Michel Virard
Président de l'AHQ
Michel Virard est un des fondateurs de l’AHQ en 2005 avec Bernard Cloutier et Normand Baillargeon. Ingénieur et entrepreneur, il a également été administrateur des Sceptiques du Québec. il est depuis les tout débuts l’une des âmes dirigeantes de l’AHQ.
A qui de droit,
J’ai été pendant des décennies un fervent soutien d’Amnistie Internationale – section francophone. Toutefois je dois dire que depuis quelques années j’ai observé une dérive inquiétante. Comment se fait-il que AI soit passée de la défense de prisonniers politiques – ou plus exactement prisonniers d’opinion – un objectif universellement reconnu comme majeur et immensément important, à la défense de groupuscules qui se perçoivent comme victimes de discrimination, quand bien même on serait bien en peine de mettre le doigt sur ladite discrimination ?
Le cas le plus flagrant est celui de l’implication bizarre d’AI dans l’attaque en règle contre la loi sur la laïcité (loi 21) du Québec. Le mémoire de AI concernant la loi 21 se termine avec le paragraphe suivant:« Amnistie internationale recommande au gouvernement de ne pas avoir recours aux clauses dérogatoires des Chartes, à moins qu’il ne fasse la démonstration que le port des signes religieux ainsi que la prestation et la réception de services à visages couverts représentent un danger public exceptionnel menaçant l’existence de la nation. »
C’est tout simplement aberrant que AI puisse conclure un rapport officiel avec une telle recommandation. La clause dérogatoire n’est pas une sorte de bouton destiné à déclencher une riposte en cas de guerre totale, mais un outil constitutionnel destiné à limiter les kyrielles de contestations judiciaires que toutes sortes de projet de loi peuvent déclencher dans le cours normal d’une législature.
Je vous rappelle le contexte de l’instauration de la clause dérogatoire: « Finalement, une majorité de provinces décident d’appuyer l’instauration de la Charte à la seule condition qu’elle comprenne une clause permettant au Parlement ou à tout autre pouvoir législatif provincial de créer des lois qui dérogent à certains articles de la Charte (à propos des droits fondamentaux, des droits d’égalité et des droits judiciaires). Ces lois, qui peuvent être exemptées pour une période de cinq ans, doivent ensuite être renouvelées.»
À aucun moment il n’est prévu, ni indiqué, ni même sous-entendu, que cette clause dérogatoire soit réservée à des lois mettant en cause la survie de la nation. De fait, la clause dérogatoire a été historiquement utilisée pour nombre de choses fort éloignées de la survie de la nation tels que retour au travail de grévistes ou le financement d’écoles catholiques pour des élèves non catholiques (Saskatchwan) ou encore la réduction de la taille du conseil municipal de la ville de Toronto (Ontario). Il me semble qu’on est très, très loin d’une «menace à l’existence de la nation».
Amnistie Internationale place donc ici la barre de l’acceptabilité de la clause dérogatoire à un niveau arbitrairement élevé et sans aucune justification. En faisant cette recommandation, Amnistie Internationale se fourvoie dans une cause douteuse : elle exige pour la loi 21 une interprétation extraordinairement stricte de la liberté de religion, laquelle n’a jamais été totale à aucune époque et dans aucune juridiction. Je pense, comme beaucoup de Canadiens amis d’AI, qu’elle fait fausse route et qu’elle devrait certainement se retirer de l’actuelle contestation de la loi 21 devant les tribunaux car elle risque fort d’y perdre sa crédibilité, crédibilité dont nous avons tous absolument besoin pour la vraie raison d’être d’Amnistie Internationale : la défense des prisonniers d’opinion comme Raïf Badawi ou Julian Assange.
Un (ex-)membre déçu,
Michel Virard, ing. (retraité)
Président, Association humaniste du Québec (membre votant de Humanist International)
Secretary, Humanist Canada
Pour faire connaitre votre opinion à Amnistie Internationale au sujet de sa position sur loi 21:
accueil@amnistie.ca
0 commentaires