Michel Virard

Michel Virard

Président de l'AHQ

Michel Virard est un des fondateurs de l’AHQ en 2005 avec Bernard Cloutier et Normand Baillargeon. Ingénieur et entrepreneur, il a également été administrateur des Sceptiques du Québec. il est depuis les tout débuts l’une des âmes dirigeantes de l’AHQ. 

Notre président Michel Virard, répond à sa fille qui lui demande son avis sur cet article, paru dans Le Soleil du 17 février.  https://tinyurl.com/yd687wxz

Nous publions sa réponse ici, avec sa permission.

En réponse à ma fille au sujet de cet article du Soleil, Je lui ai répondu ceci: MV

Touchant, mais là encore, la défense woke est à coté de la plaque: la liberté académique ne consiste pas à insulter les gens mais à manipuler les concepts, avec précaution, certes, mais librement. 

Georgia Vrakas a bien raison de dire : 

« Je fais de mon mieux, j’essaie de comprendre, mais avant tout je pratique l’empathie. » 

Mais elle n’a pas raison de dire : 

« Nous vivons dans une société où la liberté académique est devenue plus importante que les le racisme vécu par nos étudiant(e)s. Il faut se rendre à l’évidence : il est nécessaire de changer les choses. » 

C’est précisément là où le bât blesse: elle nous demande d’asservir la liberté académique (recherche objective du vrai) aux expériences de « racisme vécu ». Il s’agit donc d’une déclaration de subjectivisme sans complexe et en parfaite harmonie avec les postulats de la Critical Theory: l’objectivité est un mythe, toute théorie scientifique est une narration dont la valeur est déterminée (seulement) par des rapports de pouvoir entre oppresseurs et opprimés. Seule compte vraiment l’expérience ressentie par le sujet opprimé.  

Je crois que la racine de cette dérive est un sophisme, le sophisme de composition, commis par les postmodernistes suite à publication du livre de Thomas Kuhn sur la Structure des révolutions scientifiques. Kuhn démontre que les paradigmes scientifiques (il est l’inventeur du mot) sont des constructions sociales. C’est le triomphe du socio-constructivisme: tout ce que nous appelons « connaissance » serait purement constitué de constructions sociales (imaginez un instant la jubilation des philosophes littéraires en rivant le clou aux savants!).  

Mais personne ne nie que les paradigmes scientifiques soient AUSSI des constructions sociales, ce que les scientifiques ne peuvent admettre (sans se mettre au chômage) c’est que la science soit seulement une construction sociale. Une théorie scientifique n’est pas seulement un narration sur laquelle une majorité de savants se sont mis d’accord, elle est bien plus que cela, parce qu’elle inclut implicitement au moins trois autres aspects cruciaux d’une théorie: l’histoire de sa genèse, les faits sur lesquels elle se base, et surtout, surtout, sa validation par une multitude d’usages pratiques qui confirment (ou non) qu’elle est bien «la meilleure explication disponible à ce moment» (selon David Deutsch) or cette validation est hors du contrôle des savants. Elle est l’apanage des ingénieurs, des médecins, des psychologues cliniciens… Cela rend la réduction de la science uniquement à la notion de « narration » consensuelle par un groupe de savants plutôt risible. 

Le sophisme de composition est un cas particulier du sophisme de généralisation abusive. Il consiste à attribuer au tout les caractères de la partie. Dans ce cas les postmodernistes socio-constructivistes ont omis de considérer qu’on ne peut rien déduire du fait reconnu qu’une narration consensuelle soit toujours une construction sociale: cela ne dit strictement rien sur l’adéquation entre une théorie et la réalité: les complotistes peuvent bien se mettre d’accord sur une théorie du complot, cela ne dit rien sur la réalité du complot. Il peut être avéré ou imaginaire.  

De fait, il existe deux sortes de philosophes: ceux de tradition littéraire et ceux de tradition scientifique. Ces derniers refusent de se faire embarquer dans la dérive postmoderniste. C’était le cas de Mario Bunge (prof à McGill) mais Bunge était aussi physicien. Bunge, décédé en 2019, était conseiller de la Fondation humaniste du Québec. 

Pour en revenir à Georgia, personne ne lui demande « d’insulter ses élèves », seulement de ne pas censurer les faits, aussi désagréables sont-ils, lorsqu’elle enseigne des situations troublantes. Pourquoi ? Parce que ce n’est pas rendre service aux étudiants troublés (on est à l’université, quand même!) que de leur cacher une réalité désagréable. C’est les considérer comme des êtres faibles (racisme implicite ?) incapables de surmonter leurs traumatismes. Et là je renvoie aux études psychologiques validées sur les moyens de surmonter des traumatismes psychologiques. Ce que Georgia, en bonne psychoéducatrice, devrait connaître. Aucune ne recommande d’enfouir les causes du traumatisme mais, au contraire, de les apprivoiser progressivement. Or c’est précisément ce que le wokisme récuse au nom de la primauté d’un « vécu» incommunicable.

Il ne faut surtout pas se méprendre, le wokisme n’est pas juste une attitude bisounours envers des minorités injustement traitées, c’est, hélas, une déclaration de guerre à la notion même de science capable de générer des concepts universels, partagés par tous, appliqués par tous.   

Bises 

Dad 

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