Développement, paix et… santé des femmes

par Juin 8, 2021Articles de fond, Droits humains, humanisme, Québec humaniste, Réflexions0 commentaires

Lyne Jubinville

Lyne Jubinville

Membre du CA de PDF Québec et membre de l'association humaniste du Québec

Ma voisine

Quand j’étais enfant, dans les années 60, la pratique de la religion catholique – quoiqu’en déclin – était encore bien présente dans nos vies. Mes parents étaient croyants et mon père ne pouvait souffrir de manquer la messe dominicale. Mon père était un homme bon. Je l’aimais et il m’était inconcevable qu’il se trompe. Dans nos vies, il y avait aussi nos voisins immédiats : les Labonté (nom fictif). Nous les
fréquentions au point d’avoir aménagé un accès dans notre clôture mitoyenne, ce qui nous permettait de circuler d’une cour arrière à l’autre. Les quatre enfants des Labonté étaient un peu nos frères et soeur.

Les Labonté n’allaient jamais à la messe. Je trouvais étrange que mon père les tolère et les fréquente puisque, normalement, il se tenait loin de ceux qui ne « faisaient pas leur religion ». Mon père était un homme de son temps… Devenue adulte, j’ai su que madame Labonté avait été enceinte de façon à peu près permanente pendant huit ans : quatre grossesses menées à terme entrecoupées de nombreuses fausses couches. Au bout de ces huit années, exsangue et percluse d’anémie, elle était allée voir le curé pour lui demander la permission « d’empêcher la famille ». Le bon curé ne lui a pas donné. Elle n’est plus jamais tombée enceinte et n’a plus remis les 
pieds dans une église. C’était l’air du temps pour les femmes. Plus ça change, plus c’est pareil… ou pire.

Depuis, les ouailles se sont dispersées. La religion catholique n’est plus qu’un pâle souvenir pour les plus vieux et un vague fait historique pour les plus jeunes. Mais comme le bon dieu a horreur du vide, d’autres religions ont émergé dans notre espace public. D’autres religions qui ont, à quelques péchés près, les mêmes valeurs en défaveur des femmes. Et comme si ce n’était pas assez, à la  suite de la déconfessionnalisation des écoles en 1997, un cours faisant la promotion du fait religieux – le cours Éthique et Culture religieuse (ECR) – est mis au programme des écoles du Québec en 2008 : un cadeau fait aux prélats de la religion catholique qui avaient de la grosse pépeine. Et ce n’est pas tout : en guise de prime, on ajoute l’abolition du vilain cours de morale : plus de choix pour les  parents. C’est la croix-voile-kippa-niqab – oui, oui ! – ou rien d’autre. Le cours ÉCR, présentant les religions comme une caractéristique
culturelle devant être respectée comme toutes les autres, mais surtout à tout prix, offre à boire aux enfants un CoolAid multiculturel exempt de pensée critique et rempli de concepts tout aussi misogynes les uns que les autres : le voile pour les filles, la banalisation du
mariage des petites filles, etc. On prépare les jeunes esprits, au nom du respect de toutes les cultures, à tout accepter des religions, même les pires turpitudes. Eh oui, toutes les religions infériorisent les femmes, et ce, depuis toujours.

Développement et Paix

Mais, revenons à nos moutons catholiques. Lu sur le site de Développement et Paix (D&P) : Développement et Paix a été fondé  n 1967 par la Conférence des évêques  catholiques du Canada [1], en réponse à la déclaration du Pape Paul VI tirée de son encyclique
Populorum Progressio qui affirme que le développement est la nouvelle incarnation de la paix. On ne doit pas considérer la paix simplement comme l’absence de guerre. Il faut la bâtir quotidiennement et tendre vers une justice accrue entre les êtres humains (Populorum Progessio, 76). Ce principe fondateur de Développement et Paix reste valide de nos jours [2]. Développement et
Paix (D&P) subventionne des ONG dans les pays en développement. Avant le couperet de février dernier, D&P comptait 205 partenaires. Le couperet ? Quel couperet ? Eh oui, depuis février dernier, resteront partenaires de D&P les organismes qui ne commettront pas de crime de lèse- sainteté-de-la-vie-humaine. Autrement dit, les partenaires qui seront : contre les interruptions volontaires de grossesse
(avortement), contre la contraception. Principalement, mais pas que… qui seront aussi : contre la masturbation, contre
l’homosexualité, contre tout ce qui ne relève pas directement du dogme chrétien, tel que vu par les intégristes.

