Compte-rendu de la conférence AHQ du Dr Georges L’Espérance sur l’état de l’aide médicale à mourir au Québec
CLAUDE BRAUN
Administrateur et éditeur en chef du "Québec humaniste"
Claude Braun a été professeur de neurosciences cognitives à l'UQAM de nombreuses années. Retraité depuis peu, Il a publié nombres de documents de recherches sur le sujet. Il a été également éditeur du "Québec laïque" et est depuis quelques années l'éditeur en chef de notre revue "Québec humaniste" Il a également publié "Québec Athée" en 2010. Téléchargeable gratuitement en utilisant ce lien avec les compliments de l'auteur.
NDLR Le 17 septembre 2020 le président de l’Association Québécoise pour le Droit de Mourir dans la Dignité (AQDMD), le neurochirurgien Dr Georges L’Espérance, a donné une allocution en mode Zoom à l’Association Humaniste du Québec (AHQ). La vidéo de la conférence du Dr L’Espérance est disponible gratuitement sur le site YouTube de l’AHQ (https://www.youtube.com/user/QcHumaniste?app=desktop). Rappelons que l’AQDMD émana de l’AHQ, fut fondée en 2007, et reçut le prix d’Humaniste de l’année en 2013. Hélène Bolduc, fondatrice et présidente à cette époque de l’AQDMD, reçut ce prix ainsi qu’une plaque/trophée en mains propres et donna une allocution à l’AHQ. Nous reproduisons en fin d’article le logo de l’AQDMD à titre strictement informatif.
Le Dr L’Espérance a d’abord défini le terme « euthanasie », terme qu’il approuve et dont il a expliqué le principe. Il s’agit de « bonne mort » ou « mort douce ». Le terme a été introduit par le philosophe Francis Bacon (1561-1626) dans un essai où il approuvait l’euthanasie comme fonction noble du médecin. La Belgique utilise d’ailleurs le terme « euthanasie » dans sa loi sur le droit à l’aide médicale à mourir.
On entend encore parfois les termes d’euthanasie passive ou active. L’euthanasie passive consiste à ne pas fournir de traitements nécessaires pour le patient ou encore à cesser ces traitements qui tiennent le patient en vie. On préfère maintenant le terme de « cessation de traitement » qui réfère beaucoup plus à l’arrêt – ou l’absence de mise en route – de l’acharnement thérapeutique. L’euthanasie active consiste en une action directe du médecin ou de l’infirmier/ère clinicien/enne qui injecte le produit létal. Enfin, le suicide assisté (SA) consiste pour un soignant à fournir la médication appropriée, orale ou intra-veineuse, mais c’est le patient lui-même qui se l’administre (Suisse et 7 états américains)
L’AQDMD préconise la deuxième option, l’aide médicale à mourir (AMM) qui est d’ailleurs la seule permise au Québec et par seulement un médecin, alors qu’au Canada, le Code criminel (C-14, article 241) permet l’AMM et le SA, par un médecin et par une infirmier/ère clinicien/enne certifié/e. Une deuxième distinction à laquelle tient le Dr L’Espérance clarifie que l’aide médicale à mourir dans les lois existantes des divers pays ne consiste nullement dans, ni ne doit consister en de « l’eugénisme ». L’aide médicale à mourir doit absolument venir d’une demande exprimée en toute conscience par le patient lui-même, sans aucune exception.
Au moment de la conférence du Dr L’Espérance, le cadre légal du Québec sur le droit à l’aide médicale à mourir relevait, depuis le jugement de la juge Christine Baudouin dans la cause Gladu/Truchon (11 septembre 2019)[1], de l’unique situation d’une « mort naturelle prévisible » telle qu’exprimée dans le Code criminel, car la juge Baudouin a jugé que le critère de « fin de vie » de la loi québécoise était inconstitutionnel ; le Québec a décidé de ne pas faire appel de ce jugement, tout comme le gouvernement fédéral
qui a cependant opté pour une modification de sa loi afin d’enlever le critère de « mort naturelle raisonnablement prévisible », critère lui aussi inconstitutionnel.
La position de principe, et la revendication centrale de l’AQDMD, est de faire reconnaître que les conditions de la mort d’une personne relèvent de son autonomie, pas d’un quelconque paternalisme médical, légal ou religieux, bien sûr une fois qu’un diagnostic de maladie incurable est porté et que la personne décide en toute connaissance de cause, donc est apte à prendre une décision pour elle-
même. D’ailleurs 90% de la population du Québec et 80% des médecins du Québec sont en faveur d’un tel droit.
Cependant l’AQDMD va plus loin que les lois québécoise et canadienne actuelles et revendique pour le proche avenir l’accessibilité à l’AMM sur trois aspects spécifiques.
1. Le droit à l’aide médicale à mourir pour les mineurs matures de 14 à 18 ans. L’AMM n’est accessible pour le moment qu’aux patients de 18 ans et plus.
2. Les maladies neurodégénératives cognitives dont l’exemple le plus représentatif est la maladie d’Alzheimer ne sont pas actuellement admissibles à l’AMM lorsque le patient n’est plus apte, même s’il en a exprimé le désir auparavant. L’AMM devrait pouvoir être possible par directives médicales anticipées. Cela suppose que tout citoyen québécois devrait pouvoir faire connaître légalement son désir, à l’avance, alors qu’il est en pleine possession de ses moyens cognitifs, de recevoir une aide médicale directe à mourir lorsque rendu au-delà d’un seuil de tolérance définie par lui-même. Cela suppose également la mise en place d’une mécanique légale qui donnerait au mandataire l’autorisation de faire la demande d’AMM au moment choisi par le patient.
3. L’AQDMD reconnaît que divers désordres psychiatriques sévères sont de véritables maladies qui génèrent des souffrances réelles
mais difficilement évaluables par les médecins. Bien que cette situation soit très délicate, il n’est que justice que ces patients puissent avoir accès à l’aide médicale à mourir avec des balises strictes qui restent à définir.
Le Dr L’Espérance considère que l’aide médicale à mourir bien encadrée comme elle l’est au Québec et au Canada est une expression de l’humanisme, c’est-à-dire de l’amour et du respect de l’Autre. Le Dr l’Espérance conclut sa conférence en informant l’auditoire que l’on
peut trouver des informations sur l’aide médicale à mourir sur le site internet de l’AQDMD (https://aqdmd.org/), voire même des formulaires, entre autres de « directives médicales anticipées ».
Note complémentaire
Au moment de la rédaction de ce compte-rendu, la loi C7 qui modifie le Code criminel C-14 a été adoptée le 17 mars 2021 à la Chambre des Communes. L’aspect le plus important est que le critère de « mort naturelle raisonnablement prévisible » n’est plus un
critère d’accessibilité à l’AMM, mais un critère de sauvegarde qui permet de séparer les patients en deux catégories et donne ainsi accès à l’AMM aux patients aux prises avec une maladie chronique. Le second aspect le plus important est que l’AMM est expressément interdite pour les patients avec problématiques de santé mentale uniquement, et ce pour une période de 2 ans. Au 18 mars 2023, cette interdiction deviendra caduque. D’ici là, le gouvernement s’est engagé à élaborer des critères d’accessibilité avec les experts cliniciens de divers horizons ainsi qu’avec la société civile.
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