Les enjeux d’un Québec laïque La loi 21 en perspective*

par Juin 8, 2021actualités, Laïcité, Livres, Québec humaniste, Réflexions1 commentaire

André Joyal

André Joyal

André Joyal est membre de l’AHQ, économiste, professeur retraité de UQTR, auteur de plus de 300 recensions dans diverses revues académiques.

Ouvrage collectif, paru chez l’éditeur Del Busso il y a quelques mois, devrait plaire aux lecteurs de Québec Humaniste qui se reconnaîtront à travers les valeurs ici véhiculées. Ne pouvant, faute d’espace, commenter chacun des 12 chapitres partagés en quatre parties, j’ai opté en faveur des auteurs les plus connus en terminant par Normand Baillargeon un des fondateurs de l’AHQ. Dans la présentation offerte par Lucia Ferretti et François Rocher, les deux co-directeurs de l’ouvrage et auteurs des deux chapitres de la partie Mise en perspective, on lit : « La loi 21 s’inscrit dans un long processus de réflexion collective, souvent marquée par des interventions acrimonieuses, des invectives de toutes sortes, des accusations de racisme et de xénophobie, des accusations ad hominem … » En effet, à travers ce livre, on comprend la pertinence d’approfondir les différents aspects de la loi qui suscitent autant la polémique.

François Rocher, professeur à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa (où sévit un recteur, converti à l’idéologie « Woke », allergique aux « mini-agressions » ouvre le bal en présentant les quatre principes servant d’assise à la laïcité de l’État. Rappelons qu’il s’agit de la séparation de l’État et des religions; la neutralité religieuse de l’État; l’égalité de tous les citoyens; la liberté de conscience et de religion. Le neveu du vénérable nonagénaire (Guy Rocher) qui a brillamment défendu la loi 21 en commission parlementaire – tout comme notre ami Daniel Baril qui lui a succédé -, s’étend sur chacune de ces caractéristiques. Dans sa conclusion, il nous sert une perle d’une chroniqueuse du Calgary Herald qui ne voit dans cette loi rien d’autre qu’une atteinte à la décence même du Canada. Certains seraient portés à dire : C’est ce à quoi pensait Pie XII lorsqu’il aurait dit : « Pauvre Canada ! »

Pour sa part, ma collègue Lucia Ferretti, professeure d’histoire à l’UQTR, insiste sur ce que ne fait pas la loi 21 avant de souligner sur ce qu’elle fait. Oui, on le sait, la loi se veut très (trop) modérée, on l’aurait voulue plus mordante. Mais bon. L’auteure (pas l’autrice…) est ainsi conduite à reconnaître la primauté de fait accordée par les tribunaux à la liberté religieuse. Ce faisant, les religions vues comme systèmes de croyances se voient conférer une grande légitimité. À l’instar de deux autres auteures (cf. infra), Ferretti s’en prend à cette nouvelle forme de féminisme dit « identitaire et particulariste » voulant que l’égalité des femmes (et des hommes) devienne tout simplement leur liberté de faire des choix individuels. Cette forme de féminisme correspond à celle que véhiculent les militantes de Québec solidaire.

Avec la partie Perspectives historicosociologiques, on trouve d’abord Micheline Labelle professeure du département de sociologie de l’UQAM, qui en collaboration avec Daniel Turp (cf infra) – certains lecteurs du Devoir s’en souviendront -, furent à l’origine d’une pétition ayant obtenu l’appui de plus de 6000 signataires. Elle se voulait la réplique à une pétition signée par 250 professeurs qui ne voyaient dans la loi 21 rien de moins qu’un symptôme du racisme systémique. La section vers une laïcité sans adjectif rappellera à ceux qui étaient présents, ce jeudi soir du 27 avril 2012, la brillante conférence du professeur parisien Henri Pena-Ruiz venu présenter son livre Qu’est-ce que la laïcité ? Il avait alors pourfendu la laïcité AVEC un adjectif. Mais, ici c’est Yvan Lamonde que Labelle juge opportun de citer en relation avec ce que représente le hijab en tant que signe ostentatoire: « …pourquoi vouloir porter un signe si ce signe ne porte pas d’intention ? »

À son tour, l’auteure s’en prend au féminisme différentialiste (décolonial, islamiste, afro-américain) qui devient la nouvelle doxa dans les universités (UQAM, Concordia, Ottawa, les autres suivront…) et parmi les mouvements sociaux. Ce qui est dit ici concernant notre
gauche radicale va dans le sens d’un dossier de Marianne sur l’islamo-gauchisme préconisé par la gauche radicale française : « La laïcité constitua longtemps l’affirmation d’une gauche républicaine. Aujourd’hui, une fraction radicalisée de cette gauche, qui reprend à son compte le terme de laïcards qu’affectionnaient les conservateurs cléricaux, dénonce, dans une laïcité, une machine à opprimer la population musulmane, comme les cléricaux dénonçaient, dans les lois Jules Ferry, une machine à opprimer la population chrétienne. » (J. F. Khan, Marianne 1 au 7 janvier 2021).

