Jacques Légaré
Membre du conseil d'administration de l'AHQ
Jacques Légaré, est né en 1948. Il détient une maîtrise en histoire byzantino-arabe (1975) et un doctorat en philosophie politique (1993). Il est adepte et défenseur des Lumières, féministe, laïciste, fédéraliste et progressiste.
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Pour donner un nom de rue en l’honneur d’une personne, il est élémentaire que cette personne ait au moins quelques-uns des critères sérieux ou des raisons pertinentes pour mériter cet honneur. Ce seraient :
1, Y avoir exécuté quelques travaux ou œuvres significatives.
2, Y être né.
3, Avoir mentionné le nom de la ville, de la région, du pays dans un de ses écrits ou discours pour le célébrer, le féliciter, le remercier ou les désigner en modèles dignes d’éloges ou d’imitation.
4, Y avoir envoyé de l’argent, y avoir investi, l’avoir bonifié tout personnellement de quelque manière.
Pie IX à Montréal ne répond à aucun de ces critères.
Pourquoi son nom serait-il donc si étrangement, ou si injustement, honoré d’un nom de rue importante dans la métropole du Canada où il n’a jamais mis les pieds ?
1, Par souci de publicité, toute gratuite et payée par les fonds publics, pour son organisation;
2, Par habileté des croyants ou des clercs qui se servent de cette appellation, visible des centaines de fois à chaque coin de rue, pour mousser l’existence, l’importance et la bonne réputation de leur organisation.
Si l’individu ainsi honoré fait partie d’une organisation étrangère, voire d’un pays étranger (le Vatican est un État étranger), il s’agit dès lors :
1, D’une honteuse méprise;
2, D’un colonialisme culturel célébré, ce qui est peu honorable.
Si l’individu est pape, qu’il a choisi le nom de Pie, qui signifie « pieux », mais que ses prédécesseurs homonymes étaient des criminels par la violence avec laquelle ils exercèrent leur pontificat, il s’agit dès lors :
1, D’un cautionnement, d’un adoubement de pratiques antihumanistes, voire inhumaines et cruelles, du passé qu’on assume et honore;
2, D’un mépris martelé à leurs milliers de victimes dont on n’a même pas conservé les noms.
Un petit rappel des grands Pie :
1458 : Pie II (1405-1464) organisa une croisade antimusulmane (massacre de masse contre les populations du Proche-Orient). Il fit mettre à mort le rebelle Tiburzio et ses partisans.
1560 : Pie IV (1499-1565) fit exécuter deux cardinaux rivaux et le chef de la police vaticane. Il imposa un serment de foi aux professeurs d’université. L’université Laval, fondée par un Inquisiteur assassin de l’imprimeur et libre penseur Daniel Urvil, s’en est souvenu longtemps.
1551 Pie V : (1504-1572). Nommé Grand Inquisiteur par Pie IV, soit dirigeant de l’organisation tortionnaire de tous les hérétiques. Créateur du Petit catéchisme, le Bréviaire et l’Index pour éborgner les esprits selon le dogme.
Il a soutenu la répression sanglante des protestants en Espagne.
Antisémite, il rédigea une explicite Constitution contre les Juifs.
1775 : Pie VI (1717-1799) : un autre antisémite sévère qui aggrava la persécution. Adversaire intransigeant de toutes les réalisations de la Révolution française.
1797 : Pie VII (1742-1823) écrit : « mes chers frères, soyez de bons chrétiens, et vous serez d’excellents démocrates ». Ruse de lettrée bien ficelée. La phrase ordonne d’être chrétien d’abord, et démocrates ensuite.
Pour sauver son Église, il accepta de sacrer Napoléon empereur, le conquérant qui tua près de 1 million d’Européens. Il fut contre l’esclavage contre Napoléon qui l’avait rétabli, mais Pie VII rétablit à Rome les ghettos juifs que Napoléon avaient abolis.
Il condamna expressément la franc-maçonnerie libérale.
Si Napoléon louangea à sa mort Pie VII à qui il avait souvent tordu le bras, il donna à penser que les idées du pape, sur la liberté, les femmes et l’autorité, étaient assez proches des siennes.
1830 : Pie VIII (1761-1830) condamna le libéralisme (possibilité pour le croyant de définir lui-même sa foi et son comportement hors des prescriptions catholiques). Il exigea que les parents fissent une promesse solennelle d’élever leurs enfants dans la foi catholique.
1858 : Pie IX : (1792-1878). Le pape le plus réactionnaire des Temps modernes :
1, il condamna tout modernisme, dont la raison souveraine, la liberté de conscience taxée de « délire », la démocratie, le rationalisme, le libéralisme et le socialisme. Ces nouveautés au 19e furent épinglées : «« opinions déréglées » et « machinations criminelles d’hommes iniques ».
2, La liberté de la presse fut identifiée comme une criminelle : « les ennemis acharnés de notre religion, au moyen de livres empoisonnés, de brochures et de journaux répandus par toute la terre, trompent les peuples, mentent perfidement, et diffusent toutes sortes d’autres doctrines impies ».
Darwin est « le doigt du démon ».
3, Ce pape Pie IX, un moment libéral, vira sa chasuble et fonça droit dans le plus étroit conservatisme.