Le développement et la paix, ce n’est pas vraiment pour les femmes. De quoi je me mêle ?

Il faut dire que dès 2009, LifeSiteNews [3], mène une campagne […] contre les évêques catholiques du Canada et leur organisation Développement et Paix (D&P), en raison du financement qu’ils accorderaient, au Mexique, à des groupes défendant le droit des femmes à l’avortement. (…) Bien que D&P nie tout appui aux groupes pro-choix du Mexique, pays où l’Église catholique fait campagne contre l’avortement, des évêques canadiens, dont celui de Toronto, ont temporairement retenu les dons versés par les catholiques. Deux évêques, François Lapierre, de Saint- Hyacinthe, et Martin W. Currie, de St. John’s et Grand Falls (Terre-Neuve et Labrador), ont mandat de faire enquête [4]. En 2011, D&P continue de subir des pressions de la part de différents groupes intégristes catholiques. Socon and
burst, un blogue catholique, crie au scandale contre D&P à propos de plus de 40 de ses « organismes [subventionnés] qui font la promotion agressive de l’avortement, du mariage homosexuel, de la contraception et même de la prostitution dans leur pays [5] ». Nous pouvons lire, à la fin du blogue, qu’il s’agit « [… d’]un débat sur l’essence même de la vie chrétienne ». Que voulez-vous, la charité chrétienne, c’est la charité chrétienne. Mais, pas un mot sur les femmes qui meurent en couche, qui se font violer, qui sont rendues à leur huitième grossesse à l’âge de 25 ans ou dont l’espérance de vie est réduite pour cause d’absence de contrôle sur leur sexualité. La vision pro-vie, c’est pour tout le monde, sauf pour les femmes.

C’est laid en « p’tit Christ de plâtre »

D’un seul élan, cédant aux pressions des groupes provie, des catholiques radicaux, mais appliquant aussi sa propre vision des choses, la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC) démarre, en 2018, une enquête sur les ONG visées par les allégations. Mais,
« les enquêteurs ne cherchaient pas de traces de mauvaise gestion ou de projets douteux financés par cet important acteur canadien de l’aide internationale [6] ». Pas du tout ! Ces gentils enquêteurs « ont passé trois ans à analyser une soixantaine de sites Internet et de réseaux sociaux à la recherche de ces mots synonymes de péché, de scandale, pour la Conférence des évêques catholiques du Canada
(CECC) » [7] : masturbation, homosexualité, et, bien sûr et surtout, contraception et avortement. Même si un organisme ne pratique pas d’avortement, s’il réclame de la part du gouvernement du pays où il œuvre des mesures en matière de santé reproductive pour les femmes, il est  d’emblée condamné. Pour justifier cette condamnation, le rapport lui reproche alors des peccadilles comme : « deux
représentants du partenaire ont assisté, en 2014, à une conférence sur le droit reproductif [8]».

Comme si ce n’est pas assez, le gouvernement canadien qui, en 2017, met en place sa « politique d’aide internationale dite « féministe » et qui, selon le site Internet d’Affaires mondiales, met de l’avant l’engagement du Canada à améliorer la santé sexuelle des femmes, notamment en matière d’accès à la contraception et à des avortements sécuritaires » verse en même temps (de 2017 à 2019), près
de 40 millions de dollars à … Développement et Paix [9]. Ça s’appelle parler des deux côtés la bouche. Les droits des femmes dépendent d’un féminisme à géométrie variable de la part de certains gouvernements.

