La discrimination contre les non croyants dans le monde

par Mai 11, 2019Québec humaniste, Religions0 commentaires

Michel Virard

Michel Virard

Président de l'AHQ

Michel Virard est un des fondateurs de l’AHQ en 2005 avec Bernard Cloutier et Normand Baillargeon. Ingénieur et entrepreneur, il a également été administrateur des Sceptiques du Québec. il est depuis les tout débuts l’une des âmes dirigeantes de l’AHQ. 

Le droit à la liberté de religion ou de conviction est un droit fondamental pour tout être humain. Comme l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction », ce qui inclut le droit de quitter complètement la religion et le droit de s’identifier librement avec n’importe quelle étiquette, y compris athée, humaniste, agnostique, etc.

Cependant, dans 12 pays du monde, l’apostasie, qui est l’acte de quitter la religion, est passible de la peine de mort. Dans au moins sept autres pays, l’apostasie est passible d’une peine de prison. Bahreïn, Brunei Darussalam, Comores, Gambie, Irak, Koweït, Oman. Dans de nombreux autres pays, les apostats font face à la stigmatisation sociale ou sont activement discriminés ou persécutés par l’État (voir le Rapport sur la liberté de pensée, de Humanist International pour plus d’informations).*

En outre, là où les gens n’ont pas le droit d’apostasier ou là où il est difficile de quitter sa religion, les groupes religieux sont en mesure de déclarer des chiffres exagérés pour le nombre de leurs adhérents, ce qui leur permet de gonfler artificiellement les bénéfices et privilèges de leurs institutions religieuses.

Quatre-vint cinq pays ont actuellement des lois discriminant contre les athées. Toutefois les lois ne sont qu’un des aspects de la discrimination envers les non- croyants. L’ostracisme vécu par les non-croyants peut être aussi terrible que les châtiments officiels, voir bien pire comme c’est le cas au Pakistan et au Bengladesh où le lynchage de journalistes ou de blogueurs ouvertement athées est récurrent.

Ashraf Fayadh

Ashraf Fayadh

Ashraf Fayadh croupit actuellement en prison, en Arabie Saoudite, et est torturé régulièrement. Ses crimes ? « A fait la promotion de l’athéisme par ses poèmes, a insulté le prophète Mahommed, a les cheveux trop longs, a eu des relations illicites avec des femmes ». Il fut condamné à mort par décapitation pour apostasie en 2015. Suite aux pressions des organismes comme le nôtre, il a été « gracié », si l’on peut dire, en voyant sa peine commuée à 8 ans de prison et 800 coups de fouets.

Ananta Bijoy Das,

Ananta Bijoy Das

   Das

a été agressé par quatre hommes masqués mardi matin alors qu’il se rendait à son travail. « Ils l’ont pourchassé dans la rue et l’ont d’abord frappé à la tête avec leurs machettes ». Les assaillants se sont noyés dans la foule et Ananta Bijoy Das a été déclaré mort dès son admission à l’hôpital. Das écrivait pour Mukto-Mona (Libre pensée), un site Internet autrefois modéré par le blogueur américain d’origine bangladeshie Avijit Roy, lui- même assassiné en février à Dacca. « Il avait reçu des menaces d’extrémistes islamistes pour ses écrits au cours des derniers mois. Il était sur leur liste de cibles », a dit Debasish Debu, un ami de Das, faisant référence à une liste supposée de blogueurs athées menacés par des activistes islamistes. Selon cet ami, Das travaillait également pour le trimestriel Jukti (Logique) et présidait le Conseil pour la science et la raison. Imran Sarker, président de l’association des blogueurs du Bangladesh, a dénoncé un « meurtre odieux » qui « confirme une fois de plus nos craintes qu’il existe une culture de l’impunité au Bangladesh ». « Quiconque tue un penseur libre et progressiste peut échapper à la justice », a-t-il dit.

Un autre blogueur, Washiqur Rahman, a également été tué à coups de couteau en mars à Dacca et deux étudiants de madrasas ont été arrêtés.

Niloy Chatterjee

Niloy Chatterjee

Hélas ! La série n’est pas finie: le 7 août 2015, Niloy Chatterjee a été assassiné dans son appartement de Dacca par un gang armé de machettes. Il avait 40 ans et avait critiqué l’extrémisme religieux qui avait conduit aux attaques à la bombe dans les mosquées et au meurtre de nombreux civils.

Dans plusieurs pays l’athéisme est délibérément assimilé au communisme et déclaré hors la loi (cas de l’Indonésie, de l’Arabie Saoudite). Pour persécuter les athées, il n’est d’ailleurs pas nécessaire d’avoir une loi sur l’apostasie, une loi sur le blasphème fait très bien l’affaire, ce qui est un moyen très efficace pour empêcher les athées de prendre la parole (cas du Pakistan).

Même si la « chasse aux athées » n’a plus cours en Occident, le plus étonnant est qu’on trouve encore aujourd’hui des discriminations contre les athées tout à fait officielles et jusque dans la constitution d’États qu’on a l’habitude de classer comme progressistes. Ne vous faites pas d’illusion si Humanist International n’a trouvé QUE 85 pays avec des niveaux de discrimination dignes d’être signalés, ce n’est pas parce que la moitié, les 108 restants, soient des parangons de l’égalité croyance/incroyance devant la loi. C’est plutôt qu’Humanist International n’a pas nécessairement des correspondants dans tous les pays de la planète.

