Pourquoi le vice devrait être légalisé
Extrait de « Humanist Canada », 1985, traduit par Alex Primeau et re-publié dans « La Libre Pensée, Revue de Philosophie Humaniste », (1986), Volume 4, pp. 32–32.
Pour beaucoup de gens, une des plus importantes fonctions de la loi est de renforcer le niveau moral de la société en dépeignant certaines activités, celles que l’on peut vaguement classer sous le titre de vices, les jeux d’argent, la sollicitation dans le but de prostitution, l’obscénité, la possession de drogues illégales, comme des croyances erronées qu’on peut tenir sous contrôle.
Il y a des raisons pour lesquelles le Code criminel est inapproprié et inefficace. Les crimes qui sont créés par la loi, c’est-à-dire les crimes sans victimes, ne sont pas des crimes réels, et les lois qui les concernent ne sont pas respectées. Un crime réel est un acte d’une personne qui en blesse une autre ; il y a un mal spécifique et une victime spécifique, que tous-tes peuvent voir. Tandis qu’avec le vice, il n’y a pas de victime ni de tort à l’égard desquels toutes peuvent être d’accord. Il est vrai qu’une personne qui se complait dans le vice peut en subir les conséquences, mais prétendre que l’auteur de ses propres maux est en fait la victime, c’est déformer le sens des mots au-delà de tout bon sens.
Certain-e-s prétendent que le tort est infligé aux autres ou à la société en général, mais la nature de ce tort est trop indirecte et trop contestée pour former la base d’une loi criminelle efficace. La plupart des personnes qui se complaisent dans le vice ne se considèrent pas elles-mêmes comme criminelles et quand les lois sur le vice sont prises au sérieux, c’est surtout à cause de leur désagrément plutôt que de leur valeur morale. Toute loi qui rend illégales des activités largement pratiquées sera impossible à faire respecter autrement que de façon arbitraire et capricieuse et les peines infligées à quelques-unes, pendant que les autres y échappent avec impunité, seront vues comme une injustice ou un coût à payer pour faire des affaires, ou les deux à la fois et aura peu d’effet de dissuasion. Parce qu’il n’y a pas de victimes, les crimes du vice sont difficiles à détecter, ce qui conduit la police à employer des moyens contestables tels que l’écoute électronique, d’autres appareils d’écoute électronique et des agents secrets afin d’obtenir des preuves.
Quand nous nous opposons à cela, on nous dit que de telles méthodes sont nécessaires pour combattre le crime organisé. Mais ce sont ces lois que la police tente d’appliquer qui fournissent la base même de l’existence du crime organisé (le jeu et la prostitution ont donné au crime organisé ses origines). La prohibition a permis au crime organisé de s’établir fermement et nos lois actuelles sur la drogue, telles en particulier contre l’héroïne et la cocaïne, aident à assurer sa survie en maintenant les prix à un niveau artificiel et extrêmement élevé.
Si nous désirons détruire le crime organisé, nous devons détruire les bases de son opulence en légalisant la plupart de ses activités. Qui achète de la bière des « bootleggers » quand les magasins de boisson sont ouverts ?
En légalisant le vice, on aiderait à minimiser ses effets néfastes. Si l’héroïne était légale, son prix serait bas et les habituées n’auraient pas besoin de recourir au « mugging » (assaut sur la personne) et au vol pour satisfaire leurs habitudes. De même, si les bordels étaient licenciés et réglementés la visite de ces endroits ne serait pas nécessairement une expérience dégradante pour l’une ou l’autre des parties. Libérée du harcèlement par la police et dans un milieu plaisant et en sécurité, la relation prostitué-e/client-e pourrait être conduite avec respect, bonne humeur et même avec affection. De plus, les souteneurs deviendraient des agents « bona fides » gagnant, disons 15%, ou bien se retireraient.
Tenter de supprimer le vice ne sert qu’à le rendre sale, furtif et méprisable, alors que le légaliser, non seulement l’améliore dans la pratique, mais le réduit d’une menace pour la société dans son ensemble à un problème individuel qui peut être résolu beaucoup plus efficacement sans la complication inutile de l’illégalité. Le Code criminel, étant un instrument brutal et maladroit, en plus d’être sévère, devrait être réservé pour le moins d’activités possibles, pendant que le Code civil, offrant comme il le fait un grand choix d’options -incluant la taxation, les permis, le zonage et les règlements sur la santé -constitue une approche plus sensée et plus libre. Plutôt que de prendre les décisions morales pour nous, la loi devrait créer le contexte dans lequel nous pourrions les prendre pour nous-mêmes, sans gêner les autres qui désirent faire des choix différents.
Nous avons donné à nos lois actuelles contre le vice un temps d’essai assez long pour être certains des résultats malheureux : des millions de citoyen ne-s qui habituellement enfreignent les lois, l’érosion des libertés personnelles et de l’intimité quand la police tente de venir à bout de ces « crimes », nos cours de justice surchargées et nos prisons surpeuplées, des millions de dollars gaspillés à appliquer des lois inapplicables et des millions de plus perdus à cause d’entreprises et de retenus non imposés. Est-ce que la satisfaction morale de quelques bien-pensantes vaut le prix que le reste de nous devons payer ? Il est grand temps d’être à la hauteur de notre affirmation à l’effet que nous sommes un peuple libre en reconnaissant que l’on ne peut forcer les gens à être « bons ». Et quand on tente de le faire, on en souffre, comme c’est le cas actuellement. Plus vite nous ferons nos lois de façon à ce que les adultes puissent prendre leurs propres décisions morales, plus vite nous pourrons mettre le vice à sa juste place.
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