L’appropriation culturelle une faute à expier ?
Michel Virard
Président de l'AHQ
Michel Virard est un des fondateurs de l’AHQ en 2005 avec Bernard Cloutier et Normand Baillargeon. Ingénieur et entrepreneur, il a également été administrateur des Sceptiques du Québec. il est depuis les tout débuts l’une des âmes dirigeantes de l’AHQ.
Pourtant, à supposer qu’à l’initiative du Pape François, une troupe théâtrale 100 % catholique décide de monter une pièce dénonçant les persécutions infligées aux incroyants, il ne viendrait certainement pas à l’idée de beaucoup d’Humanistes athées de crier « à l’appropriation culturelle ». Au contraire, nous applaudirions à un tel acte de contrition.
Les Humanistes ne désirent jamais rester seulement à la surface émotive des choses, ils aiment bien remonter aux racines des problèmes. Le problème soulevé, celui de l’appropriation culturelle, déclenche dans nos cerveaux des associations, des résonances, qui peuvent être délétères : appropriation résonne trop bien avec « expropriation ». Or personne n’a l’intention « d’exproprier » les Noirs de leurs cultures, mais il y a plus grave et je m’étonne que bien peu de personnes aient encore saisi la réalité des enjeux : si une minorité opprimée désire que les choses changent, elle ne peut pas espérer le faire par la force. Sa seule et unique option est de convaincre assez d’individus dans la majorité qui l’opprime de la réalité et de l’immoralité de cette oppression. C’est ce qui s’est finalement produit avec l’esclavage. Les mouvements anti-esclavagistes aux États-Unis et en Angleterre ont certainement compté des Noirs affranchis, mais ils ont surtout compté des Blancs influents et assez articulés pour contrer efficacement les arguments des esclavagistes. Sans cet apport crucial des Blancs opposés à l’esclavage, il est probable que les Noirs d’aujourd’hui seraient encore considérés comme du bétail. Pourquoi ? Parce qu’une minorité ne peut s’émanciper sans l’accord tacite d’une part prépondérante de la majorité. C’est une réalité qu’on préfère souvent balayer sous le tapis, mais elle demeure une loi d’airain.
Il s’ensuit que la stratégie gagnante pour les militants d’une minorité opprimée est, non seulement de se trouver des porte-paroles internes crédibles, mais aussi et surtout de susciter des champions de leur cause au sein même de la majorité qui les opprime. Comment change-t-on la perception au sein de la majorité ? À n’en pas douter, ce sont les médias et les arts qui changent les perceptions. La littérature, en particulier, a une influence sur ce qu’une population reconnaît comme revendication légitime. Il suffit de romans comme « La Case de l’oncle Tom » ou « Évangéline » ainsi que les pièces et films qui en ont été dérivés pour faire bouger les plaques tectoniques à l’intérieur d’une société. Or ces deux exemples ont été écrits par des membres de la majorité même qui les opprimait.
Je veux montrer ici que c’est pratiquement une nécessité, que « l’appropriation culturelle » est non seulement légitime, mais qu’elle est absolument désirable SI LE BUT VISÉ est bien l’émancipation de la minorité et le redressement des torts causés.
Pourquoi ? Par définition, à des niveaux de développement semblables, une majorité écrase une minorité par sa seule masse : elle produira plus d’écrivains, plus d’acteurs, plus de films, plus d’articles dans les journaux. La lutte est vraiment inégale. La seule façon de renverser les opinions est précisément d’obtenir un maximum de contributions de la part des membres de la majorité. De fait, il faut inviter « l’appropriation culturelle ». C’est elle qui fera le gros du travail pour que la situation de la minorité soit effectivement connue au sein de la majorité. C’est encore plus nécessaire si les moyens d’une minorité sont proportionnellement moindres que celui de la majorité : le nombre de contributeurs possibles au sein de la minorité en sera réduit d’autant. À la limite, il se peut que la SEULE façon pour que la situation d’une minorité opprimée soit reconnue par la majorité soit au travers de « l’appropriation culturelle ».
Donnons aux voix issues de la minorité la place qu’elles méritent, mais, par pitié, ne demandez pas à Flaubert de renoncer à Mme Bovary, à Yourcenar de renoncer aux Mémoires d’Hadrien. Ne demandez pas à Carlos Acosta de ne plus interpréter Spartacus. Oui, Acosta est un Métis cubain (Africain-Espagnol) qui a joué merveilleusement bien le rôle d’un Blanc esclave dans la mise en scène du Bolchoï.