Pourquoi ce numéro spécial ?
CLAUDE BRAUN
Administrateur et éditeur en chef du "Québec humaniste"
Claude Braun a été professeur de neurosciences cognitives à l'UQAM de nombreuses années. Retraité depuis peu, Il a publié nombres de documents de recherches sur le sujet. Il a été également éditeur du "Québec laïque" et est depuis quelques années l'éditeur en chef de notre revue "Québec humaniste" Il a également publié "Québec Athée" en 2010. Téléchargeable gratuitement en utilisant ce lien avec les compliments de l'auteur.
Préhistoire de l’humanisme au Québec
Le Québec a été fondé non pas par les Jacques Cartier ou autres aventuriers français, mais il y a 11,000 ans par des
tribus de peuples chasseurs-cueilleurs qui avaient traversé, il y a 20,000 ans, le détroit de Behring en provenance d’Asie. Ces premiers colons ont donc lentement irradié de l’Alaska vers la côte est du Canada. Lorsque le premier Européen débarqua au Québec, il y avait là environ 20,000 autochtones formant 11 peuples, chacun avec sa langue. Un village du nom de Stadacona se dressait à l’emplacement de la future ville de Québec. Un autre nommé Hochelaga se dressait à l’emplacement maintenant connu du nom de Montréal. Le nom de notre province, « Kébec », provient d’un mot algonquin signifiant « passage étroit ».
L’humanisme français et ensuite britannique débarque au Québec, avec le meilleur et beaucoup du pire
Cartier, à la tête de deux petits navires et d’une soixantaine d’hommes, est parti de Saint-Malo le 20 avril 1534. Vingt jours plus tard, il parvint à Terre-Neuve, puis il explora le golfe du Saint-Laurent. Cartier entreprit les premiers contacts des Français avec les autochtones, des Micmacs. On improvisa une séance de troc. Les Micmacs, en échange de couteaux, de chaudrons, de perles de verre et de colifichets, donnent tout ce qu’ils possèdent. Jacques Cartier remonta ensuite le rivage vers le nord et, dans la baie de Gaspé, rencontra à nouveau des autochtones. Il s’agit cette fois de deux cents Iroquois du Saint-Laurent, de Stadacona précisément, venus pour pêcher le maquereau.
Les Français ont refoulé et désarmé les diverses tribus autochtones et ont colonisé le territoire du Québec aux noms du roi de France et du pape catholique romain. Le peuple francophone absorba peu des cultures autochtones, tandis que les cultures autochtones entamèrent leur calvaire vers l’exode, la marginalisation, la perte de leurs territoires et ressources et le mépris et dégénérescence de leur culture. La Renaissance et les Lumières n’y changèrent pas grand-chose, à part peut- être l’évitement de massacres encore pires et l’esclavagisme… L’Empire britannique convoita ce « succès » d’empire et entreprit de le ravir à la France, ce qu’il réussit définitivement à accomplir lorsque le général Wolf défit militairement le général Montcalm sur les plaines d’Abraham à Québec en 1759.
L’Église Catholique bannit totalement l’humanisme du Québec : Elle en fut et en est toujours l’ennemi mortel.
Les Britanniques ont conclu un accord plus ou moins formel avec les Français : on laisserait les colons français vivre dans une autonomie et une paix « très relatives », nonobstant la déportation des Acadiens, à condition que ce soit l’Église Catholique qui mène la barque. C’est ainsi, et avec une natalité élevée et une immigration française en dents de scie que se constitua tranquillement un peuple, comptant, en 1950, quatre millions de francophones uniformément catholiques. La Renaissance fut mise à l’Index. Les Lumières furent mises à l’Index. Un seul épisode isolé d’éveil économique, politique et culturel de ce peuple « conquis » se produisit que l’on dénomma la Rébellion des patriotes (1837-1838) où fut exigé, avec soulèvements populaires armés et violents, un avenir « moderne » pour le peuple québécois francophone. Encore une fois, la couronne Britannique réussit à écraser définitivement, rapidement et violemment cette révolte. L’Église Catholique romaine reprit les rênes du pouvoir tandis qu’en 1937 son sbire, Maurice Duplessis, imposa la « Loi du Cadenas » jetant la gauche en prison et bâillonnant la liberté de conscience, particulièrement celle des mécréants.