Présentée ici simplement comme étant politologue et féministe,Yasmina Chouakri s’en prend à ceux qui défendent la vision d’un islam
conservateur et dogmatique pour qui le voile est un marqueur d’appartenance de la religion musulmane. Brocha Manaï, qui fut la porte-parole du Conseil national des musulmans canadiens, pourra ici se reconnaître. Valérie Plante l’a choisie pour être la commissaire à la lutte contre le racisme à Montréal. Ça promet… Mme Chouakri, membre associé au Centre de recherche en immigration, ethnicité et citoyenneté de l’UQAM, soulève dans ces pages une question des plus pertinentes : « Pourquoi au Québec la perception d’une femme
musulmane est d’être une femme voilée ? » L’auteure reproche aux médias (elle aurait pu ajouter le livre de base de l’ancien cours d’éthique et de culture religieuse)  d’avoir propagé l’image de la femme musulmane comme étant une femme voilée. Chouakri rejoint ses co-auteures Ferretti et Labelle en s’en prenant au courant féministe intersectionnel qui n’aurait rien de moins qu’un effet
pervers pour les femmes musulmanes. À ses yeux, ce courant qui ne souffre aucune critique envers ses dogmes, contribue à qualifier les partisans de la loi 21 de racistes.

Vient ensuite la partie la plus aride de l’ouvrage : Perspectives juridiques dont trois des quatre chapitres ne peuvent qu’intéresser les étudiants en « sciences » juridiques devant rencontrer les exigences d’un travail d’études supérieures. Néanmoins, j’ai porté attention au
chapitre de Daniel Turp qui s’en prend à la Fédération autonome de l’enseignement (FAE). Celle-ci, au prétexte de préserver quelques précieuses cotisations syndicales, fait partie des organismes qui contestent la loi 21 devant les tribunaux. Le professeur de droit s’attarde sur ce qu’il qualifie d’« Affaire FAE » en traitant des deux chartes et de l’implication de la « clause dérogatoire »

Heureusement pour le lecteur, Patrick Taillon de l’Université  Laval présente un texte d’une lecture agréable et tout à fait digeste. En se
rapportant au concept d’acceptabilité sociale devenu incontournable au Québec, le professeur de droit soutient que la neutralité religieuse s’est entachée, ces dernières années, une connotation différente de ce qui ressort de la jurisprudence de la Cour Suprême. L’auteur en profite pour  faire le procès du multiculturalisme caractérisé, comme on le sait, par la primauté de l’individualisme sur le bien commun.

Les trois derniers chapitres se retrouvent sous l’enseigne Perspectives éducatives. À ma surprise, j’ai reconnu en Charles-Étienne Gill un nom que l’on retrouve fréquemment parmi les commentaires aux chroniques dans la version numérique du Devoir. Vérification faite, ce  professeur au CEGEP de Saint-Jérôme est bel et bien le même qui défend bec et ongles la loi 21 à l’aide d’une plume aussi affinée
qu’alerte. Ses positions ainsi affichées lui auraient valu une invitation à se joindre à ce collectif. Étant enseignant en communication, il a su donner au titre de son chapitre une  très juste idée de son contenu : The medium is the message; inutile d’encombrer la communication pédagogique. Oui,  la référence à McLuhan s’avère fort pertinente. En peu de pages, l’auteur affiche son propos de façon convaincante. Qu’on en juge par ses dernières lignes : « Or, si le signe religieux porté par l’enseignant a une signification seulement
pour lui, un sens intime et privé, pourquoi jouirait-il d’une tribune aussi importante durant toute une année scolaire? » Intéressant et moins intrigant que ses trois commentaires dans l’édition du Devoir du 24 janvier où il fait l’apologie de l’invasion du Capitole. Mais, ça, c’est un tout autre débat…

Enfin, j’en arrive à l’auteur très prolifique Normand Baillargeon qui débute son chapitre par l’affirmation que les débats soulevés par la loi 21 «…ont été à plus d’un égard désolants.» D’aucuns, dont le responsable du chapitre précédent, apprécieront… Passons ! Avec lui, force est de le reconnaître, on apprend toujours quelque chose. Qui, en effet, parmi ceux qui ne sont pas chimistes, connaissait Ferdinand Buisson (1841-1932) lauréat du prix Nobel de chimie de 1923 ? Mais ce n’est pas pour souligner son apport au monde de la science qu’il trouve place dans ce chapitre. Buissson, que Jules Ferry nommera en 1879 directeur de l’enseignement primaire, jouera un rôle important dans l’implantation des lois Ferry sur l’école publique. Et, bien sûr, il en ira de même pour la loi de 1905. Avant d’y arriver, Baillargeon nous apprend le scandale provoqué par les propos de ce chimiste qui affirma : « Abolissez l’enseignement de
l’histoire sainte et mettez à sa place l’histoire de l’humanité ! » Une tirade qui, s’il elle n’a pas traversé l’Atlantique,  n’est pas tombée, néanmoins dans l’oreille d’un sourd en Hexagone. On comprendra que Buisson fréquentait davantage les milieux socialistes reliés à l’internationale que les laboratoires à pipettes et à fioles gaugées.

De toute évidence, il serait utile d’avoir ce livre à portée de main lorsque le controversé juge Marc-André Blanchard de  la Cour supérieure apportera son verdict sur la Loi 21.

1 Commentaire

  1. Alain BOURGAULT

    Alors, voilà. Suite à ce magnifique, même si très réduit, compte rendu de mon ami André Joyal sur ce livre explicatif de la Loi 21, l’Association humaniste du Québec (ou même la Fondation humaniste du Québec) devrait initier une ou des conférences publiques auprès de la population québécoise, et non seulement auprès de ses membres qui se confortent et s’auto-flattent la bedaine lorsque leur association défend un pareil sujet auprès du ou des gouvernements.
    Pourquoi ne pas inviter quelques panelistes pour exposer ce qu’est la Loi 21 et quelques-uns qui défendraient le contraire? Mais il faudrait que ce soit ouvert dans un endroit neutre et quand même pas trop vaste où les participants pourraient intervenir et poser des questions. Cet événement pourrait se répéter pour rencontrer le plus de gens possible si des dons volontaires sont effectués à l’entrée ou avant la conférence par voie électronique.
    Merci de votre attention.

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