Compte rendu de lecture de Rachad Antonius et Ali Belaidi intitulé Islam et islamisme en Occident, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2023, 210 p.
André Joyal
André Joyal Membre de l’Association des humanistes du Québec. Il est l’auteur de Le néo-libéralisme à travers la pensée économique publié aux Presses de l’Université Laval.
Compte rendu de lecture de Rachad Antonius et Ali Belaidi intitulé Islam et islamisme en Occident, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2023, 210 p.
Rachad Antonius est un familier des lecteurs de Québec Humaniste pour autant qu’ils soient des habitués du Devoir en particulier. Copte d’origine égyptienne, il est fréquemment sollicité par les médias à la recherche d’éclairages sur les questions touchant le Moyen-Orient. Peu de temps après son arrivée au Québec au début des années 1970, il retrouva l’amie d’enfance qui allait devenir la femme de sa vie, Yolande Geadah de regrettée mémoire. Celle-ci s’est fait connaître par ses prises de position sur la laïcité lui ayant valu en 2007 le prix Condorcet-Dessaulles accordé par le Mouvement laïque québécois. Pour les fins de cet ouvrage, le professeur émérite en sociologie de l’UQAM a fait appel à un de ses anciens doctorants, Ali Belaidi dont les travaux ont porté sur un échantillon de musulmans montréalais de la deuxième génération. Ce dernier, de retour à Alger, détient un poste de maître de conférences en sociologie. L’un et l’autre, en unissant leurs efforts, visent : «… à apporter un autre éclairage sur les rapports entre les musulmans immigrés et la société québécoise, qui tiennent compte des facteurs propres à l’histoire de l’islam ainsi qu’aux cultures politiques des communautés musulmanes…» (p.183). Dans la préface, Bernard Haykel, professeur à Princeton University, rend hommage aux auteurs pour avoir osé faire appel aux courants libéraux afin consulter les communautés d’immigrants de façon opportune en prenant en considération l’influence de l’islamisme sur la diaspora musulmane québécoise. Ce spécialiste en études orientales met en garde contre le discours et les politiques entourant le multiculturalisme.
D’entrée de jeu, les auteurs, dans leur avant-propos, font allusion aux tensions que suscitent au Québec – comme ailleurs – certaines pratiques dans l’espace public, en particulier celle entourant les signes religieux de la part des musulmans. Ils reprochent à une certaine mouvance progressiste (que l’on devine reliée à Québec Solidaire) d’associer à la société d’accueil les variables suivantes : racisme, islamophobie, héritage colonial, suprématie blanche, catho-laïcité, mouvement nationaliste[1]. À ce propos, en introduction, on lit une allusion à une certaine gauche qui, se voulant inclusive, divise la collectivité entre d’une part la majorité soi-disant islamophobe et les musulmans «victime de racisme». On pense ici à la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon[2]. Étant donné que la prise en compte de l’influence de différents courants idéologiques et la montée de l’islamisme radical au sein de communautés musulmanes immigrées (où que ce soit) font l’objet de cet ouvrage, il ne manquera pas d’intéresser le public français. Ainsi, R. Antonius, en janvier 2024, fut invité à présenter l’ouvrage dans huit villes de l’Hexagone.
Il est beaucoup question dans ces pages des salafistes, cette minorité très radicale dont l’influence se veut inversement proportionnelle à son importance numérique de part et d’autre de l’Atlantique. Les auteurs voient en eux un courant religieux très attaché à l’interprétation «littéraliste» du Coran dont l’ambition consiste à retrouver l’islam tel que pratiqué à l’époque des quatre premiers califats (622-661)[3] soit au Très-Haut moyen-âge. En plus de prendre le Coran à la lettre, ce courant accorde une grande importance aux hadiths, soit aux paroles du Prophète en complément de ses écrits.