La Révolution tranquille
Et puis en quelque part vers 1960 quelque chose d’extraordinaire arriva que l’on dénommât la « Révolution tranquille ». Le déclencheur fut la défaite du parti de l’Union nationale (parti dit de la « grande noirceur ») par le Parti libéral de Jean Lesage, fortement épris (à cette époque) d’un élan « modernisateur ». Un puissant accélérateur fut ensuite l’accès à la pilule contraceptive, ce qui rendit anachroniques et irritantes les exhortations natalistes de l’Église catholique. Un autre catalyseur fut la montée d’un mouvement souverainiste politique séculier, organisé et majoritaire, auquel l’Église s’opposa vivement, -ce qui détourna d’elle de nombreux Québécois. La cerise sur le sundae fut l’appui de la population au droit des femmes à l’avortement, au travail salarié et à l’autonomie financière, auxquels s’objecta vigoureusement l’Église catholique, ce qui a eu pour effet de dévoyer sa base la plus fidèle, les femmes. Un courant féministe important, surtout syndical, avait depuis longtemps commencé à miner l’Église catholique à cause du rejet par cette dernière du droit de vote pour les femmes ainsi que de tous les autres droits. En deux décennies les très nombreuses et splendides églises québécoises s’étaient complètement vidées…
Rapidement, le Québec s’est doté d’un État mature et très développé, de systèmes modernes et performants d’éducation publique de plus en plus séculiers, de santé publique, et d’assurances publiques universelles de tous ordres. Des méga- projets hydro-électriques furent entrepris par l’État tandis que des multinationales francophones émergèrent pour occuper les terrains de l’ingénierie, de produits manufacturiers, de l’assurance, de la finance, du commerce du détail, et même déjà de l’informatique à la fin des années 70.
Les intellectuels et leurs textes porteurs de la Révolution tranquille
Durant l’intervalle de 1960 à 1980, il est bien évident que l’épanouissement du Québec francophone s’est exprimé sous la forme de textes rédigés par les intellectuels. Les historiens primés ainsi que les institutions séculières d’aujourd’hui en reconnaissent certains. Wikipédia mentionne les revues intellectuelles Cité Libre, Liberté, et Parti Pris. Les progressistes reconnaissent le manifeste artistique et anarchiste Refus global et le manifeste nationaliste et socialiste du Front de Libération du Québec comme textes « libérateurs ». Mais en lisant ces documents, on peine à y retrouver une quelconque inspiration humaniste militante à proprement parler, celle de la Renaissance, celle des Lumières, celle des valeurs des mouvements humanistes séculiers organisés du monde des grands pays anglo-saxons. En effet, où dans ces textes québécois trouve-t-on l’affirmation de soutien à la déclaration des droits de la personne de l’Organisation des Nations Unies, l’attachement à la valeur progressiste et universelle de la science, de la théorie de l’évolution, du big bang, le rejet vigoureux, explicite et raisonné de tout mysticisme, de toute religion, de tout obscurantisme, de toute idée surnaturaliste, l’affirmation prédominante de la dignité et la valeur égale de toute personne quelle que soit son identité sexuelle, ethnique, nationale, religieuse ou pas, linguistique, culturelle, le rejet de tout dogme, la reconnaissance comme légitime seulement de l’examen rationnel et critique des faits ?
Les textes humanistes québécois francophones de Champlain à aujourd’hui
Pourtant, il existe de longue date, au Québec francophone, des intellectuels ayant eu l’audace et l’imagination de porter et d’actualiser la vision du monde radicalement humaniste séculière militante. On en trouve des comptes-rendus descriptifs dans les travaux de l’historien feu Jean-Paul De Lagrave. Seul parmi les historiens québécois, De Lagrave a démontré que depuis Champlain jusqu’à 1980 (intervalle faisant l’objet de ses recherches) des intellectuels québécois francophones de hauts niveaux ont articulé et publié des critiques systématiques, cohérentes et sévères envers l’Église catholique, et ont articulé des contre-visions humanistes détaillées, des propositions de réformes politiques, économiques et culturelles (prémonitoires) [1]. Ces textes, dont fait état De Lagrave, furent toutefois publiés dans des médias et chez des éditeurs de la mouvance libre-pensiste, jamais chez les éditeurs à grand tirage, et De La Grave a été ignoré par les médias radiophoniques et télévisuels de masse. Ces intellectuels humanistes, plus particulièrement leurs textes, sont passés sous le radar de la population québécoise, situation qui perdure encore aujourd’hui.
