Michel Virard

Michel Virard

Président de l'AHQ

Michel Virard est un des fondateurs de l’AHQ en 2005 avec Bernard Cloutier et Normand Baillargeon. Ingénieur et entrepreneur, il a également été administrateur des Sceptiques du Québec. il est depuis les tout débuts l’une des âmes dirigeantes de l’AHQ. 

Historiquement, les humanistes sont apparus comme des chrétiens qui désiraient cesser de s’occuper du divin pour revenir à l’humain. À la Renaissance, cette centralité de l’humain était une déviation de la norme issue du Moyen Âge qui voulait qu’une vie humaine n’ait de sens que dans la perspective d’une autre vie après la mort physique et qu’il fallait donc comprendre correctement les desseins de la divinité pour assurer son salut, c’est-à-dire une vie éternelle pour son âme. Les Humanistes de la première heure vont donc laisser de côté le divin et tenter d’améliorer la condition humaine par des moyens humains sans pour autant nier l’existence d’un Dieu.

Au cours des siècles suivants, la pensée humaniste va s’incarner progressivement dans un détachement de plus en plus marqué du divin. Par exemple, à la fin du 18e siècle,  le Dieu des chrétiens est perçu par les grands philosophes comme un Dieu responsable de la création du monde, mais qui cesse immédiatement de s’en occuper, laissant les lois immuables qu’il a créées s’occuper de faire fonctionner l’Univers. L’influence de Galilée et de Newton a conduit à la croyance en un dieu non-interventionniste puisque les savants de cette époque ont montré que le monde semble déterministe.  En 1798, c’est ce que résume la boutade bien connue du mathématicien et physicien français Pierre-Simon de Laplace en réponse à la question de Napoléon Bonaparte. Je cite : « Newton a parlé de Dieu dans son livre. J’ai déjà parcouru le vôtre et je n’y ai pas trouvé ce nom une seule fois. » À quoi Laplace aurait répondu : « Citoyen premier Consul, je n’ai pas eu besoin de cette hypothèse. » Autrement dit, le Dieu de Laplace a cessé d’être utile pour expliquer le monde en mouvement autour de nous. Il ne lui reste plus que le titre de « Grand Architecte », celui qui a créé l’Univers et s’est reposé, non pas juste le 7e jour mais pour l’éternité.

Toutefois même ce titre va bientôt lui être disputé. Pour être architecte ou ingénieur il faut être cohérent. Pour être grand il faut surpasser les solutions simplement adéquates, mais sans beauté, sans émotion, sans empathie. Or à peine 60 ans plus tard, en 1858, Charles Darwin publie « De l’origine des espèces », une véritable bombe, car elle remet en cause non seulement la façon dont la vie et les humains ont été créés, mais aussi la cohérence de la création par une volonté divine. Darwin nous force à découvrir non seulement nos humbles origines, mais aussi l’extraordinaire impassibilité du présumé créateur devant la souffrance des êtres qu’il a supposément créés. Darwin est effaré par ses propres découvertes sur le parasitisme des espèces. Je cite : « Mais, j’avoue que je n’arrive pas à voir aussi clairement que les autres, et comme je voudrais le faire, la preuve de la conception intelligente et de la bienveillance dans tout ce qui nous entoure. Il y a pour moi trop de malheur dans le monde. Je n’arrive pas à me persuader qu’un Dieu bienveillant et omnipotent pourrait avoir conçu certaines guêpes avec l’intention délibérée que leurs larves se nourrissent du corps de chenilles, ou qu’un chat devrait jouer avec les souris. »

Le doute sur la nature profonde du dieu créateur va continuer à se développer. Sa bonté a été remise en cause et son omniscience a aussi été mise à mal par la présence du Mal dans le monde. Il ne peut même pas se laver les mains de la souffrance de tous ces êtres vivants. S’il est vraiment le créateur du monde, alors il savait que l’évolution qu’il a mise en route mènerait forcément à cette montagne de souffrance. L’idée de Dieu a décidément pris du plomb dans l’aile, mais elle demeure plausible car notre esprit réclame une cause première pour cet Univers qui nous entoure.