L’ouvrage comprend neuf chapitres partagés en trois parties dont la première se rapporte aux fondements historiques du rapport entre religion et politique. Ainsi, le lecteur plonge dans l’histoire afin de mieux comprendre les préoccupations contemporaines. Pour y parvenir, il importe de l’informer sur un concept qui le suivra tout au long du livre : l’oumma, cette grande communauté de tous les musulmans où qu’ils soient autour du globe. Trois belles cartes en couleurs font voir comment, en peu d’années, cette oumma a pris son expansion en incluant les Bédouins auxquels tenait Mahomet. De conquête en conquête, les Arabes se sont présentés à Poitiers en octobre 732. Charles Martel leur aurait dit à l’aide d’un interprète : «No pasaran![4]», un slogan que reprendra une certaine pasionaria à Madrid quelque sept ans avant ma naissance. Mais, il faudra auparavant passer par un cinquième califat avec l’avènement de la dynastie ottomane en 1299 qui durera jusqu’en 1922 année de l’abolution du califat. Il sera remis à l’ordre du jour au XXIè siècle par les djihadistes dont, on le sait trop, les méthodes sont imprégnées de violence. Or, on dit que l’islam est une Religion d’Amour, de Paix et de Tolérance (RATP)[5]. Concernant la violence, les auteurs écrivent : «La guerre se présente comme une forme de religiosité qui se combine avec la représentation de l’islam comme religion supérieure aux autres religions pour devenir un marqueur important de cette violence (p. 62). À leurs yeux : «Constater le caractère injustifiable de la violence actuelle, exercée au nom d’Allah, c’est défaire l’impensé et percevoir les glissements et les débordements qui ont jalonné sa formation…(p. 66).»
Avec la deuxième partie Des manifestations contemporaines du salafisme, les auteurs utilisent pour la première fois l’expression «islam politique». C’est en écoutant le 20h de FR2 sur TV5 que j’ai été sensibilisé à cette expression suite à une déclaration de Bruno Le Maire alors ministre de l’Agriculture de Nicolas Sarkozy. Faut-il se surprendre que ce soit un élu de la droite qui ait osé appeler un chat un chat? D’ailleurs, la seule chose d’intéressante que j’ai retenue durant ce quinquennat c’est l’invitation de Sarko aux musulmans à se faire plus discrets dans la pratique de leur religion. Par ailleurs, je sais gré aux auteurs de m’initier à l’expression «réveil islamique» en relation avec un retour du religieux désigné par ses promoteurs par le terme sahoua islamiyya observé avec la montée du salafisme dans un contexte où des musulmans se sont frottés à une société occidentale sécularisée avec les problèmes que l’on connait (p. 77,143). Mais, avant d’y revenir dans la partie suivante, le lecteur se voit offert sur ce réveil les cas observés en Égypte, en Syrie et en Algérie. Dans une section intitulée La part de l’islam dans la violence dite islamique, les auteurs présentent un diagramme à six composantes pour illustrer leur conception de la place de l’islam dans la violence islamiste. La deuxième composante signale que l’usage de la violence n’a rien à voir avec l’islam alors que la sixième souligne l’ampleur et l’efficacité de la violence (p. 103).
Et avec le chapitre 6, on en arrive au sujet qui nous intéresse en tout premier lieu : la laïcité. On trouve une allusion à deux auteurs pour qui la laïcité et la sécularisation sont au centre des enjeux politiques dans le monde arabe. En ce qui regarde les migrations en terre occidentale, l’attention ici porte sur la double rupture que suscite le projet d’intégration conçu par les courants islamistes. On assisterait à une rupture, comme on imagine bien, avec les cultures traditionnelles d’une part et, d’autre part, avec la culture de la société d’accueil. Parlons-en aux Suédois et aux Hollandais qui en arrivent à se mordre les doigts suite à une volonté d’accueil aveuglément généreuse. C’est ici que les travaux d’enquête d’Ali Belaidi en plein cœur de Montréal entrent en scène. Les heurts observés (oublions Le choc des civilisations de Samuel Huntington) nous font retrouver le concept de oumma qui fait couler beaucoup d’encre et que certains néo-québécois souhaitent reproduire dans sa version originale (p. 114). Et c’est également ici que l’on se voit mis en présence du mot «racisme» repris abondamment dans le reste de l’ouvrage en blamant les mulsulmans radicaux qui en font usage. Comme si religion et race allaient de pair.
