Transhumanisme 2.0 ? Déverrouiller le secret de Turritopsis dohrnii ?
CLAUDE BRAUN
Administrateur et éditeur en chef du "Québec humaniste"
Claude Braun a été professeur de neurosciences cognitives à l'UQAM de nombreuses années. Retraité depuis peu, Il a publié nombres de documents de recherches sur le sujet. Il a été également éditeur du "Québec laïque" et est depuis quelques années l'éditeur en chef de notre revue "Québec humaniste" Il a également publié "Québec Athée" en 2010. Téléchargeable gratuitement en utilisant ce lien avec les compliments de l'auteur.
On a vu dans des numéros précédents de la présente revue que les premiers transhumanistes, incapables de bondieuseries mais capables de beaucoup d’espoir, ont fantasmé d’utiliser la cybernétique pour télédécharger leur identité humaine en forme virtuelle pour ensuite vivre virtuellement dans des machines. Ils proposaient ainsi une nouvelle religion, inspirée de l’humanisme, et allant bien au-delà.
Turritopsis dohrnii est une méduse de 4 mm de diamètre qui occupe la même niche écologique que le plancton. On a découvert récemment qu’elle est immortelle, le premier organisme ainsi qualifié. Elle est capable de se reproduire de trois façons, sexuellement, asexuellement (bourgeonnement) et par transdifférenciation cellulaire. Ce dernier mode reproductif est hors de toute biologie conventionnelle. Il est communément enseigné en biologie cellulaire que l’épigénome d’une cellule la façonne d’une manière irréversible, sauf les gamètes. En ce qui concerne l’humain, une cellule qui se différentie en neurone (le pré de notre bonheur) ne pourra jamais redevenir une cellule souche (capable de se développer en n’importe
quel type de cellule). Cependant il est bien connu que l’ovule d’une femme va, peu après fécondation, par un extraordinaire nettoyage cellulaire, débarrasser son ADN de presque toute marque épigénétique. Cet ovule devient, brièvement, la mère de toutes les cellules souche de l’organisme humain. L’immortalité humaine pourrait exister, certes, mais seulement par nos enfants.
Revenons à Turritopsis dohrnii. Elle n’a qu’un orifice pour manger et excréter, pas de cerveau, pas de cœur. Cependant, dans certaines conditions écologiques désavantageuses, elle cale au fond de l’océan et se reconforme en polype, c’est-à-dire une forme infantile de la même méduse. Elle reste alors intacte comme organisme, en conservant rigoureusement son ADN, mais avec une régression développementale spectaculaire de l’ensemble de son corps qui est tout de même assez complexe. C’est comme si un papillon redevenait une chenille : du jamais vu dans la nature. On a récemment observé qu’une même Turritopsis dohrnii pouvait passer par ce cycle de vie complet une dizaine de fois, ce qui laisse croire que le cycle soit sans fin.
Au fait la technologie moléculaire de l’heure n’est pas loin de maitriser le passage bidirectionnel du développement cellulaire humain. On sait beaucoup de choses sur la progression épigénétique des cellules spécialisées des humains, c’est-à-dire comment diverses cellules se différencient. On sait aussi beaucoup de choses sur comment déprogrammer ces mêmes cellules et les ramener vers l’état d’une cellule souche. Mais ce n’est qu’une cellule à la fois qu’on a pu se rendre à ce niveau de haute voltige bioscientifique. Ce dont on est encore très loin c’est de pouvoir transformer le vieillissement humain en rajeunissement humain. Nous ne savons aucunement comment orchestrer un rajeunissement de l’ensemble du corps humain ni même d’un organe, même pas d’un tissu… d’une personne vivante. Tous les postdocs, chaires prestigieuses et fondations archi-financées de ce monde n’ont pu s’approcher d’une vie éternelle pour l’humain. Mais la nature aveugle, tâtonnante, fixant divers cas de figure bizarres ou extravagants par sélection naturelle, semble l’avoir pu, pour dame méduse, toute petite, modeste, pas très intelligente, presque invisible à l’œil nu.
Nous les humanistes, nous cherchons des leçons d’éthique partout, particulièrement dans l’avancement des sciences et dans la poésie, aussi ironique que puisse être cette dernière. En parlant du diable, il s’avère que Turritopsis dohrnii voyage très bien dans les soutes-ballast de paquebots et a envahi la planète. Heureusement, elle a ses prédateurs (les mangeurs de plancton), mais elle est considérée comme une véritable menace écologique néanmoins. Avec ce qu’inflige l’humain aux océans et aux systèmes naturels d’eau douce, les méduses de toutes sortes sont les grandes gagnantes, dont notre dohrnii faustienne. Paraît-il qu’on peut craindre ce qui arrivera lorsque son dernier prédateur se sera étouffé dans la fausse sceptique. En sus, il faut savoir que Turritopsis dohrnii ne fera pas un bon repas pour l’humain : on ne pourra pas en faire du faux crabe comme on l’a fait avec la goberge.
La morale de cet histoire : faisons bien attention à ce que nous désirons. Ne prenons pas nos fantasmes pour la réalité. La nature procède au niveau écologique tandis que nous… nous jouons les Frankenstein.
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