4, Il s’opposa à la réunification italienne pour conserver les États Pontificaux, prouvant que ses biens temporels étaient plus importants (il tua pour les conserver) que ses engagements spirituels (ne jamais tuer).
4, Il a cautionné le rapt d’un enfant juif, le jeune Mortara, endoctriné de force dans le catholicisme.
5, L’ignominie suprême : il cautionne et justifie l’esclavage en 1866 : « L’esclavage, en lui-même, n’est dans sa nature essentielle pas du tout contraire au droit naturel et divin, et il peut y avoir plusieurs raisons justes d’esclavage », un an après la défaite des esclavagistes sudistes. Il craignait la victoire des idées modernes des Nordistes.
Ce pape fut béatifié non sans filiation… par le réactionnaire Jean-Paul II. Pour comprendre la signification de la béatification, les trois modèles de Sienna de Toyota sont CE, LE ou XLE. Pie IX fut LE.
Ainsi, un pape qui choisit son nouveau nom de pape, lance le fort signal du modèle qui l’inspire et qui plantera ses poteaux. Il s’agit, dans le cas d’une organisation scélérate, d’une sorte de récidive a posteriori. Rien de moins qu’une sorte de cautionnement des crimes passés, de l’engagement très conscient et le clin d’œil significatif que le nouveau pape continuera la même lignée des sévices et des oppressions de toutes natures de ses prédécesseurs homonymes.
S’il s’agit de respecter notre histoire où l’Église fut si imposante, voire oppressante, il s’agit dès lors :
1, D’une flagornerie posthume infamante,
2, D’une absence d’autonomie et de personnalité troublante.
Le fascisme et le communisme font partie de l’histoire de l’Allemagne, de l’Italie, de la Russie, du Japon et des pays est-européens. Lequel de ces pays eut la bêtise de célébrer en statues ou en noms de rue quelques dignitaires que ce soit de ces deux idéologies ? Aucun, ou en restes de plus en plus délavés. Elles ont d’ailleurs en commun avec l’Église la structure pyramidale de l’autorité cooptée, le refus de la liberté individuelle et le combat contre la modernité humanistes des Lumières.
Si la notoriété a appartenu, voire a été chef, d’une organisation qui a méprisé les femmes jusqu’à les soumettre à des coïts maritaux obligés ou à des accouchements forcés, qui a endoctriné par millions des enfants en violant leur liberté de conscience en formation, qui les a livrés à des prédateurs sexuels protégés et récidivistes, il s’agit dès lors :
1, D’une infamie honteuse et révoltante,
2, D’une bêtise insensée,
3, D’un patriotisme corrompu,
4, D’un mépris criminel envers ces millions de victimes, tout aussi diverses que massives.
Pie IX a décrété que la Vierge Marie a enfanté sans copulation, en étant restée vierge. D’une façon euphémistique, elle est dite « exempte du péché originel ». La copulation, vice obligé en procréation inévitable, étant la conséquence du péché originel, la Vierge n’a donc pas eu à copuler. Il s’agit dès lors :
1, D’une aberration extravagante,
2, D’un délire, incompréhensible qu’il se soit propagé dans des foules si nombreuses.
Pie IX a porté au sommet la notion d’autocratie en faisant décréter sa propre infaillibilité, qui va au-delà de l’autorité qui clôt toute discussion. Elle implique l’idée qui ne se trompe jamais. Aucun dictateur de l’histoire du monde n’a osé imposer à tous l’idée grotesque qu’il ne se trompait jamais, qu’il ne pouvait jamais se tromper. Il s’agit dès lors :
1, D’une pure démence, sans doute provoquée par l’adulation toxique dont s’abreuvent les potentats et par une perte sérieuse de contact avec la réalité.
Pie IX suscita tant de colère et de haine que des Italiens le surnommèrent Papa porco, (le pape porc). Aucun dictateur, même les plus cruels, ne reçurent une telle injure posthume.
En conclusion, si les Montréalais veulent malgré tout conserver à cette avenue importante et à une station de métro le nom de Pie IX, ils s’enfoncent eux-mêmes dans le déshonneur, ne serait-ce celui de « ne pas savoir ce qu’ils font ».
La grande Ville de Montréal doit renommer cette rue Jean-Charles Harvey, Arthur Buies, Émile Borduas et surtout le nom des plus grandes dames de l’Histoire du Québec.
Jacques Légaré, né 1948
Maître en Histoire byzantino-arabe (1975) et Ph.d. en philosophie politique (1993)
Professeur (retraité) d’Histoire, d’Économique et de Philosophie (1974-2006)
Président-fondateur du syndicat des professeurs du CNDF (1981)
Adepte et défenseur des Lumières, féministe, laïciste, fédéraliste et progressiste
Pie IX. Pourquoi s’arrêter en si bonne route ? Pie X, Pie XI et Pie XII étaient-ils mieux ? Au Québec Pie X et Pie XII ont leur lot de rues, de parcs et de places. Et, si on renomme, pourquoi s’entêter à donner des noms de vraies personnes au risque de retrouver plus tard des squelettes dans certains placards ? La rue Rose, la place Bolduc (sans préciser quel Bolduc), le boulevard des Compères. Ce n’est pas difficile.
Des noms simples, sans trait-d’union, des noms qui entrent facilement dans un panonceau, le rendant facile à lire.
Pierre Cloutier