Suite à des informations sur la signification du hijab, on en arrive à la troisième partie : De quelques enjeux de l’islamisme au Québec. Cette partie est écrite sous une forme moins académique que les deux précédentes L’attention consacrée à des faits vécus chez nous et plusieurs allusions au Journal de Montréal ainsi qu’à une soi-disant presse populiste pourraient expliquer la forme journalistique adoptée. Ne pouvant l’éviter, les auteurs évoquent dans un premier temps la laïcité ouverte qu’a brillamment critiquée le philosophe parisien Henri Pena-Ruiz lors d’une de nos conférences il y a quelques années. On lit que la majorité des Algériens voient dans la laïcité stricte le meilleur moyen pour affronter l’influence islamiste. Ceci, alors que selon les partisans de la laïcité ouverte aurait l’avantage d’éviter les accusations de xénophobie et de «racisme antimusulman». Un diagramme en quatre parties illustre la problématique à partir d’autant de courants (p.133). Une des rares fois que les auteurs font allusion au «racisme systémique» se rapporte, hélas non sans raison, à nos rapports avec les Premières Nations et non avec les communautés dites «racisées».
Il fallait s’y attendre, le débat sur les accommodements raisonnables et la commission Bouchard-Taylor ne pouvaient être occultés. Le lecteur saura gré aux auteurs l’absence d’allusion aux inepties du couple Pineaut-Caron rendu «célèbre» lors des assises de la commission. Par ailleurs, le Journal de Montréal en prend pour son rhume avec la fameuse partie de sucre et sa soupe aux pois accompagnée de porc, à laquelle s’ajoutent les toutes aussi fameuses fenêtres givrées d’un gymnase évitant aux enfants des hassidiques de voir ce qu’ils ne sauraient voir (merci Molière).
C’est dans le tout dernier chapitre que les auteurs s’opposent à leur façon à la loi 21 qu’ils se gardent bien, par ailleurs, de la considérer comme étant raciste. Cependant, leurs réserves concernant l’interdit du port du voile par les enseignantes (musulmanes) s’expliquent par le fait que : «…les conséquences négatives de la loi seront bien plus grandes que les conséquences négatives de sa non-application» ( p. 178). Ici, je dois avouer n’avoir jamais été convaincu que des enfants puissent être influencés, voire troublés, par la présence de madames cachant leurs cheveux. Si j’appuie cette loi c’est que je partage l’avis de Luc Lavoie qui, à La Joute de TVA, ne cesse de voir dans cette loi rien d’autre qu’une stratégie consistant à envoyer un signal à la communauté musulmane : Ce suffit! Rrchad Antonius admettra qu’il y a dix ans on ne voyait pas de gamines portant le hijab dans le métro ou d’autres encore plus jeunes dans les cours d’école. L’argument «C’est mon choix!» ne tient plus. Dans les pages suivantes, on trouve plusieurs allusions à une presse dite populiste comme si on n’osait plus nommer le Journal de Montréal. Car je n’imagine pas Le Devoir, La Presse, Les Coops de l’information (La Tribune, La Voix de l’Est, Le Droit, Le Nouvelliste, Le Quotidien, Le Soleil ) et autres Le Canada français porter le chapeau de populiste. Et, si le chapeau convient au Journal de Montréal, j’avoue y avoir été abonné durant la pandémie et que je le lis au Second Cup, voire à la bibliothèque.
On appréciera surtout les deux premières parties à la fois pour la rigueur et la pertinence des informations fournies. Les trois consultations dont le manuscrit a fait l’objet ont contribué, à n’en pas douter, à favoriser de la meilleure des façons l’atteinte les objectifs mis de l’avant. Je pense en particulier à la recommandation de bien indiquer les sources des faits et opinions émises. Les nombreuses références en bas de page reflètent bien la prise en compte de cette remarque qui favorise la crédibilité des auteurs. Un livre à conserver à portée de la main pour comprendre une réalité qui nous entoure, ici comme ailleurs.
André Joyal