C’est au 20e siècle que deux découvertes majeures vont diminuer encore la nécessité d’un Dieu-cause première.  La première a été faite par les astronomes Edwin Hubble en 1924 et Georges Lemaitre en 1927 et elle ouvre des perspectives nouvelles sur l’origine de l’Univers. Ils ont découvert que l’Univers était immensément plus vaste et surtout qu’il était en expansion constante, et donc qu’il devait avoir eu un début où la totalité de ce qui constitue aujourd’hui l’Univers avait dû être concentrée en un volume incroyablement limité. L’autre découverte a été celle de toute la physique quantique, qui nous a appris des choses extraordinaires, comme la possibilité qu’une fluctuation spontanée du vide produise deux particules, une de matière et l’autre d’antimatière.

Aujourd’hui, les physiciens ont encore moins besoin que jamais de l’hypothèse Dieu pour expliquer non seulement le fonctionnement de l’Univers mais aussi les événements juste après sa naissance. Même si nous n’avons pas d’observations directes du Big Bang à son tout début, il faut savoir que nous avons maintenant des observations directes sur ce qu’était l’Univers  de l’an 380 000 à aujourd’hui, c’est-à-dire 13,8 milliards d’années plus tard. D’après mon calcul, nous avons des observations directes sur l’Univers pour une période couvrant exactement 99,99% de son existence. Est-ce que les savants de ce monde espèrent trouver Dieu dans ce 0,01% du temps qui nous reste à découvrir ? D’après l’Académie des Sciences américaine, en 1998 seulement 7% de ses membres croyaient en un dieu personnel. 

Pour les Humanistes du Québec, la possibilité d’un Dieu créateur de l’Univers et, de surcroit, intéressé par la vie des êtres humains est devenue hautement improbable et c’est pour cela que nous nous déclarons athées ou agnostiques.

Mais le Dieu des religions monothéistes n’était pas seulement un créateur de l’Univers, il était aussi le garant d’une certaine justice parmi ses adorateurs. Même si ce Dieu avait apparemment toutes les caractéristiques d’un potentat moyen-oriental, il remplissait une fonction importante dans la société des croyants. Les croyants étaient persuadés que ce Dieu assurait une certaine justice, aussi bien durant la vie qu’après la vie. Il semblait toujours du côté des armées victorieuses et on lui offrait alors des Te Deum magnifiques. Si nos armées étaient vaincues, alors il fallait rechercher et châtier les malheureux impies qui avaient offensé ce Dieu et nous avaient ainsi privés de la victoire. Le catalogue des malheureux qui ont subi la vindicte populaire n’a toujours pas été fait. Ce  même Dieu pouvait tout aussi bien punir tout un peuple par des catastrophes terribles ce qui amenait à trouver des boucs-émissaires à sacrifier pour amadouer ce Dieu irascible. Enfin si un événement heureux survenait, il allait de soi qu’il fallait en remercier la divinité.

Compter sur un Dieu invisible pour assurer la justice a fini par décevoir assez d’humains pour qu’ils décident de s’en occuper eux-mêmes. Ce faisant, ils ont du même coup diminué le besoin de croire en une justice divine. Les corps de police, distincts des cours de justice, sont une invention récente. Ils apparaissent vers 1800 à Londres, Glasgow, Paris. Au cours du 19e et du 20e siècle, ces corps de police vont devenir de plus en plus efficaces à trouver les coupables de crimes violents et les faire  mettre derrière les barreaux. Le besoin d’une justice divine diminue si l’on sait que les coupables ont peu de chance de s’en tirer avec la justice humaine. La divinité comme garante de l’ordre social a donc vu son rôle millénaire contesté, d’autant plus que la solidarité interne aux sociétés occidentales s’est déplacée, passant d’une responsabilité assumée par la religion à une responsabilité de l’état moderne.

En l’espace de deux siècles, le Dieu des monothéistes a perdu successivement ses principaux attraits. Il ne lui reste que ce que les croyants veulent bien lui confier, leurs espoirs, leurs déceptions, une présence réconfortante, la chaleur d’une communauté partageant les mêmes croyances. Mais même là, les sociétés occidentales s’emploient maintenant à fournir des alternatives et l’on peut se demander si le besoin d’un Dieu personnel ne deviendra pas un jour un phénomène marginal.

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