Savez-vous que si j’étais citoyen américain, je ne pourrais pas occuper certains postes officiels dans ces huit états américains, du simple fait que je suis non croyant :

-Arkansas Article 19, section 1 : « une personne qui nie l’existence de Dieu ne peut occuper aucune fonction dans les services civils de cet État, ni être compétente pour témoigner en tant que témoin devant un tribunal. »

-Maryland Article 37 : « un test de religion ne devrait jamais être exigé pour être éligible à une charge ou à une position de confiance dans cet État, autre qu’une déclaration de croyance en l’existence de Dieu; le législateur ne doit pas prescrire d’autre serment que le serment prescrit par cette Constitution ».

-Mississippi Article 14, article 265 « une personne qui nie l’existence d’un Être suprême ne pourra occuper aucune fonction dans cet État ».

-Caroline du Nord Article 6, section 8 : « Les personnes suivantes seront disqualifiées pour ces fonctions: Tout d’abord, toute personne qui niera l’existence de Dieu tout puissant… ».

-Caroline du Sud Article 17, section 4 : « une personne qui nie l’existence d’un Être suprême ne peut occuper un poste en vertu de la présente Constitution ».

-Tennessee Article 9, section 2 : « une personne qui nie l’existence de Dieu, ou un état futur de récompenses et de punitions, ne peut occuper aucune fonction dans le département civil de cet état ».

-Texas Article 1, section 4 : «Aucun test religieux ne sera jamais requis comme qualification à une fonction ou à la confiance publique dans cet État; personne ne sera exclu de l’exercice de ses fonctions en raison de ses sentiments religieux, à condition qu’il reconnaisse l’existence d’un Être suprême ».

Ces états américains qui discriminent aujourd’hui contre les athées étaient tous des états esclavagistes en 1861. Il faut croire que la peur de l’Autre est fondamentalement la même, que l’Autre se distingue par la couleur de sa peau ou par ses croyances.

J’ai cherché en vain des lois actuelles, en Occident, qui discrimineraient officiellement et ouvertement selon la couleur de la peau ou selon l’origine ethnique. Il semble que ces lois ont progressivement disparu des systèmes légaux en Occident. Ce qui ne signifie évidemment pas que la discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique ait disparu pour autant, seulement qu’elle est forcée de se cacher ailleurs car socialement, elle est devenue inacceptable pour la majorité des occidentaux. Ce n’est pas le cas des déclarations et des lois contre la non-croyance qui demeurent bel et bien enchâssées dans le cadre législatif de nations soi-disant modernes. Il est tout de même assez extraordinaire de voir que les Américains ont réussi à élire un président afro-américain mais les sondages nous le disent, ils refusent de considérer qu’un non-croyant puisse être candidat à la présidence et il n’est pas question de changer « In God we trust » des billets de banque ou le « under God » de l’hymne national – deux additions pourtant récentes (1956 et 1954) que les pères fondateurs n’auraient certainement pas acceptées.

Et le Canada, me direz-vous ? La protection de la loi est égale pour tous, n’est-ce pas ? Quelle que soit sa race ou la religion ? C’est ce que nous aimons croire, mais je vous rappelle que le Préambule de la Charte des droits et liberté du Canada comporte tout de même un terrible aveu d’intolérance religieuse : « Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit ». Je vous ferai remarquer qu’il n’y a aucune référence à la race ou à l’origine ethnique dans ce préambule, mais qu’il envoie un message très clair aux athées et aux croyants des religions non théistes: le Canada ne vous concède aucune légitimité. Vos avis en matière légale sont nuls et non avenus. Autrement dit, il ne nous reste qu’à espérer la bienveillance des croyants théistes lors de l’interprétation des articles de la Charte, car nous ne sommes pas censés avoir voix au chapitre.

Hélas ! Cette discrimination institutionnelle contre les athées se double d’une discrimination systémique à tous les niveaux de gouvernement. Les privilèges fiscaux accordés aux églises et aux ministres des cultes sont autant de charges partagées par tout le monde, y compris les athées qui se voient ainsi forcés par l’État de subventionner des croyances contraires aux leures. Le Code criminel du Canada contient encore aujourd’hui des articles qui donnent des privilèges inacceptables aux religions, par exemple en permettant la diffusion de propos haineux pourvu que ces derniers soient issus des livres religieux. L’article 366 du Code civil du Québec donne aux ministres de cultes reconnus le droit de faire des mariages directement acceptés par l’État civil du Québec, évitant ainsi une double cérémonie civile et religieuse. Or ce droit de faire des mariages sans double cérémonie a été refusé aux Humanistes du Québec, alors même que les Humanistes de l’Ontario ont ce droit. La raison invoquée par Québec: l’Humanisme n’est pas une religion.

Bien sûr, nos problèmes semblent bien légers comparés à ceux des blogueurs du Bangladesh ou d’Arabie Saoudite, mais ils procèdent de la même intolérance des croyants vis-à- vis de ceux qui refusent d’embrasser leurs fables. Comme l’avait fort bien remarqué Kurt Vonnegut, romancier et ancien président de l’Association Américaine des Humanistes, dans son roman Mother Night :

« Les bonnes raisons de se battre ne manquent pas, dis-je, mais rien ne justifie jamais la haine sans réserve, l’idée que Dieu Tout Puissant partage cette haine. Où est le mal ? C’est cette part importante en tout homme qui voudrait haïr sans limites, qui voudrait haïr avec Dieu à ses côtés. C’est cette part en tout homme qui trouve un tel charme à toutes sortes de laideurs. »

Les assassins des blogueurs du Bangladesh sont exactement cela : des hommes qui se sont autorisés à haïr sans limites, qui ont trouvé un charme irrésistible à perpétrer ces horreurs.

Les humanistes du Canada et du monde entier continueront de lutter pour une égalité effective des croyants et des non- croyants au Canada et ailleurs dans le monde.

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