient-elle une stratégie consciente ou inconsciente pour faire à croire aux gens qu’on ne veut pas les dominer, tout cela justement pour mieux finir par les dominer ou en tirer profit au moment opportun ? Le sanctimonieux Jean Vanier n’a-t-il pas utilisé cette stratégie de l’humilité pour aligner une ribambelle de proies sexuelles ? Qui n’a pas rencontré dans sa vie un prédateur se présentant comme un agneau ? D’ailleurs, une recherche sommaire sur Google montrera que la vaste majorité des sites glorifiant l’humilité, plus de 90 %, portent sur les stratégies requises pour être un bon gestionnaire : une main de fer dans un gant
de velours.
On note que quelques psychologues ont louangé l’humilité comme trait de caractère parfaitement laïque : dans leurs plaidoyers, l’humilité a consisté dans la propension à 1) se détacher de soi, et 2) trouver un équilibre entre l’auto-promotion et l’auto-dépréciation. [2] Soit, mais on n’est pas très avancé là… les psychologues ne sont pas toujours les auteurs les plus cohérents. S’il nous faut un équilibre entre l’auto-promotion et l’auto-dépréciation, alors la solution n’est certainement pas d’adopter un seul pôle.
Voulons-nous, les humanistes, nous transformer en larves sans initiative, sans respect de soi, sans ambition, sans rien à dire ? Cependant, ne serait-il pas une bonne idée que nous cessions d’être impressionnés par nous-mêmes juste assez pour chercher un peu à nous améliorer en nous inspirant des autres ? Oui, mais lesquels autres ? Voudra-t-on vraiment, en tant qu’humanistes, nous porter à faux contre la démocratie où chaque humain est censé avoir une valeur et une voix égale ? Ne faut-il pas, humblement accorder un poids égal à toutes les opinions ? Oui, mais que faire lorsque la foule devient vilaine, xénophobe, brutale, excitée, égoïste, décérébrée, assassine ? L’humanisme ne valorise-t-il pas la joyeuse curiosité, la constante posture de l’apprenant ? N’est-ce pas là d’emblée
une attitude d’humilité bien placée ?
Qu’en ont dit les philosophes ? Aristote ne tenait pas l’humilité en haute estime. Il préconisait d’être fier seulement lorsqu’on le mérite. Spinoza assimilait l’humilité à une forme de tristesse provenant d’un sentiment d’impuissance… Hume militait pour une posture humble sur un fond caché de fierté, un vrai Machiavel ! Nietzsche a assimilé l’humilité à la mentalité des esclaves. Cependant, il faut aussi reconnaître que ces philosophes ont tous adopté une posture non dogmatique en ce qui a trait à la recherche de la vérité. Bref, ils furent moins arrogants, narcissiques, et remplis d’eux-mêmes que les illuminés religieux de tout acabit [3].
Finalement, quel est mon verdict ? La charte des Dix engagements des humanistes américains est magnifique et inspirante dans l’ensemble. Mais l’humilité pose problème dans cette charte. L’humilité est sans doute une bonne chose, mais pas moins que la fierté qui est son contraire. Soyons fiers d’être humanistes, mais pas trop ! Soyons humbles comme humanistes, mais pas trop ! Et cherchons un autre engagement humaniste plus adéquat que l’humilité toute nue pour faire la dizaine. Ma préférence tend vers la notion de « partage ». Lorsqu’on partage TOUT, on ne fait pas que donner aux pauvres… et il ne suffit pas non plus d’être altruiste avec son
entourage. Il faut travailler, militer même, pour créer un monde où le partage coule de source, partout, tout le temps. Il s’agit d’une convivialité étendue à l’ensemble des humains autant qu’au premier venu. Ce partage riche ne se limite pas aux fruits de la Terre mais inclut les fruits de la personnalité humaine, c’est-à-dire le bénéfice de la rencontre de l’autre en tant que personne intégrale, pas seulement la personne en tant que rôle, service, utilité, etc.
Références
1. Braun, C. (2010). Québec athée. Montréal: Michel Brûlé.
2. Worthington Jr., Everett L. (2007). Handbook of Forgiveness. Routledge. p. 157. ISBN 978-1-135-41095-7 Schwarzer, R. (2012). Personality, human development, and culture : international perspectives on psychological science. Hove: Psychology. pp. 127–129. ISBN 978-0-415-65080-9.
3. Spiro, D. (2019). Humility – A religious and philosophical exploration of the term. http://www.danielspiro.com/ uploads/3/1/0/2/31022605/humiity_talk_january_2020.pdf
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