La première revue de réflexion humaniste dans l’histoire du Québec
L’Association humaniste du Québec s’est récemment engagée dans un vaste projet de réhabilitation de cette réalité intellectuelle émancipatrice souterraine du Québec entre 1979 et 1995. Ce n’est qu’à partir de 1979 qu’on a vu naitre un collectif d’intellectuels québécois francophones autour d’une revue de réflexion explicitement antidogmatique, athée, laïciste, sceptique, scientifique, philosophique, universaliste, éthique, -c’est-à-dire humaniste. Il est difficile de surestimer l’importance de collectifs intellectuels militants produisant des publications commerciales de réflexion de haut niveau. Ces activités citoyennes sont celles qui sont les plus aptes à annoncer le futur d’un peuple. Car le collectif aiguise la pensée et lui impose aussi des contraintes. L’argumentaire doit être acéré, le contact avec le public aéré et naturel, la pensée doit être claire. Ces activités sont des plus précieuses dans l’histoire de toute nation.
Si vous êtes comme je le fus, vous devez penser qu’une telle organisation, dévouée à la libre pensée ou à l’humanisme séculier militant, ne devait surement pas exister au Québec à cette époque. Pouvez-vous nommer un seul québécois qui a eu l’outrecuidance, avant 1980, de se dire athée devant une caméra ou dans un texte publié ? La revue du premier collectif de libre pensée de l’histoire du Québec s’est d’abord dénommée La Raison : Revue Rationaliste de Libre Pensée. Le collectif était localisé à Saint-Jérôme.
La revue La Raison est sans aucun doute le précurseur de la présente revue, Québec humaniste (revue de l’Association humaniste du Québec), ainsi que des revues Cité Laïque : Revue du Mouvement Laïque Québécois et Québec Sceptique (revue des Sceptiques du Québec). Elle est aussi la précurseure directe de la revue La Libre Pensée Québécoise (revue de l’association québécoise de libre-pensée) qui a été publiée par un nouveau collectif Montréalais à partir de 1984 jusqu’à 1991 (NB. Cette deuxième revue de libre-pensée fera l’objet d’un autre numéro spécial de Québec humaniste). Je parie, cher lecteur, que vous n’avez jamais entendu parler de la revue québécoise La Raison. On ne trouvera sur Google presqu’aucune photo des auteurs ayant publié dans cette revue, ni titres d’article…
Cette revue n’existait, jusqu’à maintenant, qu’en format papier. Une collection « papier » incomplète se trouve à la Bibliothèque et aux Archives Nationales du Québec (BAnQ), Rue de Maisonneuve, Montréal). Elle dort dans le patrimoine culturel québécois comme un fantôme sur une étagère. Nous venons de numériser les 28 numéros (1979-1984) de cette revue et cette numérisation vient d’être mise gratuitement à la disposition du grand public sur notre site internet de l’Association humaniste du Québec. Le présent numéro de Québec humaniste se veut une vitrine pour cette précieuse archive. On trouvera dans les pages qui suivent une sélection des textes de la revue LA RAISON (1979- 1984) qui nous semblent pérennes, pertinents et percutants.
- De Lagrave, JP. (1986). Histoire de la libre pensée au Québec. La Libre Pensée: Revue de Philosophie Humaniste, Nu 5, pp. 26-30.
Consultez le nouvelle archive de la revue La Raison: Bulletin de la Libre Pensée (1979-1984, les 28 numéros) sur le site internet de l’Association humaniste du Québec à l’adresse suivante : https://assohum.org/archives- de-la-revue-la-raison/
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