Mon père, j’ai péché

Soixante-trois organismes font donc l’objet d’un examen ne portant que sur des questions liées à la sexualité. Le verdict tombe en mars : vingt-quatre organismes ne recevront plus d’aide financière et dix-neuf ententes partenariales arrivant à échéance ne seront pas  renouvelées. Et ce, sur la base unique de critères liés à la sexualité. Celle des femmes, tout particulièrement, bien sûr. En mars dernier, interrogé sur cette décision, Pierre Goudreault, évêque de Sainte-Anne- de-la-Pocatière et membre du bureau de direction de la
CECC, finit par cracher le morceau : « Toute organisation est libre d’avoir certains critères pour choisir ses partenaires. Le respect de la vie, ajoute-t-il, est une valeur importante pour l’Église catholique. » [10] Le respect de la vie c’est pour tout le monde, sauf pour les femmes.

Un Jean-Guy sur notre chemin pour toujours ?

Jean-Guy Tremblay. Oui, oui, le gars qui voulait protéger la vie de « son enfant » en s’adressant aux tribunaux pour empêcher sa blonde, Chantal Daigle de se faire avorter. Cette Chantal Daigle à qui un juge québécois a d’abord dit qu’elle n’avait pas le droit d’interrompre sa grossesse. Cette Chantal Daigle qui lui a désobéi. Cette Chantal Daigle à qui la Cour suprême a finalement dit qu’elle
avait le droit de décider pour elle-même. L’avortement, ce n’est pas l’affaire des hommes et encore moins des religieux. Les femmes seules peuvent choisir de ne pas poursuivre une grossesse qui n’est pas désirée parce qu’il en va de leur santé physique, mentale, économique et sociale. Les femmes doivent pouvoir décider pour elles- mêmes : il en va de leur santé.

Féminisme

La très regrettée présidente de PDF Québec, Diane Guilbault m’a appris que la grille d’analyse de la pensée féministe tient en un mot : émancipation. Pour qu’une action, un droit, un concept puisse se faire attribuer le qualificatif de féministe, il doit être émancipateur pour les femmes et promouvoir la dignité des femmes à tous égards. Il est maintenant accepté que les citoyens des sociétés qui tendent vers une réelle égalité entre les femmes et les hommes sont plus heureux et la société plus prospère. Et la santé sexuelle des femmes est une part importante de l’égalité entre les hommes et les femmes. Les femmes ont droit à la dignité.

Références
1. https://www.cccb.ca/fr/
2. https://www.devp.org/fr/aboutus/history
3. Site anglophone dirigé par le mouvement pro-vie Canada, créé en 1997 par Campaign Life Coalition, lui- même un groupe de Toronto fondé en 1978, voué à la lutte sur le plan international contre les « attaques à la vie et à la famille ».
4. https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/246532/ crise-a-developpement-et-paix
5. http://socon.ca/2011/05/resume-du-scandale-a-developpement-et-paix/ – more-152486. La Presse, Isabelle Haché,https://www.lapresse.ca/actualites/2021-04-03/
obscurantistes-1-femmes-0.php
7. Radio-Canada, Émilie Dubreuil, https://ici.radiocanada. ca/nouvelle/1781125/ong-canada-feminisme-developpement-paix-eveques-avortement-contraception
8. Ibid
9. Ibid
10. Ibid

Pour en savoir plus :

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1781125/ong-canada-feminisme-developpement-paix-eveques-avortementcontraception
http://presence-info.ca/article/developpement-et-paix- expurge-pres-de-40-des-partenaires-examines https://www.lapresse.ca/actualites/2021-04-03/ obscurantistes-1-femmes-0.php
http://presence-info.ca/article/ethique/developpement-et-paix-voici-pourquoi-les-partenaires-ont-ete-rejetes
http://presence-info.ca/article/developpement-et-paix-merite-mieux-qu-une-revision-baclee
https://www.lapresse.ca/actualites/2019-04-22/des-eveques-bloquent-l-aide-a-des-ong-qui-tolerent-lacontraception
https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/246532/crise-a-developpement-et-paix
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1781125/ong-canada-feminisme-developpement-paix-eveques-avortementcontraception
http://socon.ca/2011/05/resume-du-scandale-a-developpement-et-paix/ – more-15248

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *